Doté d'une érudition pour le moins remarquable, le président du HCI (Haut Conseil islamique), Cheikh Bouamrane, rend tout débat passionnant, enrichissant et clair. Mieux, ce philosophe de formation, doté d'un doctorat d'Etat dans la filière obtenu à la Sorbonne, qui maîtrise parfaitement la logique, rend abordables et solubles les problèmes les plus inaccessibles qui soient. Engagé dans d'épiques combats visant à donner figure humaine à notre islam, ne refusant jamais les débats tant qu'ils ne sont pas stériles, ni basés sur la mauvaise foi, il «dépoussière» patiemment, presque passionnément dirait-on, des pans entiers de notre histoire ainsi que celle de l'islam pour prouver à tous que le choc des civilisations n'est qu'une hérésie n'ayant guère droit de cité chez les adeptes des religions monothéistes. Mais que le chemin est long entre l'acceptation de l'autre et la compréhension de ses appréhensions basées le plus souvent sur des incompréhensions ou des idées fausses à la peau dure. «Dure?». Pas tant que cela si l'on en croit le travail de fourmi qu'effectue le HCI avec abnégation. Cheikh Bouamrane, qui ne sait pas si c'est notre génération qui en profitera ou bien la suivante, ne se montre pas moins convaincu du triomphe de la tolérance sur toutes les autres considérations. Contraint, la mort dans l'âme, Hadj Bouamrane rappelle que le terrorisme est le produit de la «culture» occidentale. Le HCI, depuis qu'il a à sa tête un homme apte à dresser des ponts solides entre l'Occident et l'Orient, les mondes musulman et chrétien, oeuvre à éditer de nombreux livres, à en traduire d'autres, recouverts, oubliés par la poussière du temps, le tout dans le but de montrer à tous le véritable visage de l'islam, fait de tolérance, d'efforts moraux sur soi et de progrès scientifiques tendant vers le bien-être de la communauté. L'homme, qui privilégie la pédagogie basée sur les exemples sortis de l'histoire universelle, mais aussi de sa propre expérience, entame le propos en racontant avoir été «agressé» par des journalistes représentant une télévision italienne: «Les musulmans sont des terroristes!». Difficile d'ouvrir un débat avec des gens qui ont des idées autant arrêtées. Cheikh Bouamrane, qui évite les affrontements, mais au contraire, invite à des échanges féconds et riches, a été contraint de rappeler quand même que «le terrorisme est le produit de la société occidentale». Les exemples, à travers l'histoire récente de l'humanité, ne manquent pas, qui confirment cette thèse. Le point le plus important pour lui, en revanche, c'est que «la définition du terrorisme soit correctement faite au sein de l'ONU, la tâche étant d'autant plus aisée que le dictionnaire a déjà largement défriché le terrain». Les USA, qui n'hésitent plus à exercer leur hégémonisme sur toute l'humanité, et dont le président a osé utiliser le terme «croisades», en évoquant la lutte contre le terrorisme, empêchent précisément les Nations unies d'aller vers une pareille définition, maintenant exprès un grave amalgame, par exemple, entre le terrorisme sanguinaire d'une part, et le combat du peuple palestinien pour son indépendance de l'autre. Ce qui paraît être le plus désolant dans ce retour vers les «théories colonialistes», dans lesquelles il y aurait des races supérieures et d'autres inférieures, c'est que les choses se passaient autrement même du temps des croisades. Là encore, une belle anecdote nous est contée par notre invité. «L'armée des croisés, demeurée sans médecin, avait eu recours à un musulman pour tenter de soigner un homme qui avait la jambe gangrenée et une femme qui souffrait d'atroces douleurs au crâne. Prenant ombrage de cette intrusion, le médecin franc a pris les choses en main décidant de couper les deux jambes de l'homme pour être sûr de son fait, et de creuser le crâne de la femme sous prétexte que le diable s'y était réfugié. Les deux patients sont, comme de juste, morts des suites de ce traitement pour le moins barbare, alors que le praticien musulman, horrifié par une telle ignorance, s'est retiré discrètement sans faire le moindre commentaire». Il est vrai que les histoires abondant dans le même sens ne manquent pas, à commencer par le fait que les Français sous Louis XIV ne savaient pas se laver et ne l'ont appris qu'au contact des Arabes et des musulmans. Toujours est-il que Cheikh Bouamrane, qui admet volontiers que «la tâche est on ne peut plus difficile», garde un moral d'acier concernant le «possible dialogue entre les civilisations dans un climat serein basé sur la compréhension et les enrichissements mutuels». De même, il se défend de vouloir rappeler ces histoires pour glorifier un passé révolu et pleurer sur son sort. Il croit au contraire que «le sort de toutes les civilisations est de décliner un jour ou l'autre». Il ajoute que «l'étude de l'histoire permet d'accéder aux racines sans lesquelles il serait impossible de savoir véritablement vers où l'on va». Ainsi, la justesse du propos n'a d'égal que l'optimisme de cet homme de haute culture en train de reconstruire pas à pas, patiemment, amoureusement, l'ensemble des pans et ponts entre les civilisations que le nouvel ordre mondial et le terrorisme intégriste oeuvrent à détruire méthodiquement.