Notre histoire sera orpheline d'Ait Ahmed Ainsi se termine un parcours militant bâti: c'est l'Histoire qui se chargera désormais de la statue de ce géant. C'est drôle de parler de Hocine Aït Ahmed au passé mais l'horloge biologique en a décidé ainsi. Le dernier des chefs historiques de l'Algérie indépendante ne fait plus partie de ce monde. Hocine Aït-Ahmed, est décédé hier, à Lausanne (Suisse) à l'âge de 89 ans. Même pressentie depuis longtemps, notamment après une série d'accidents vasculaires cérébraux (AVC) en janvier dernier, la nouvelle est tombée hier, tel un couperet... Il s'agissait du dernier des dirigeants historiques de la Révolution algérienne et leader charismatique du Front des forces socialistes (FFS), dont il est le père fondateur. Avec la disparition de ce dernier des géants, c'est un grand chapitre de l'histoire de l'Algérie qui vient d'être clôturé. Tout est exception chez cet homme exceptionnel. A la fois rebelle, chef politique, chef militaire et diplomate, l'homme na jamais renoncé à ses idéaux de lutte pour la liberté et les droits de l'homme. Sa vie et son combat sont indissociables de l'histoire de notre pays. Que dire de cet homme au parcours riche dont les moindres faits et gestes ont été répertoriés par les plus grand historiens spécialistes du Mouvement national. Un militant politique anticolonialiste, antimilitariste, intègre, fermement engagé. Notre génération, celle de l'après-indépendance totalement sevrée de l'histoire et des hommes qui l'ont façonnée découvre Hocine Aït Ahmed avec l'ouverture politique en 1989. C'était lors de l'émission la plus suivie de l'Entv Liqaa Essahafa (Rencontre avec la presse) que nous voyons discourir cet homme avec sincérité, panache et sans langue de bois. Nous devons surtout à l'homme une pédagogie politique et une démystification de l'Histoire. Le géant Aït Ahmed n'a pas hésité à reprendre en 1989 son bâton de pèlerin pour animer des meetings et expliquer aux populations, dans un langage simple, le rôle d'un élu local et redonner aux Algériennes et Algériens confiance en eux-mêmes pour reprendre en main pacifiquement leur destin. C'est lui qui dénonçait sans concession la police politique et la nécessité d'enseigner les droits de l'homme. Nous découvrons Aït Ahmed sur les hauteurs d'Alger sous une tente où il tenait un sit-in pour obtenir un siège à son parti. Nous découvrons Aït Ahmed un certain 31 décembre 1991, après l'annonce des résultats des élections législatives et du raz-de-marée du FIS dissous. Lors de ces premières élections législatives plurielles de l'Algérie indépendante, son parti, le FFS était classé en deuxième position après le FIS dissous. La peur planait sur le pays. Les extrémistes islamistes avaient pris le pouvoir. Tous les regards étaient braqués sur Aït Ahmed. On se posait alors la question. Que va faire le Zaim? Quelle sera sa position? «Ni Etat policier ni Etat intégriste», c'est le slogan du FFS. Aït Ahmed appelle à la marche, la fameuse marche du 2 janvier 1992. Un raz-de-marée qui marquera l'histoire politique du pays. Elle a permis de rassembler les démocrates et de briser le mur de la peur des islamistes. Nous découvrons Aït Ahmed quelques années plus tard à Sant'Egidio, siégeant avec des partis d'opposition clamant à qui voulait l'entendre la Réconciliation nationale. Quel péché à l'époque que d'oser parler de la Réconciliation! Nous découvrons Aït Ahmed des années plus tard, en 1999, en tant que candidat à la présidentielle avant de se retirer la veille du scrutin. C'est notre histoire qui est orpheline de cet homme. C'est le seul opposant au régime qui force le respect au sein même des hommes qui constituent le coeur de ce régime. Au péril de sa vie, il a eu un parcours militant inébranlable construit de granit et l'Histoire se chargera désormais de la statue de ce géant. Telle fut l'histoire courte et brève de notre génération avec le défunt Hocine Aït Ahmed. On nous a sevrés de tout même de cet homme qui incarnait la révolution.