La liste des victimes de l'attentat de Najaf ne cesse de s'allonger. L'accalmie qui prévalait dans le pays chiite depuis la fin de la rébellion de Moqtada Sadr, au printemps dernier, semble être arrivée à son terme avec les sanglants attentats commis à quelques heures d'intervalle dans les villes saintes de Kerbala et de Najaf. Dans cette dernière ville, le bilan est particulièrement lourd avec 52 morts et 140 blessés alors qu'à Kerbala, il a été relevé 14 morts et 57 blessés. Le gouverneur de Najaf, Adnane Zorfi, qui a donné hier les derniers bilans des deux attentats dans les deux principales villes du chiisme irakien, tout en affirmant qu'il y avait «une connexion entre les deux attentats de Najaf et Kerbala» a indiqué que «l'opération s'inscrit dans la guerre sectaire menée par les terroristes à l'intérieur et à l'extérieur de l'Irak pour entraver le processus démocratique et pour annuler les élections» (du 30 janvier, Ndlr). De son côté, le Premier ministre intérimaire, Iyad Allaoui, a indiqué à la presse que «le message (de ces attaques) montre la résolution (des rebelles) à détruire l'unité du pays et d'y fomenter une guerre confessionnelle». M.Allaoui faisait quelque part écho aux propos d'un dignitaire chiite, le grand ayatollah, Mohamed Said Al-Hakim, l'un des quatre «Marja'a» (référents religieux pour les chiites irakiens) qui, réagissant aux attentats de Kerbala et Najaf, a déclaré que ces agressions visaient, selon lui, «à fomenter la sédition et à déstabiliser le pays» appelant les autorités irakiennes «à tout faire pour arrêter les commanditaires» de ces violences. De fait, les chefs chiites sont unanimes pour dire que ces attentats, outre de vouloir empêcher les élections, -dans lesquelles les chiites ont une très belle carte à jouer-, ont pour objectif d'enclencher la guerre civile et plus encore le démembrement du pays. Certes, toutefois, quels que soient les intentions et messages que véhiculent ces attentats à répétition, il reste le fait patent que la situation générale en Irak ne permet pas (actuellement) l'organisation, dans des conditions acceptables, du scrutin le 30 janvier, d'autant plus que cette consultation engagera pour la durée le futur de l'Irak. Il y a là deux volontés antagonistes qui s'affrontent au grand malheur des Irakiens, celle du gouvernement intérimaire irakien, -qui veut tenir ce scrutin, quoi qu'il puisse en coûter pour le pays et le peuple irakien-, et celle de la guérilla, -qui veut certes saboter cette consultation électorale en s'en prenant à la partie la plus faible, les civils irakiens, mais dont les intentions restent peu claires -. Dans ce macabre et cruel face à face tous les coups sont permis et aucune partie en vérité n'en sort indemne tant des intérêts étroits prennent de fait le pas sur celui du devenir de ce pays, meurtri par trois décennies de dictature. Au total, l'Irak va mal, avec la reprise des violences dans la région chiite et la persistance des combats dans la région sunnite, notamment à Falloujah, qui résiste toujours, -plus d'un mois, après l'opération engagée le 8 novembre dernier par les forces américaines-, et à Mossoul où la multiplication des attentats kamikazes rend dérisoire les explications que fournissent les représentants du gouvernement intérimaire et des forces d'occupation américaines. Hier, les habitants de Najaf et Kerbala étaient encore sous le choc de ce double attentat qui a fait de nombreuses victimes, attentat attribué par la police locale à Al Qaîda, qui estime que c'est là la signature de l'organisation de l'insaisissable Oussama Ben Laden, sans toutefois étayer cette conviction. Ailleurs en Irak, la journée d'hier a fourni son lot de victimes avec l'assassinat de cinq policiers turcs en pays kurde, alors qu'à Samara, au nord de Bagdad, trois étrangers présumés et un Irakien ont été tués dans un attentat qui a visé un transport public. Les policiers turcs, au nombre de huit, se rendaient à l'ambassade de Turquie à Bagdad pour y relever leurs collègues, cinq d'entre eux ont été tués dans une embuscade près de Mossoul, en même temps que deux de leurs chauffeurs irakiens. Les autorités turques dont plusieurs de leurs nationaux, notamment des chauffeurs de poids lourds, ont été assassinés ces derniers mois en Irak, ne décolèrent pas et condamnent ces forfaits contre leurs concitoyens ces «nouveaux martyrs», comme l'indique le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan qui, tout en précisant que «près de 80 Turks» ont été tués en Irak, souligne: «Les terroristes n'ont ni religion, ni race, ni pays», alors que son chef de la diplomatie, Abdullah Gül renchérit: «Il y a en Irak des traîtres qui ne saisissent pas les efforts déployés par la Turquie pour sauvegarder l'intégrité politique et territoriale de ce pays» l'Irak. La recrudescence de la violence et le chaos qui l'accompagne montrent que l'Irak n'est ni prêt ni mûr pour accomplir ce geste salvateur de mettre un bulletin dans l'urne.