Les lignes de démarcation entre les formations politiques ne sont plus idéologiques Les organisations créées par l'opposition ne portent pas en elles la solution, mais plutôt le germe du chaos. Avec trois têtes de file, Abderrezak Makri, Ali Benflis et Mouloud Hamrouche, l'opposition est victime de son empressement à arriver au pouvoir. Les conglomérats formés par cette opposition pour contrer le pouvoir manquent cruellement d'un chef rassembleur. Les partis de la Cltd et du Pôle du changement taisent leurs contradictions idéologiques, mais se positionnent en embuscade. Il faut savoir, en effet, que l'évolution de la scène politique nationale a donné lieu, ces dernières années à un schéma inédit. Les lignes de démarcation entre les formations politiques ne sont plus idéologiques. Les partis au pouvoir, comme ceux de l'opposition ne reposent pas leur argumentaire sur la base d'un engagement politico-idéologique. La formation de la première et seule alliance présidentielle a étonné de nombreux observateurs au moment même de sa création par le RND, le FLN et le MSP. Le mélange «républicains-islamistes» pour surprenant qu'il fut au lendemain de sa mise en oeuvre, pouvait s'expliquer par la nécessité d'outrepasser les clivages idéologiques au profit du soutien du programme présidentiel, lequel était essentiellement orienté vers le retour à la paix civile et le décollage économique. En face, l'opposition a tenté, une dizaine d'années durant, d'exister en développant un discours critique avec des relents idéologiques. L'on a vu des partis comme le RCD dénoncer la Réconciliation nationale au moment où d'autres formations à l'image d'Ennahda appelaient à son élargissement jusqu'à l'amnistie générale pure et simple. Les camps républicain et islamiste de l'opposition ont également sérieusement divergé sur la question du Code de la famille dont la révision proposée par le président de la République n'a pas plu au premier car insuffisante et au second parce qu'elle est trop permissive et laissait trop de liberté à la femme. La guéguerre idéologique n'était pas le propre de l'opposition, puisqu'au sein de l'alliance présidentielle, les mêmes clivages existaient. Sauf que dans le cas des partis au pouvoir, le président de la République arbitrait les différends et tout le monde finissait par se ranger derrière sa décision. Cette scène politique que d'aucuns trouvaient atypique, par sa composante partisane au pouvoir a déteint sur le comportement de l'opposition qui, au nom du changement, a mis de côté les idéologies pour se réunir autour d'un seul objectif, le départ du pouvoir en place. Dans leur réflexion, les leaders de l'opposition prennent le soin d'éviter tous les sujets qui fâchent et se concentrent sur le premier point de leur programme, à savoir créer une pression suffisamment importante pour amener le pouvoir à céder à une seule et unique revendication de l'opposition qui n'est autre que l'alternance automatique, sans tenir compte des aspects démocratiques nécessaires à l'accomplissement d'une telle opération. Les partis de l'opposition, dont tout le monde connaît le poids électoral réel, jouent sur le manque de crédibilité des institutions de la République pour entretenir l'amalgame et réclamer, à chaque rendez-vous avec les urnes, des parts de l'électorat, selon eux, volées par les partis au pouvoir. La cartographie politique nationale a évolué ces deux dernières années, notamment à la veille de la dernière élection présidentielle. L'on a vu la naissance de deux organisations trans-partisanes que sont la Coordination pour la liberté et la transition démocratique (Cltd), conduite par le MSP de Abderrezak Makri et le Pôle du changement dirigé par Talae El Houriate de Ali Benflis. Ces deux organisations viennent concurrencer le «charismatique» Mouloud Hamrouche dont les sorties médiatiques pèsent au niveau de l'élite intellectuelle et politique du pays. Ces trois «grandes tendances» de l'opposition pourraient-elles, l'une ou l'autre, gouverner le pays? la réponse est certainement négative pour la simple raison que prise individuellement chaque formation politique développe des idées totalement contradictoires avec son allié du moment. On voit très mal, sans arbitre, le RCD et le MSP siéger dans un même gouvernement. Les réactions de l'un et de l'autre aux récentes lois, sur la violence faite aux femmes et sur les droits de l'enfant, montrent de profondes divergences et il est tout à fait exclu de penser que les deux partis puissent faire un bout de chemin dans une coalition gouvernementale. L'exemple du RCD et du MSP n'est pas unique. D'autres divergences sont criardes entre plusieurs formations politiques au sein de la Cltd et le Pôle du changement. C'est dire qu'en calquant son schéma organique sur celui du pouvoir en mettant de côté les idéologies, sans avoir réglé la question du leadership, les partis de l'opposition vont tout droit vers l'implosion. En réalité, c'est le refus du pouvoir d'accéder à leur revendication qui nourrit la Cltd et lui donne de la contenance. Sortie de ce rôle, l'organisation ne dispose d'aucun levier politique ou idéologique pour gérer une quelconque transition. Le MSP qui croit conduire la Coordination fera les frais d'une lutte acharnée pour le leadership et tous les partis la composant iront aux élections en rangs dispersés. Le résultat est connu d'avance, ce sera une atomisation de la scène politique, avec une impossibilité plus qu'évidente de former un gouvernement. Ce sera la vraie crise politique. Ali Benflis et Mouloud Hamrouche accrédités d'une popularité relative, recontreront une opposition plus qu'acharnée de la part des islamistes et des républicains qui trouveront les moyens de leur reprocher leur participation au pouvoir. L'Algérie basculera dans un scénario proche de celui qu'elle a connu au début des années 1990 du siècle dernier. Autant dire que les organisations créées par l'opposition ne portent pas en elles la solution, mais plutôt le germe du chaos.