L'une des entreprises qui a eu à payer le prix fort durant les années sanglantes du terrorisme, c'est bien la Sntf. Entre 1992 et 1999, des dizaines de petites gares ont été incendiées, des centaines de wagons et de locomotives calcinés. En sept années, l'Entreprise nationale des transports ferroviaires a été durement malmenée sur tous les plans. Sa crédibilité a été mise à mal, à partir du moment où la simple évocation des quatre lettres «SNTF» fait tout de suite rappeler à l'opinion publique de nombreux scandales. Entre 2000 et 2002, la Sntf a été secouée par l'affaire de l'exportation des métaux ferreux dont la valeur en devises n'a jamais été rapatriée. Durant cette même période, la Douane avait saisi du matériel destiné à l'exportation. Les douaniers ont découvert une marchandise d'une valeur de 170.000 dollars au port d'Alger. Il s'agissait de traverses de rails, interdites à l'exportation. Entreprise stratégique par excellence, au même titre que Sonatrach et Sonelgaz, l'Etat vient d'annoncer récemment par la voix du chef du gouvernement, M.Ouyahia, que la Sntf ne sera pas privatisée. Malgré cette situation de monopole qui aurait dû donner à cette entreprise une grande envergure, le secteur des chemins de fer est paradoxalement à la traîne et vit d'insolubles problèmes. Au sein même de la Sntf, les cadres syndicaux ne cessent de s'élever pour dénoncer le piteux état dans lequel se trouve leur entreprise. Réunis en octobre dernier à Jijel, des cadres syndicaux de la région de Constantine ont dressé un tableau des plus noirs: conditions de travail pénibles et lamentables, locomotives usées et dépassant de loin les normes d'utilisation, parc triplement amorti, réparation s'effectuant à partir de pièces usagées prélevées sur d'autres machines, fermeture de certaines lignes sans motif valable, suppression de certaines lignes sans motif valable, d'où le manque à gagner de centaines de voyageurs et surtout augmentation irresponsable des tarifs des trains de grande ligne. En effet, l'augmentation des tarifs a entraîné une fuite massive de la clientèle. Elle a plutôt terni l'image de marque de l'entreprise, soulignent les syndicalistes qui dénoncent par la même occasion le «contrat de performance» des cadres dirigeants qu'ils qualifient «d'ambigu, inextricable et contradictoire aux paramètres donnant droit à ce statut». «Compte tenu de ce tableau sombre, nous lançons un appel pressant aux pouvoirs publics pour la énième fois, afin d'attirer leur attention sur le déclin de notre entreprise sur tous les plans. Une réaction salutaire et urgente de la part des autorités est plus que nécessaire. La Sntf est à l'agonie», lit-on notamment dans un communiqué de détresse, transmis aux autorités récemment par les syndicalistes. Des sources très crédibles nous ont révélé que la Sntf est devenue un terrain «idéal» pour tous les trafiquants qui continuent de s'enrichir illégalement sur le dos du secteur public. Selon ces mêmes sources, une machine de marque General Motors n°060 DD07 qui coûte des milliards, propriété de l'entreprise, s'est carrément «évanouie» dans la nature ! Un engin qui pèse des tonnes! A-t-elle été réformée? Personne ne le sait et l'enquête n'a rien révélé. Un autre phénomène du même genre est apparu. Que ce soit du côté de Mohammadia, Chlef ou Bazoul, dans la région de Jijel, ou même Hammad Krouma, dans la région de Skikda, des centaines de «distributeurs», des pièces conçues pour le freinage des wagons ont disparu. Certains n'écartent pas l'éventualité que ces «distributeurs» aient été détournés afin de servir ailleurs, les semi-remorques, par exemple. La liste des affaires scabreuses et des scandales ne s'arrête pas là, hélas. Durant les années terribles du terrorisme, la Sntf, compte tenu de sa mission, a commandé des wagons blindés pour abriter les forces de sécurité, chargés de protéger les convois. Le blindage s'est avéré non conforme aux normes et plusieurs gendarmes ont perdu la vie à cause des tendances maléfiques et criminelles de certains trafiquants sans foi ni loi. Quand on voit dans quelle situation est la Sntf, on se demande justement de quel contrat de performance osent parler les cadres dirigeants de cette entreprise ! Aussi paradoxal que cela puisse paraître, au moment où la Sntf triple et quadruple ses tarifs et au moment où elle supprime des trains de voyageurs pour une rentabilité meilleure, dit-on, les syndicalistes tirent la sonnette d'alarme sur l'absence de sécurité, la mauvaise gestion des responsables qui, assure-t-on, privilégient les travaux de bâtiment à ceux des infrastructures ferroviaires et l'abandon criminel d'un matériel évalué à des milliards (le parc matériel en zone de Hammadi Krouma). Est-ce par rapport à ce véritable «désastre» que l' Etat refuse toujours d'investir dans cette entreprise? Des sources crédibles nous ont informés dans ce sens que les pouvoirs publics auraient planché sur une autre méthode pour sauver la Sntf. On parle d'ores et déjà de la formule de concession, comme c'est le cas pour le complexe sidérurgique d'El Hadjar. Il est à rappeler que les crédits votés pour cette entreprise en 2004, et rien que pour le budget de fonctionnement s'élèvent à environ 16 milliards de dinars ! Pourtant, au niveau de l'entreprise, on ne cesse pas de dénoncer la vétusté du matériel remorqué, l'absence de toute norme de confort et de sécurité, l'état de la voie en perpétuelle dégradation faute d'entretien régulier dû au manque flagrant d'effectifs. La Sntf est gravement malade, et il y a lieu d'intervenir en toute urgence, ne serait-ce que pour atténuer la dilapidation d'un patrimoine public qui appartient à l'ensemble des Algériens, mais dont la majorité, vu leur situation sociale, n'en profite pas. Sans assurer des prestations de qualité, la Sntf continue, contre toute logique, d'afficher des tarifs exorbitants. Les responsables se soucient peu du service public, puisque des dizaines de trains de banlieue ont été supprimés, soi-disant pour des raisons de rentabilité. Un paradoxe...