Le pétrole syrien allume le feu entre la Turquie et les puissances occidentales avec cette question: l'EI vend-elle son pétrole à la Turquie? L'armée de l'air des pays occidentaux a massivement bombardé des sites de l'Etat islamique dans les provinces de Rakka, d'Alep, d'Idlib et de Deir ez-Zor. Même le général russe, Andreï Kartapolov, le chef des opérations militaires russes en Syrie, cité par l'agence de presse russe RIA Novosti a fait état de cette pratique. L'aviation russe a en outre reçu l'ordre de tirer à vue sur les camions-citernes transportant des produits pétroliers dans les zones contrôlées par l'EI. Le général Kartapolov ne précise pas le mode opératoire des avions russes, leur altitude lors de leurs frappes ni leurs moyens de reconnaître un camion-citerne appartenant aux djihadistes de l'EI. L'organisation djihadiste contrôle la majorité des champs pétrolifères de Syrie, notamment dans la province de Deir ez-Zor, et les camions-citernes et sites d'approvisionnement en pétrole fournissent de précieux revenus à l'organisation djihadiste. Le Pentagone avait annoncé la destruction par la coalition conduite par les Etats-Unis de 116 camions-citernes utilisés par l'EI près de Boukamal, une localité tenue par l'organisation djihadiste à la frontière de l'Irak. De nombreux pays soulignent que le pétrole de Daesh passe par la Turquie. D'ailleurs, les avions français, russes et américains ont fait des convois de camions transportant ce pétrole une de leurs cibles privilégiées. Tous se demandent s'il s'agit d'une contrebande à grande échelle organisée par des réseaux mafieux, ou d'un trafic soutenu par le président Erdogan qui demande des preuves. La Russie soutient la seconde version, photos aériennes et satellites à l'appui. Dans une conférence de presse organisée au ministère de la Défense de la Fédération de Russie le 2 décembre, les plus hauts gradés russes n'ont pas ménagé leurs efforts pour convaincre la presse internationale. Selon eux, plus de 8500 camions-citernes auraient déjà transporté 200.000 tonnes de pétrole vers la Turquie. Le pétrole alimenterait deux raffineries à Batman et Cizre, ou serait chargé sur des bateaux dans les ports de Dortyol et d'Iskenderun. Les généraux russes estiment que chaque jour, un pétrolier part de ces ports avec les soutes pleines. Les documents russes semblent indiquer que les camions franchissent la frontière sans contrôle. Les ventes illégales de pétrole auraient rapporté en 2014 plus de 3 millions de dollars par jour. Un chiffre divisé par deux depuis les bombardements intensifs des différents pays engagés contre Daesh. Toujours selon les Russes, ce pétrole serait en partie payé en armes avec l'envoi pendant la seule dernière semaine de novembre 2015 de 2000 combattants, 120 tonnes de munitions et 250 véhicules de combat. Selon la presse occidentale, citant Mark Toner, porte-parole du département d'Etat des USA, celui-ci rejette «entièrement l'hypothèse selon laquelle le gouvernement turc est en cheville avec le groupe Etat islamique pour faire passer du pétrole de contrebande à sa frontière. Ce que nous avons vu, c'est que le groupe Etat islamique (...) vend son pétrole au pied des puits en Syrie et en Irak à des contrebandiers, intermédiaires ou transporteurs», dit-il. Il estime que cette contrebande de pétrole vers la Turquie «est une pratique vieille de plusieurs décennies, antérieure au groupe Etat islamique». Toujours est-il que depuis le 26 novembre 2015, deux journalistes turcs du journal Cumhuriyet, Can Dündar et Erdem Gül, sont emprisonnés en Turquie. Ils sont accusés d'espionnage et de terrorisme pour avoir publié des photos montrant la livraison à des groupes islamistes syriens par les services secrets turcs d'armes transportées dans un «convoi humanitaire». Plusieurs dizaines de gendarmes et magistrats qui avaient participé à l'interception du convoi ont d'ailleurs également été incarcérés.