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L'informel a pignon sur rue
ANNABA, CE GRAND SOUK À CIEL OUVERT
Publié dans L'Expression le 01 - 11 - 2015

Les trottoirs, places et placettes publiques sont toujours squattés
Le commerce informel, un phénomène qui semble a priori couvrir une réalité de pratiques exercées en marge d'une réglementation et s'oppose à une économie moderne de la wilaya en particulier et du pays en général.
Dans la ville d'Annaba, le commerce informel impose sa présence dans les espaces publics et accentue la dégradation du cadre de vie des citoyens. Des marchands de toutes sortes de produits accaparent les rues, ruelles, places et placettes publiques au vu et au su de tout le monde. Comme c'est le cas de la rue Marché au blé, la rue Maillaut en plein centre-ville, la rue Bouscarin, Gambetta et le Bd Bouali Saïd, pour ne citer que ces endroits où des étals de vendeurs de fruits et légumes, de vaisselles, de vêtements, d'or et de devises ainsi que d' autres produits sont installés sous les balcons des immeubles, sur les trottoirs et sur les chaussées. Une situation livrant ainsi la quatrième ville du pays à l'anarchie. A celle qui fut Bone la Coquette, il n'y a pas d'espace proprement dit «souk». Non. C'est toute la ville qui est, un ciel ouvert au commerce informel. On citera à ce titre: quartier «Mersice». Un espace où le recel fleurit confiné. Il y va de la vente de vêtements vieux et neufs, idem pour les meubles, l'électroménager. C'est là, l'unique espace du commerce informel; bien que se trouvant en face d'un arrondissement de police, ce souk de l'informel n'a jamais été à l'ordre du jour des pouvoirs locaux, quant à son éradication?! Pourtant, ces mêmes pouvoirs tentent à chaque fois, d'en finir avec ce commerce informel, voire même illégal.
L'informel prend possession de la ville
Les trottoirs, places et placettes publiques sont toujours squattés par des commerçants non affiliés au registre du commerce. Malgré les multiples opérations d'éradication, ces acteurs de l'informel ont toujours pignon sur rue. A Annaba et en dépit des mesures prises par les autorités locales qui ne cessent de mener des actions pour nettoyer les quartiers de ces squatteurs «impénitents», conjointement avec les services de police, cela n'a pas eu d'effets sur le maintien des espaces publics dans leur vocation naturelle.
A l'origine de la résistance de ce phénomène à la peau dure, la frénésie des consommateurs sur les produits «Made in China» aux prix concurrentiels. Touchant à tout ce qui a trait aux besoins du consommateur, le commerce informel a su s'enraciner bon gré, mal gré au sein de la société.
L'informel à Annaba, tout comme à travers les autres wilayas du pays, connaît un coup d'accélération et de modification de ses formes avec le passage à l'économie de marché. Depuis la fin des années 1990, le commerce informel ne cesse d'étendre son emprise sur nos villes, jusqu'à être parfois «pionnier des changements de la législation». D'ailleurs, le programme des magasins dits «du président» réalisés pour intégrer dans le circuit légal ces marchands ambulants, est une preuve dont le résultat est l'incapacité à résorber cet informel, puisque les locaux sont boudés et inoccupés.
Les acteurs de l'informel activant dans plusieurs domaines préfèrent exercer illicitement. Saïfou, un jeune de 27 ans, résidant à Oued Ennil, banlieue d'Annaba, vendeur informel du prêt-à-porter à la rue «Bouscarin», convaincu tout autant que ses semblables que les locaux du président ne leur conviennent pas «ce sont des cages à poules. Et puis comment voulez-vous que l'on puisse avoir une clientèle, puisque ces magasins sont situés loin du centre-ville, où le trafic commercial est dense?», nous dira ce jeune, avant d'ajouter «d'ailleurs, je vais bien et je gagne assez bien ma vie sans trop de charges».
Saci quant à lui, cet autre commerçant informel dans la chaussure a une autre vision de sa situation: «Ils veulent nous placer dans des magasins pour nous obliger à payer un loyer et les impôts. Donc non, nous savons tous que les plus gros bonnets se font des fortunes, loin des règles de la loi, alors je fais autant», nous lance l'interlocuteur sur un ton dur.
Ces propos et autres ayant trait notamment aux richesses du pays ont pimenté nos conversations avec des vendeurs informels. C'est dire qu'autant de facteurs ont aidé le phénomène à gagner du terrain, malgré les multiples mesures prises par l'Etat afin de le contrer. Mais l'informel demeure l'ennemi numéro un de l'économie nationale.
