L'état général actuel impose l'image d'une dégradation avancée de ce site fondateur et identitaire de la capitale algérienne «Il convient de refonder le lien social sur l'ensemble des legs et de ce point de vue la Casbah demeure un symbole national et c'est bien ainsi qu'il convient de la regarder, de la défendre et de lui redonner sa place légitime d'aiguillon.» Abdelmadjid MERDACI C'était non sans fierté que Khalida Toumi, la désormais ancienne locataire du Palais de la culture, avait annoncé triomphalement l'adoption par le gouvernement d'un plan permanent de sauvegarde de la Casbah d'Alger. Elle en fera d'ailleurs en personne l'annonce au Café littéraire de la Fondation Casbah, portée qu'elle était par une sorte d'euphorie et le sentiment d'avoir fait aboutir un projet dangereusement chahuté par les inconséquences d'une gestion systémique. L'incompétence endémique de quelques clercs en complète rupture avec la réalité d'une médina et leur haine à peine contenue à l'envers d'une éclatante expression de la citadinité ont contribué assurément à retarder l'adoption de ce véritable projet de société porté par la restauration de cette cité emblématique. Dans un de ses numéros consacrés à la question, l'émission Escales Méditerranéennes avait donné la parole à plusieurs spécialistes et acteurs à l'effet de mettre l'accent sur le caractère sacré du sauvetage d'un tel espace, une des rares expressions du génie architectural du peuple algérien. Pour Abdelouahab Zekagh, directeur général de l'Office national de gestion et d'exploitation des biens culturels protégés (Ogebc), «ce plan a été finalisé au bout de trois ans d'étude et soumis à l'approbation du gouvernement qui devait réunir un Conseil interministériel pour voter un budget destiné à la restauration de ce patrimoine national». L'enveloppe prévue pour les besoins de cette cause civilisationnelle propose plusieurs options où les sommes nécessaires pour aider les habitants à restaurer leurs maisons, l'achat par l'Etat de parcelles de terrain pour les reconstruire, l'aménagement de placettes et ruelles, ainsi que la remise en état des réseaux souterrains et la nécessité d'une action sociale sur ce tissu urbain de plus de 50.000 habitants ne sont pas des moindres. Médina, parcours, évanescence et idée saugrenue Après l'heureuse et non moins prometteuse prise en charge de ce projet de société par Nadia Labidi, alors ministre de la Culture, c'était le silence radio, le règne des spéculations et le diktat de la rumeur castratrice. Jusqu'à ces derniers jours, lorsque sortant de sa réserve coutumière, Abdelouahab Zekagh annonce à l'opinion publique, en sa qualité de directeur général de l'Office national de gestion et d'exploitation des biens culturels protégés, qu'une enveloppe financière initiale de 24 milliards de DA avait déjà été dégagée en 2013 dans le cadre du plan permanent de sauvegarde et de mise en valeur de la vieille médina d'Alger. Sur les ondes de Radio El Bahdja, relayée par l'APS, la même source, également responsable de l'application de ce plan, a proposé un éclairage de première main sur la répartition de cette dotation, allouée pour la réhabilitation et la mise en valeur de la Casbah d'Alger, dont quatre milliards de DA sont destinés à la restauration de la Citadelle de la vieille médina d'Alger. Considéré par Abdelouahab Zekagh comme l'un des édifices les plus importants de cette médina, cet espace sera rénové et ouvrira ses portes au public en 2020. Pour les édifices religieux, à l'instar de Ketchaoua, la même source a affirmé que le taux d'avancement des travaux de rénovation et de réhabilitation de cette mosquée est de plus de 50%. Cette opération, adoptée par le gouvernement, prolonge et donne corps à l'inscription de la Casbah, depuis 1992, au patrimoine mondial de l'humanité de l'Unesco. Elle est, au demeurant, une action pérenne de sauvegarde et de mise en valeur conçue par ses promoteurs pour restituer à cette médina son image d'antan, son rayonnement civilisationnel, historique et culturel. Pour mémoire, confie le directeur général de l'Office national de gestion et d'exploitation des biens culturels protégés, la mise en application du plan de sauvegarde et de mise en valeur de la Casbah d'Alger a débuté en 2008 dans le cadre du plan d'urgence relatif à la protection de certaines