Le conseil consultatif a consacré la rupture entre les parties en conflit. Le président d'El Islah, M.Abdallah Djaballah, reprend les rênes du parti, après un mois de crise et une série de démissions. Le scénario d'Ennahda ne s'est donc pas reproduit. Imperturbable, le chef islamiste a décidé de combattre ses adversaires avec leurs propres armes. Fermement contesté par Djaballah et ses proches, le conseil consultatif extraordinaire, auquel a appelé le président de cette instance, M.Mohamed Boulahia, aura servi, paradoxalement, au président du parti pour reprendre les choses en main. Détail... Hier, il y avait foule au club El Moudjahid, lieu choisi par M.Boulahia pour la tenue du conseil consultatif extraordinaire. Contre toute attente, plus des deux tiers des membres du madjliss (100 au total) ont répondu présents à l'invitation. M.Boulahia était le premier à être surpris par cette forte assistance, d'autant plus que le président du parti s'est opposé à cette rencontre, en annonçant par là même une réunion ordinaire du madjliss echoura pour le 25 novembre. Mais Djaballah a révisé sa stratégie de riposte, en décidant à la dernière minute de ne pas prendre part à cette réunion. La décision a été prise mercredi soir, lors d'une rencontre avec les représentants des 48 bureaux du MRN à travers le territoire national et les responsables organiques. Cette réunion qui s'est déroulée à Zeralda a été avancée d'une journée (elle devait avoir lieu jeudi), «pour permettre au membre du conseil national de prendre part en force à la session extraordinaire du conseil consultatif», reconnaît M.Benkhelaf vice-président de l'APN. Les contestataires isolés Dans les coulisses du club El Moudjahid, les informations faisant état du retrait de confiance au président du conseil consultatif, M.Boulahia se propagent comme une traînée de poudre. Le même sort serait réservé «aux frondeurs», murmure-t-on dans les couloirs de l'enceinte. La réunion prend, dès lors, une autre tournure. Boulahia pris de court, lève la rencontre et décide de la reporter en laissant la session du conseil extraordinaire ouverte. Evoquant pour justifier sa décision, «un travail parallèle qui s'est fait en dehors de l'instance souveraine du conseil consultatif». Une démarche «colportée par des membres du bureau national qui vise à déstabiliser les instances du parti et spécialement le conseil consultatif», précise Boulahia, qui ajoute dans un communiqué transmis à la rédaction que «toute décision prise et toute rencontre tenue sans l'aval du conseil consultatif est considérée comme illégale». Le président dudit conseil ne s'attendait pas à ce retournement de situation. Les choses semblaient pourtant bien parties pour lui et les «dissidents du bureau national», après l'autorisation de réunion accordée par le ministère de l'Intérieur. Une autorisation paradoxalement «fatale» pour le groupe. Et pour cause, la majorité des membres du conseil consultatif, dont 84 sont acquis à Abdallah Djaballah, a contrarié M.Boulahia, et il décide de tenir ledit conseil au siège du parti sis à Bir Mourad Rais, consacrant définitivement la rupture entre les parties en conflit. Dès l'entame de la réunion, Djaballah prend la parole, après, dit-on, l'insistance des militants. Il est revenu sur la crise en défendant l'unité du parti. Une brève intervention suivie de sévères sanctions contre «les instigateurs du complot qui menaçait le parti». En effet, le conseil consultatif a décidé, à l'unanimité le retrait de confiance au président de cette instance, M.Mohamed Boulahia, qui s'est vu remplacé par Djilali Boumediene. Le même sort est réservé à Djamel Souileh, président de la commission de discipline et aux cinq membres du bureau national, ayant annoncé leur démission. Cinq candidatures ont été retenues pour occuper les postes vacants. Il s'agit de Kessal Abdelhak, Mohamed Merzouki, Lechhab Fadila, Koreichi Bachir. Autant de personnalités fidèles au chef du parti. Une sanction qui prend les allures d'une exclusion définitive du parti. Une décision qui sera entérinée, selon des sources proches du parti, par la commission de discipline dont la composition sera revue, toujours d'après les conclusions du conseil consultatif. Il convient de rappeler que cette instance a pris une décision similaire le mois d'avril dernier contre le député Ada Felahi qui avait accusé Djaballah d'être le premier responsable de l'échec fracassant à l'occasion de la présidentielle. Ironie du sort, cette mesure a été prise à l'époque par M.Boulahia. Notons qu'aucune sanction n'a été prononcée contre les 12 députés ayant exprimé leur soutien au groupe des 5+2. Interrogé sur cette question, M.Benkhellaf évoque «le piège tendu sciemment» aux députés qui pensaient signer un document de «réconciliation». Mais s'agit-il de l'unique raison ayant poussé Djaballah à ménager ses députés? La leçon d'Ennahda Pour nombre d'observateurs, cette clémence du n° 1 du MRN obéit plus à une volonté de préserver des maillons forts au sein de l'APN, sachant que le départ des députés réduira de moitié la représentativité d'El Islah à la chambre basse. Dans un autre volet, les membres du conseil consultatif ont adopté le rapport moral et financier du bureau national. Ils ont salué, par ailleurs, le travail des trois commissions chargées de préparer le 1er congrès dont la date est fixée pour le 29 décembre prochain. Elu jeudi, le bureau du congrès est composé de sept personnalités, réputées très proches de Djaballah, à l'image de Abdelghafour Saâdi et Yahia Belaroussi. En fait, le président du parti, qui semble avoir parfaitement appris les leçons de son passage à Ennahda, n'a rien laissé au hasard. Mais a-t-il pour autant gagné la guerre? La crise à El Islah connaît-elle son épilogue? Rien n'est encore définitivement tranché puisque les contestataires ne comptent pas baisser les bras. Et pour preuve, M.Boulahia a présidé jeudi soir une réunion parallèle du même conseil consultatif, en présence d'une vingtaine de militants. Dans un communiqué signé par le «président du conseil» M.Mohamed Boulahia, les participants à cette rencontre «clandestine» ont décidé de contre-attaquer, en annonçant, entre autres, le gel des activités du bureau national qui s'est vu retirer le dossier de préparation du congrès. Le document dénonce le comportement de certains membres du bureau national qui «ont menacé physiquement» M.Boulahia. Contacté par nos soins, ce dernier a précisé ne pas «reconnaître» les conclusions du conseil consultatif organisé par «le groupe de Djaballah». M.Benkhellaf de son côté, estime que Boulahia n'a plus le droit de parler au nom d'El Islah. Rappelons que la crise au sein de cette formation islamiste remonte au 24 octobre dernier, après la décision surprenante de cinq membres du bureau national de démissionner, dénonçant par là même «l'autoritarisme» de Abdallah Djaballah. La contestation a fait tache d'huile. Quelques jours après, les présidents du conseil consultatif et de la commission de discipline affichent leur soutien aux contestataires. Une commission de conciliation est mise en place pour contenir la crise, mais en vain. Pis, des membres de cette instance se sont joints à la dizaine de députés qui ont pris position le 12 novembre contre Djaballah. Ce dernier, dans un entretien, accordé à L'Expression a accusé le pouvoir: «L'on assiste depuis quelques mois à une véritable campagne de dénigrement contre l'opposition. Une campagne menée par les cercles du pouvoir et exécutée par ses relais médiatico-politiques», avait-il déclaré.