Devenu un véritable phénomène de société dans notre pays, à Annaba, il touche pratiquement tous les secteurs d'activités et s'est imposé au fil des ans pour s'affirmer comme un marché qui a ses règles, ses fournisseurs, ses détaillants et ses clients. Ce commerce informel aurait pu se juguler à travers la création d'un souk, comme celui d'El Khroub à Constantine, souk Doubaï à El Eulma à Sétif ou encore celui de Tadjenanet. Ce qui ne fut pas le cas dans la ville des Jujubes, au vu du laisser-aller caractérisant la gestion de cette ville, ouvrant ainsi la voie devant les acteurs de l'informel qui règnent en maîtres des lieux. Conséquence directe: l'informel qui impose ses règles et ses attitudes. Les quartiers commerçants de la ville ne diffèrent en rien des souks dans certaines wilayas. La présence des vendeurs informels implantés çà et là dans tout Annaba a atteint le stade de l'overdose et donne l'impression d'une légitimité absolue.
Autant l'activité informelle est au centre des préoccupations de l'Etat, elle est aussi le noyau de réflexion d'économistes, quant à l'égard des proportions démesurées prises par ce phénomène devenu une menace tant pour l'économie nationale que pour la société.
A sa juste valeur d'étude, le commerce informel est considéré plus qu'une instrumentalisation par l'Etat, l'informel est à la fois le produit des mutations sociales en cours, un reflet des recompositions sociales et un ensemble de dynamiques par lesquelles ces recompositions se réalisent. Selon MM S. F, sociologue à l'Institut d'économie à Annaba «le processus de recomposition sociale que vivent les populations peut se caractériser comme le passage, largement engagé, d'une population qui avait construit son lien social sur des solidarités linguale et claniques à une population où la solidarité tend à se construire sur des intérêts de classe et où les processus d'individualisation se heurtent aux résistances des anciens codes sociaux toujours agissants».
Recomposition et légitimité sociale à travers l'informel
C'est dire que le commerce informel est le recours massif à l'activité polyfonctionnelle des ménages dans leur vie quotidienne. Expliquant mieux cette vision des choses, notre interlocutrice ajoute: «Cette société de l'entre-deux, agit et façonne l'espace d'activité et c'est dans la ville que les recompositions sociales s'opèrent».
En somme, l'informel serait le résultat de la répartition «inégale et hiérarchisée» des richesses économiques, des positions de prestige et des pouvoirs qui se forment à travers de multiples combinaisons, conçues par les acteurs de l'informel comme étant, une alternative pour construire leur place dans le nouvel ordre social qui se met en place. En réalité, chaque groupe se positionne dans l'espace économique qui lui convient.
L'informel en prenant de nouvelles formes ne se cache plus. Il occupe plus d'espaces dans la ville, il se dévoile au grand jour dans l'impunité et se mélange à son antonyme, le commerce légal en l'occurrence, au point de ne plus pouvoir s'en distinguer.
Des études économiques portant sur le commerce algérien constatent les distorsions existant entre les règles et les pratiques, opposant parfois de manière incantatoire le commerce voulu et aux pratiques vécues et dénonçant l'impuissance de l'Etat à contrôler les causes de ce phénomène.
En outre, il faut reconnaître que, bien que le commerce informel fasse le bonheur des petites et moyennes bourses, il s'interpose entre le consommateur et le produit national. Ce dernier est aujourd'hui définitivement écarté du circuit commercial. Situation embarrassante tant pour l'économie nationale que pour les commerçants légaux qui paient de lourds tributs.
L'un et l'autre sont placés, par ses vendeurs informels «sous embargo», tant le trottoir d'en face est totalement squatté et tant le produit national n'est pas convoité par les consommateurs qui sont plutôt attirés par des produits chinois contrefaits, mais surtout de moindre coût. C'est ce qui fait que le marché informel occupe plus de 80% des produits en circulation. Cette triste réalité démontre à quel point l'informel dicte des règles que les lois de l'Etat semblent être incapables de maîtriser.
Plusieurs commerçants de la rue «Gambetta» lors de la halte sur l'activité informelle ont été unanimes sur ses proportions «les circuits informels se sont spécialisés dans tous les domaines. Ils ont pris des proportions alarmantes, ces dernières années et les réseaux concernés par ce phénomène étendent leurs tentacules sur toute la ville», ont-ils dit.
Quant aux consommateurs, une frange d'entre eux a exprimé son regret quant à cette situation qualifiée d' «alarmante», de par son impact tant sur leurs commerces que sur l'économie nationale, tout en accusant les pouvoirs publics de laxisme face à la prolifération de cet informel nuisible.
Pour l'heure, en l'absence d'un contrôle rigoureux et d'une répression sévère, l'informel continue de proliférer à Annaba, où le laxisme des responsables alourdit la tâche des services de police qui, à travers des opérations ponctuelles, ne parviennent pas à diminuer la cadence de sa poussée.


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