anciennes bâtisses protégées du risque d'effondrement: «983 bâtisses de la Casbah d'Alger ont fait l'objet d'expertises dans le but d'arrêter tous les processus et phénomènes de dégradation et de détérioration. Les portes de 212 bâtisses ont été scellées, afin qu'elles ne soient plus occupées par des intrus. Le secteur sauvegardé de la Casbah d'Alger s'étend sur une superficie de 105 hectares et englobe en son sein une multitude d'édifices remarquables faisant partie intégrante de la vieille médina: la Citadelle, les palais, le Bastion 23, les édifices religieux et autres.» Sur les 1816 bâtisses restantes, 30% sont en état de dégradation très avancée, 50% sont en état de dégradation moyenne ou superficielle, 10% sont en état de ruine et 10% fermées ou murées, selon des données citées dans le plan permanent de sauvegarde et de mise en valeur de la Casbah d'Alger. Enfin, et toujours dans le cadre de cette même dépêche de l'APS, Abdelouahab Zekagh a de quoi provoquer l'ire de ceux qui veulent faire admettre à tout prix l'idée saugrenue que la Casbah d'Alger aurait été construite par les Turcs: «Le reste des vestiges enfouis se trouvent sous la place des Martyrs et plusieurs pièces archéologiques et des vestiges d'anciennes bâtisses de différentes époques, ont été découverts à 34 mètres de profondeur lors des travaux de réalisation de la station de la place des Martyrs du métro d'Alger.» Aujourd'hui, estime Abdelouahab Zekagh, l'urgence est au rendez-vous et une dynamique basée sur l'intersectorialité est enclenchée: «Beaucoup de temps et d'efforts ont été consentis pour la mise en place d'une stratégie d'intervention. Les choix sont dictés par les réalités complexes sur le terrain et l'urgence de l'opération.» La mise en oeuvre d'un Plan de sauvegarde interpelle de fait l'implication de plusieurs acteurs qui doivent oeuvrer à sa réussite en coordonnant leurs actions sur le terrain. Deux Conseils interministériels consacrés à l'examen de la mise en oeuvre du Ppsmvss de la Casbah d'Alger ont eu lieu les 11 septembre 2014 et 21 avril 2015. Une prise de conscience semble être de mise, un tel projet ne pouvant aboutir que grâce à la mobilisation de la société civile représentée par le mouvement associatif créé autour de cette action de sauvegarde. Les valeurs de la médina Pour le sociologue Larbi Ichebouden, sauvegarde, réhabilitation et mise en valeur du centre historique, sont les concepts directeurs, les termes en débat, qui nourrissent actuellement le discours tenu à l'endroit de la Casbah d'Alger: «Auparavant bien des opérations (actions de revalorisation, de rénovation...) ont été initiées, mais elles semblent si peu abouties. En attendant, l'état général actuel impose l'image d'une dégradation avancée de ce site fondateur et identitaire de la capitale algérienne. Le discours à propos de la Casbah évoque en même temps les carences ou déficiences passées et la nécessité de sauvegarde de la médina aux qualités indéniables.» Mémoire de la ville dont elle est le noyau, estime la même source, la Casbah est un patrimoine culturel urbain d'architecture, d'histoire, d'identité et de symboles forts: «La marginalisation que subissent autant son site que sa population, à l'origine d'une dégradation pourtant souvent dénoncée, requiert la mobilisation de tous les acteurs institutionnels et de la société civile.» En termes décodés, sans l'action continue de sauvegarde et de mise en valeur en vue d'une intégration à la ville contemporaine, la médina continuera le parcours de son évanescence. Le refus de la résignation dans notre relation au passé, au patrimoine culturel et à tout ce qui porte témoignage de notre riche histoire, est assurément le crédo du sociologue et historien Abdelmadjid Merdaci. Il n'est pas loin de penser, en effet, qu'il convient de refonder le lien social sur l'ensemble des legs et de ce point de vue la Casbah demeure un symbole national et c'est bien ainsi qu'il convient de la regarder, de la défendre et de lui redonner sa place légitime d'aiguillon: «J'apprécie notamment que les valeurs de la médina, de la citadinité pour tout dire, soient enfin convoquées pour ce qu'elles portent de savoir-faire, d'esprit de tolérance si nécessaires aujourd'hui à la stabilité et au développement de notre société.» Bien loin donc des carcans nostalgiques