Un homme de conviction et d'action Ait Ahmed avait un seul mot d'ordre: «Ne tirez pas sur les soldats algériens sauf si vos vies sont en danger», témoignent-ils. Ces maquisards dignes n'ont pas cédé à la fatigue, à la maladie et surtout au poids des ans. Ils sont quasiment en nombre à se présenter au siège de la fédération de Tizi Ouzou pour faire leurs adieux au leader Hocine Ait Ahmed. Ils sont presque tous à un âge avancé, les 80 ans, les 90 ans. Les plus jeunes ont atteint les 70 ans. Il faut dire aussi que la vie n'a pas été avare en déceptions avec cette catégorie de moudjahidine dont certains ont fait le maquis de 1954 à 1962 avant d'y retourner en 1963. Profitant de leur forte présence en ces circonstances douloureuses de la disparition de Hocine Ait Ahmed, nous avons voulu leur poser une foule de questions en relation avec le défunt et aussi sur leurs douloureux souvenirs des maquis de 1963. Autour d'une table d'un café populaire de la ville de Tizi Ouzou, nous avons longuement conversé avec eux. Les souvenirs fusaient à un rythme qui a largement submergé nos questions. L'Expression: Racontez-nous vos souvenirs des moments vécus avec le leader Ait Ahmed. Abdelkader Aït Bendris: J'ai connu Si L'hocine à Yattafen. Il a habité pendant une période de quelques mois au village Ath Daoud dans la maison de la famille Hamane. C'était de là qu'il dirigeait les opérations lors du soulèvement de 1963. J'ai beaucoup de souvenirs de cette période que nous avons passée au maquis avec des camarades dont certains ne sont plus de ce monde. Il y a des moments vraiment très forts. Ils sont inoubliables. Je vais vous raconter à titre d'exemple un accrochage que nous avions eu avec les forces de Ben Bella. Les gens de la région se souviennent tous de l'accrochage d'Ath Reggane. Cela s'est passé à Ouacifs. L'Expression: M.Djaffar Dermèche, pouvez-vous nous raconter ce que vous avez connu à cette époque? Djaffar Dermèche: Pour être sincère avec vous, je ne peux rien dire aujourd'hui. Je perds un père deux fois. Après le mien voilà qu'un autre s'en va. (Notre interlocuteur avait les larmes aux yeux). Moi j'ai été arrêté et mis en prison lors d'un accrochage à Aït Meslayen le 27 ou le 28 juillet. J'étais en compagnie de six camarades. Je suis l'un des prisonniers qui ont survécu aux affres des geôles de l'Algérie indépendante. Le mal c'était que nous avions participé à la libération de notre pays dont le pouvoir nous a jetés en prison. Nous n'avons pas connu la joie de l'indépendance qu'un million et demi de nos frères ont payée de leur sang. L'Expression: Aâmi Lhadj, et vous qu'est-ce que vous pouvez nous dire de Si Lhocine. Aâmi Lhadj: C'est difficile de parler d'un homme comme lui. Vous savez, mes enfants, il y a des millions de témoignages mais ils vous diront tous la même chose. Si Lhocine est le genre d'homme que le temps et les vicissitudes de la vie ne peuvent point changer. Moi je l'ai connu intègre jusqu'au dernier souffle. Des principes immuables ont caractérisé sa vie et son combat. Abdlekader Aït Bendris: Vous savez, mon ami m'a rappelé un point très important que l'Histoire ne doit jamais laisser passer inaperçu. Lors de l'insurrection de 1963, Si Lhocine avait un mot d'ordre qu'il a donné à nous tous. «Ne tirez jamais sur les soldats algériens, hormis dans les situations où vous sentez le danger pour vos vies.» Même au maquis, armes à la main, les instructions de Si Lhocine étaient claires: «Ne tirez une balle que pour défendre vos vies.» D'ailleurs l'accrochage d'Aït Reggane à Ouacifs était l'illustration parfaite. Cela s'est passé fin juillet. Devant les feux nourris des soldats de l'ANP, c'était notre camarade Si Ouarab qui nous a fait sortir en tirant sur l'engin qui bombardait notre zone de repli. Il a pu nous frayer un chemin en nous couvrant. Nous avons perdu des frères mais nous avons respecté le mot d'ordre. Aâmi Lhadj: J'ai comme un sentiment de regret que nos responsables aient signé la paix avec Ben Bella avant que les accords ne soient officialisés. Je me souviens, sous le commandement de M. Yaha Abdelhafidh nous avons remis les armes à Taqa Naït Yahia. Cela devait être un 14 ou un 15 juin. Et le coup d'Etat de Boumediene a balayé les accords. Tu sais, mon fils, c'est notre seule conviction qui guide nos pas. L'amour pour l'Algérie. Si Lhocine avait cette conviction dans le sang. Même dans les moments de turpitude il n'a rien fait qui puisse nuire à l'Algérie. Il n'arrêtait pas de répéter lors de l'insurrection de 1963. «Ne tirez jamais une balle sur un soldat algérien sauf si votre vie est réellement en danger.» Un jour, si Dieu nous prête vie, je vous raconterai mes faits lors de la guerre de libération, ici dans la ville de Tizi Ouzou. J'étais un poseur de bombes. Aâmi Hmed de Boghni: J'ai toujours eu un grand respect pour Si Lhocine. J'ai fait le maquis lors de la guerre de libération et j'y suis retourné en 1963. J'étais dans la région de Boghni. Notre soulèvement était pour l'accomplissement des objectifs du congrès de la Soummam. Nous avions estimé que le peuple algérien ne s'était pas sacrifié durant huit longues années de guerre pour subir une autre dictature. L'Expression: Un mot pour les jeunes générations Abdelkader Aït Bendris: Je ne vais pas être long. C'est très simple. Je dirai aux jeunes de s'inspirer de la vie de Si Lhocine et de son amour pour l'Algérie. Je leur rappelle aussi son testament aux jeunes: «Faites du bien à l'Algérie.» Aâmi Lhadj: Les jeunes doivent chercher à connaître la vraie histoire de leur pays. Des hommes comme Si Lhocine, il faut s'en souvenir et ce ne sont pas les ennemis de l'Algérie qui vous en parleront. Aâmi Hmed: Aimez votre pays comme Si Lhocine l'a aimé si vous pouvez. Vous n'aurez pas un pays de rechange si vous le perdez.