Le ras-le-bol des Tunisiens prend de l'ampleur Il aura suffi d'un abus de pouvoir à Kasserine où le délégué de région a rayé le nom du jeune Ridha Yahyaoui de la liste des candidats à la fonction publique pour que le feu de la révolte embrase cette localité, avant de se répandre à travers tout le pays. La grogne de Kasserine a vite fait de dégénérer en manifestations de colère qui gagnent de plus en plus de villes. Depuis mercredi dernier, les troubles se sont en effet répandus à Kasserine, Béja, Jendouba, Skhira, Le Kram, au point que, dans certains cercles, on s'interroge sur la spontanéité plus ou moins douteuse des échauffourées, évoquant même des commanditaires qui distribueraient de l'argent à cette fin. Une fois de plus, le pouvoir central, accusé de léthargie face aux graves préoccupations des régions et surtout des jeunes dramatiquement éprouvés par le chômage, se retrouve confronté à un mouvement de masse dont nul ne peut dire quand ni comment il pourrait finir. La rue tunisienne bouillonne depuis de longs mois, la crise est endémique, mais elle s'est davantage accentuée depuis que des attentats ont frappé le Musée du Bardo, à Tunis, et l'hôtel Marhaba, à Sousse, portant atteinte à une des principales ressources du pays, le tourisme. La riposte du gouvernement, face aux saccages et aux pillages dans les environs de la capitale, a consisté hier en un couvre-feu imposé sur tout le territoire. Il aura suffi d'un abus de pouvoir à Kasserine où le délégué de région a rayé le nom du jeune Ridha Yahyaoui de la liste des candidats à la fonction publique, condamnant cet homme de 28 ans au désespoir et au suicide puisqu'il s'est volontairement électrocuté, pour que le feu de la révolte embrase cette localité, avant de se répandre à travers tout le pays. Il semble que les habitants de Kasserine aient déjà mal accepté la sortie d'un fils de la ville, ministre de l'Intérieur, du gouvernement Essid 2, et que l'affaire Yahyaoui a été la goutte qui a fait déborder le vase. La réaction qui s'est traduite par le limogeage du délégué coupable n'aura pas suffi à contenter la population, les jeunes de plus en plus nombreux réclamant une réponse à leur longue attente. Peu à peu, la violence est montée de plusieurs crans, non seulement à Kasserine mais également à Thala, Feriana, Béjà, El Fahs, Siliana et Tunis où des actes de vandalisme ont été commis dans la nuit de jeudi à vendredi, contraignant le gouvernement, sitôt Habib Essid rentré de son voyage à Davos, à décréter le couvre-feu sur l'ensemble du territoire tunisien. Dans plusieurs villes et même dans la capitale, les manifestants sont parvenus à investir les sièges de gouvernorat où ils auraient, disent certaines sources, incendié des bâtiments administratifs. Des interrogations sur la spontanéité de la révolte Le fait est que le gouvernement espérait, au terme d'un Conseil ministériel ad hoc et de plusieurs mesures d'apaisement telles que le paiement des salaires d'une frange de jeunes en contrat avec la fonction publique depuis avril 2015 ou l'élargissement de la liste des postulants mais peine perdue. Les appels au calme semblent n'avoir d'autre effet que de cristalliser la colère des manifestants, surtout que plusieurs dirigeants politiques sont montés au créneau pour fustiger la gestion des affaires par le gouvernement Essid. Et les réseaux sociaux leur ont aussitôt emboîté le pas, imitant ainsi des médias comme Al Mustakilla et plus encore Al Jazeera. L'opportunisme de certains cercles à prendre prétexte de la colère de la rue pour fustiger le régime a légitimement conduit à des interrogations sur la spontanéité des protestations de plus en plus violentes. Selon des témoignages recueillis dans plusieurs rédactions, des sommes conséquentes auraient été distribuées pour stimuler les agitateurs mais c'est une information qui exige une certaine prudence car il n'est pas exclu qu'elle vise à diaboliser les manifestants, le premier à lâcher cette accusation ayant été le porte-parole du ministère de l'Intérieur sur la radio Express FM où il évoquait l'usage de cocktails Molotov et les tentatives d'incendies des édifices publics. Un mode de gestion incompris par les jeunes Cela étant, des témoignages crédibles ont argué de la présence parmi les manifestants de familles de terroristes arrêtés dans la région ainsi que de contrebandiers notoires dont le commerce illicite a périclité avec la