qui ne sont pas sans sacrifier sur l'autel d'une vision inhibitrice le jaillissement d'une stratégie globale conçue pour gérer des territoires considérés comme des systèmes en rupture avec les approches sectorielles de l'urbanisme traditionnel. Ghouti Bessenouci a entièrement raison lorsqu'il soutient que dans son acception la plus communément admise, le développement durable se définit comme la satisfaction des besoins actuels sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins: «Il nous faut rompre avec la conception qui soutient que la conservation du patrimoine est encore accessoire, voire futile, et non comme la pierre angulaire d'un développement durable intégré.» Il serait de bon aloi, écrivait-il à l'adresse de l'assemblée générale constitutive de l'association. La Casbah Autrement, que ladite association, au lieu de se circonscrire à la Casbah d'Alger et de se cantonner à l'Algérois (dans tout ce que ce vocable désigne comme attributs), puisse au contraire considérer la Casbah algérienne dans toute son acception et s'étendre subséquemment à tous ces coeurs historiques des anciennes Médinas du pays. Ne serait-ce que par la mise en réseau et l'échange des données relatives au patrimoine historique et culturel algérien; l'accompagnement et l'appui technique auprès des différents acteurs intervenant dans le domaine de la préservation, de la valorisation et de la diffusion du patrimoine historique et culturel algérien; la valorisation des actions et projets locaux, dans les domaines de la préservation, de la valorisation et de la diffusion du patrimoine historique et culturel algérien, pour des raisons symboliques évidentes, dans un espace de droit clairement identifiable comme exempt de toute démarche dissolvante. Une association nationale des médinas a vu le jour grâce aux efforts de la Fondation Casbah et de l'association des Amis de la cité emblématique. La promotion du développement social urbain local par l'éducation, la formation, la culture, le sport, l'encadrement des jeunes, l'insertion sociale, la médiation culturelle peut constituer un axe de travail exaltant. Au même titre que la promotion du développement durable par l'encouragement et l'initiation de microprojets, les activités du secteur informel, la participation des citoyens au développement de leurs cités et de l'environnement. Les associations animées par Houria Bouhired et Belkacem Babaci comptent, sur certains plans, une longueur d'avance, conscientes qu'elles sont de la dimension sociale de leur mission. La création d'une bibliothèque à Bab J'did, au siège de la Fondation Casbah, en est la parfaite illustration. Elle procède d'une volonté manifeste d'en découdre avec la marginalisation qui touche les citoyens de la Casbah qui sont devenus d'étranges étrangers... chez-eux... Rétrospective du plan de sauvegarde - 1998: Naissance de la notion de «secteur sauvegardé dans la loi n°98-04 du 15 juin 1998 relative à la protection du patrimoine culturel; - 2003: décret exécutif n°03-324 du 5 octobre 2003 relatif aux modalités d'établissement du Plan permanent de sauvegarde et de mise en valeur des secteurs sauvegardés (Ppsmvss); - 2005: décret exécutif n°05-173 du 09 mai 2005: création et délimitation du secteur sauvegardé de «la Casbah d'Alger»; - 2007 à 2010: élaboration du Plan par le bureau d'études Cneru en 3 phases: 1. Phase I: Diagnostic et projet des mesures d'urgences; 2. Phase II: Analyse historique et typologique et avant-projet du Plan permanent de sauvegarde et de Mise en valeur du secteur sauvegardé; 3. Phase III: Rédaction finale du plan permanent de sauvegarde et de mise en valeur du secteur sauvegardé. - 2011: le Plan est approuvé par l'Assemblée populaire de wilaya (APW); - 2011: création de l'Agence nationale des secteurs sauvegardés (Anss), par décret exécutif n°11-02 du 05 janvier 2011. Elle a pour principale mission la mise en oeuvre du Plan. - 2012: le plan est approuvé par le gouvernement: décret exécutif n° 12-133 du 21/03/2012, portant approbation du Ppsmvss de la Casbah d'Alger. Il est désormais un instrument juridique de gestion, plus précis et plus puissant que le POS (articles 43 et 44 alinéa 1 de la loi 98-04). - 2013: une première enveloppe de 24 milliards de dinars est allouée pour la mise en oeuvre de la 1ère tranche du plan de sauvegarde.