Habib Yousfi. un regard lucide Le patron de la CGEA rejette l'essentiel des décisions prises par le gouvernement, les unes pour «leur dangerosité» économique et les autres parce que prises «unilatéralement». Depuis la chute des prix du pétrole, le gouvernement ne sait plus sur quel pied danser. Plusieurs décisions sont prises quotidiennement et même si, de prime abord, elles semblent faire l'unanimité, elles ne mobilisent pas que les partisans. Habib Yousfi, chef d'entreprise et président de la Confédération générale des entreprises algériennes, sans vouloir se substituer aux politiques rejette dans le fond et dans la forme les décisions de l'équipe gouvernementale car, dit-il, elles vont à l'encontre des idées pour lesquelles il milite depuis plus de 25 ans. «La Cgea milite pour une vie décente pour l'ensemble des Algériens, une vie basée sur une vision consensuelle. Nous ne militons pas pour l'enrichissement d'une minorité au détriment de la collectivité nationale», nous a-t-il expliqué avant d'ajouter: «Notre vision diffère de celles des autres organisations patronales. En effet, d'aucuns privilégient les grandes entreprises, autrement dit l'économie des champions. Nous ne sommes pas fondamentalement contre cette vision car, de toute manière, certains entrepreneurs finissent toujours par émerger et devenir des champions. Néanmoins, à la Cgea, nous considérons que les efforts de l'Etat doivent être orientés vers les PME et toute la stratégie économique du pays doit reposer sur ça, car ce sont les PME qui génèrent le plus d'emplois. De plus, d'un point de vue managérial, les PME sont plus faciles à gérer». Cette vision de Habib Yousfi cadre parfaitement bien avec l'exemple espagnol qui a montré sa performance. En effet, l'Espagne, pays pourtant de tradition économique bullioniste, a axé toute sa stratégie économique sur les PME et celles-ci englobent aujourd'hui plus de 70% de la main-d'oeuvre active dans la péninsule Ibérique. Ceci n'est pas le seul talon d'Achille de l'économie algérienne qu'a relevé Habib Yousfi. Selon lui, le gouvernement algérien n'a pas de stratégie et ne coopère pas avec les patrons. «Le gouvernement algérien navigue à vue dans le domaine de l'économie. Aucune vision à long terme. Une instabilité chronique caractérise sa démarche», a-t-il tranché. Abordant l'article 66 de la LF 2016 qui prévoit l'ouverture du capital des entreprises publiques au privé national résident, Habib Yousfi a fait savoir qu'avant de «liquider ces entreprises au profit de certains patrons», il est plus judicieux de régler le «management des entreprises publiques». Or, remarque-t-il, rien n'est fait dans ce sens et c'est, naturellement, «la solution facile qui a été choisie» sous la pression de quelques entrepreneurs qui s'emploient à monopoliser le travail de lobbying auprès du gouvernement. Interrogé sur le crédit à la consommation qui vient d'entrer en vigueur et qui a été présenté comme un instrument de dynamisation et d'encouragement de la production nationale, Habib Yousfi a indiqué que «cette loi est antiéconomique». «On veut aider la production nationale à travers la mise en place du crédit à la consommation. Cette mesure n'a aucun sens. Elle est antiéconomique. Car elle épargne aux entreprises algériennes l'effort de commercialiser leurs produits. Or, une entreprise, pour qu'elle survive, doit apprendre et faire des efforts pour commercialiser ses produits. Le gouvernement est en train de paralyser les entreprises nationales en les assistant. Dernièrement, Bouchouareb a dit que l'on ne sait pas exporter. A travers cette mesure, on va désapprendre même à commercer, y compris au niveau local», a-t-il analysé, mais pas seulement. En effet, le crédit à la consommation, en plus des effets néfastes qu'il entraîne sur le plan économique, fait mettre à genoux les ménages. «L'inflation, la flambée des prix, la baisse de la valeur du dinar ainsi que la masse des taxes instituées par la LF 2016 vont abattre les ménages et accentuer l'endettement. Et cette situation va, sans nul doute, se retourner contre l'Etat,» a-t-il fait savoir. La relation de travail est aussi mise en cause par Habib Yousfi qui considère qu'elle recèle toujours les réflexes de l'époque socialiste et qu'il convient, absolument, de la réformer et de l'adapter aux données actuelles du marché. Mais ce qui semble le plus affligeant dans la situation actuelle, c'est le fait que le gouvernement n'associe pas les patrons à la prise de décisions, y compris à titre consultatif. «Le gouvernement ne coopère pas avec les patrons. Il ne les consulte même pas. Par exemple, le gouvernement ne nous a jamais demandé notre avis sur les lois de finances et les lois de finances complémentaires. C'est un non-sens surtout que plusieurs des décisions qu'il prend concernent les entreprises. La tripartite, qui se doit d'être un grand moment de coopération et de concertation entre le gouvernement, la Centrale syndicale et le patronat, n'est qu'une simple messe où des échanges d'idées sans perspectives se font», a-t-il souligné en pointant du doigt «le rapprochement suspect» entre le FCE et l'Exécutif. «Depuis quelque temps, le gouvernement fait une discrimination flagrante entre les organisations patronales. Cette démarche sélective et discriminatoire ne pourra rien apporter. C'est inacceptable», s'est-il insurgé. Par ailleurs, le patron de la Confédération générale des entreprises algériennes, plus vieille organisation patronale en Algérie et qui plus est, est présente à l'échelle internationale, la Cgea étant membre du Bureau international du travail, membre de l'Organisation internationale des employeurs, membre fondateur et titulaire de la vice-présidence de Business Med et membre de l'Organisation patronale panafricaine, a plaidé pour un consensus économique national durable. «Nous ne prétendons pas nous substituer à des décisions gouvernementales, ce n'est pas notre rôle, mais nous demandons une concertation sur toutes les décisions majeures qui touchent l'économie. Le Pacte économique et social qui a été signé par toutes les parties stipule que le dialogue doit être permanent. Malheureusement, ce Pacte n'a pas été concrétisé sur le terrain. Il faut le réhabiliter», a-t-il soutenu en soulignant doctement que «pour avancer, il faut mobiliser toutes les potentialités».