«On me traitait de femme légère parce que je travaillais dans une salle de cinéma... Moi je m'en foutais car j'étais très large d'esprit et forte de caractère...», a-t-elle fait remarquer avec son franc-parler et sa spontanéité caractérisée. La salle El Khiyam, ex-Debussy a abrité jeudi après-midi la projection en avant-première du documentaire de 30 mn, Khadra et les autres de Sihem Merad qui fera remarquer en fin de projection que le film est un teaser et que celui-ci sera amené à être développé. Fort heureusement car comme dira notre confrère Kaddour M'Hamsadji, ce bout d'essai gagnerait à être revu et rallongé et être donné à la nouvelle génération comme signe de renouveau et d'espoir pour la Cinémathèque algérienne mais pas que cela. Organisé par le HCA en partenariat avec l'APC d'Alger-Centre, Khadra et les autres nous a donné en tout cas l'envie de connaître un peu plus sur ce petit bout de femme qui a tout l'air d'une grande pour avoir porté sur ses épaules et ce durant des décennies la Cinémathèque algérienne d'abord, en étant ouvreuse et caissière placeuse puis responsable de salle. Elle aura de ce fait côtoyé les plus grands cinéastes du monde qui se bousculaient à l'époque pour venir présenter leur film dans cette Cinémathèque sise à la rue Larbi Ben M'hidi. Pour la réalisatrice Sihem Merad rencontrer cette femme était comme découvrir le trésor de la mémoire cachée de la Cinémathèque. Il fallait en faire un film. Un choix en effet judicieux tant cette femme a des choses à nous apprendre sur le passé «glorieux» de cette institution qui, aujourd'hui, peine à démarrer et surtout prendre son envol à nouveau. Aussi, la caméra de Sihem Merad va suivre Khadra dans ses pérégrinations journalières et ses retrouvailles avec ses anciens camarades de la Cinémathèque puisque mise à la retraite depuis quelques années maintenant. Sur des notes de musique diwan signées Abdelhakim Aït Aissa, nous suivons Khadra dans ses déambulations dans la rue de Tanger, à Alger achetant des petits gâteaux à son invitée qui n'est autre que celle qu'elle considère comme sa propre fille Samira Kaddour et que Khadra et Boujemaâ Kareche avaient prise sous leurs ailes à l'époque pour devenir projectionniste à la Cinémathèque et ainsi se faire remarquer par la suite par le réalisateur Tarik Teguia qui lui donnera la chance de camper le premier rôle titre dans le film Roma wela ntouma. Depuis, Samira et Khadra ne se quittent plus. Et la jeune fille de continuer à rendre visite à Khadra qui se plaît à lui transmettre la mémoire de cette Cinémathèque à la nouvelle génération. Même si ce n'est pas assez. Car comme dira Djoher Amhis, présente parmi l'assistance, il est impératif que Khadra fasse un livre pour témoigner de ce passé-là, à jamais révolu. Khadra en fait, informe son invitée d'un casting, d'un film qui va avoir lieu bientôt et lui conseille d'y aller pour poursuivre sa carrière au cinéma. Il s'agit de Les intrus de Hazourli. «On se ressemble toi et moi», dira Khadra dans le film à son hôte. Et de confier encore: «On me traitait de femme légère parce que je travaillais dans une salle de cinéma. On disait que je menais une vie un peu facile. C'était un peu perturbant au regard des gens. Moi je m'en foutais, j'étais très large d'esprit et forte de caractère. De la maison, nous retrouvons Khadra au seuil de la porte de la Cinémathèque saluant son ami celui que l'on surnomma «El Agoun» le muet. Pour Djameleddine Merdaci, interrogé dans le film «Khadra pouvait montrer qu'on pouvait être femme algérienne et assurer une responsabilité. Elle a été l'accompagnatrice de l'éveil du cinéma». C'est en 2009, pendant la fermeture et les travaux au sein de la Cinémathèque, qu'a commencé le travail de Sihem Merad. Celle ci- revoie les quelques images de cette Cinémathèque en chantier avec Khadra dans ce film qui nous montre un établissement méconnaissable car en reconstruction. Khadra explique comment au niveau de l'issue de secours des enfants se faufilaient clandestinement pour venir voir un film. Elle nous révélera aussi avec un gros pincement au coeur le laisser-aller, labandon de pas mal d'archives comme des affiches et autres documents, qu'elle prendra chez elle avoue-t-elle pendant le débat et qu'elle tient en sa possession par souci de préservation pour ceux qui l'accuseraient de vol. Le documentaire évoque aussi la mémoire de Ahmed Hocine, le fondateur de la Cinémathèque comme il fait un clin d'oeil à Boujemaâ Kareche qui avait repris haut la main le flambeau, d'abord par le biais de Khadra qui récupère son livre oublié à la bibliothèque d'El Hamma, là où elle travaille aujourd'hui au HCA dans l'organisation du Festival du film amazigh, et dans un second temps, dans les mains, de Samira Kaddour, en train de lire le livre au Mama. Khadra évoque aussi comment elle ne cessera de travailler pendant les années noires. Ces années où elle vivra encerclée «entre les bombes «et puis le travail éducatif que la Cinémathèque menait en faveur des enfants victimes du terrorisme. D'ailleurs, le film de Sihem Merad se clôt sur cette image d'élèves venus assister au film L'inspecteur Tahar au sein de la Cinémathèque pour perpétuer cette tradition de faire aimer le cinéma aux enfants. Autre figure que Khadra retrouve à la Cinémathèque est Djaâfer Auali qui travaille aussi à la Cinémathèque. A propos de Bouelam Boukhroufa, surnommé le «muet», Khadra confiera qu'il a grandi à la Cinémathèque car il y venait depuis l'âge de 17 ans «. Khadra Boudham estimera en effet qu'elle passait la majeure partie de sa vie à la Cinémathèque tout en regrettant amèrement d'avoir été écartée de cette «université culturelle», affirmant «je me considère comme une artiste car j'ai évolué dans le monde du cinéma et de la culture... «Gageons que le reste du film saura défricher encore plus cette mémoire inépuisable qui a sans doute encore beaucoup de choses à dire, avant les sempiternels hommages des adieux...