crise qui affecte les zones frontalières algéro-tunisiennes. Le secrétaire général adjoint de l'Ugtt, Sami Tahri, a même accusé les auteurs de vandalisme dans le nord-ouest du pays d'être des intrus, ce qui laisse supposer qu'ils proviendraient de ces zones de contrebande. Se fiant aux rapports des bureaux régionaux et locaux de la Centrale syndicale qui voient là une tactique des groupes terroristes pour se dégager de l'étau militaire dans les montagnes, il conforte ainsi la thèse d'un financement de l'ombre qui vise à enflammer le pays tout entier pour bénéficier du chaos. Une enquête est ouverte par le gouvernement Essid pour connaître les tenants et les aboutissants de cette révolte qui aura coûté la vie à deux personnes, le jeune de Kasserine et un membre des forces de l'ordre, ainsi que 80 blessés dont 43 policiers et gendarmes.En somme, la Tunisie est, depuis 2011, au-dessus du volcan et il ne sert à rien de recevoir le prix Nobel de la paix quand le pays a cruellement besoin des sommes promises par l'Union européenne et d'autres pays occidentaux si prompts aux louanges sans conséquences matérielles aucunes. Le mode de gestion incarné par le président Béji Caïd Essebsi semble pour le moins incompris par les quelque 900.000 jeunes demandeurs d'emploi dont 250.000 diplômés de l'université, impatients de récolter les fruits d'une révolution dont ils ont cru trop vite qu'elle allait leur apporter les clés du paradis. Leur déception face aux réalités amères est en soi une raison amplement suffisante pour générer colère et désespoir, des sentiments qui ont tôt fait d'être exploités par les agitateurs en eaux troubles et les adeptes d'une instabilité chronique qui leur assure des dividendes évidents. La Tunisie représente une pièce essentielle pour l'Algérie qui partage une frontière et surtout une histoire commune, empreinte de solidarité et de défis sécuritaires majeurs. Pour l'Algérie, le moindre soubresaut qui affecte ce pays frère a un effet papillon aussi bien sur le plan politico-économique que sur le plan stratégique et, pour cette raison fondamentale, une attention et un suivi scrupuleux vont être consacrés à l'évolution des événements. Les tentatives d'exacerber les tensions, avec le saccage de plusieurs postes de police et de bâtiments officiels, dans le contexte que connaît la région actuellement, sont des indices qui ne peuvent être pris à la légère et on attend avec intérêt la réunion, aujourd'hui, de la cellule de crise mise en place par les autorités du pays ainsi que la tenue d'un Conseil des ministres exceptionnel dont l'intention est de faire la lumière sur les conséquences évidentes et latentes de l'incident de Kasserine. La France annonce «un plan de soutien d'un milliard d'euros» sur cinq ans Le président français François Hollande a annoncé hier que «la France mettrait en oeuvre un plan de soutien à la Tunisie d'un milliard d'euros sur les cinq prochaines années» alors que le pays est en proie à des troubles sociaux, selon un communiqué de l'Elysée. «Un des axes majeurs de ce plan vise à aider les régions défavorisées et la jeunesse, en mettant l'accent sur l'emploi», a spécifié la Présidence française, à l'issue d'un déjeuner entre M.Hollande et le Premier ministre tunisien Habib Essid à Paris. Le Premier ministre tunisien affirme que la situation est «maîtrisée» Le Premier ministre tunisien Habib Essid a affirmé hier que la situation était «maîtrisée» en Tunisie, où un couvre-feu a été décrété après plusieurs jours de contestation sociale d'une ampleur inédite depuis la révolution de 2011.»La situation se calme» et est «actuellement maîtrisée», a assuré Habib Essid à Paris, à l'issue d'un déjeuner avec le président François Hollande à l'Elysée. La Tunisie décrète un couvre-feu face à une contestation inédite depuis 2011 Un couvre-feu nocturne a été décrété hier dans toute la Tunisie, après plusieurs jours d'une contestation sociale inédite par son ampleur et sa durée depuis la révolution de 2011. Cinq ans après le renversement du régime de Zine El Abidine Ben Ali, des manifestations contre la misère et pour la justice sociale ont débuté dans la région défavorisée de Kasserine (centre) à la suite du décès samedi dernier d'un jeune chômeur. Le mouvement s'est propagé ces derniers jours à de nombreuses autres villes et a notamment été marqué la nuit dernière par des violences dans le Grand Tunis. Le couvre-feu a été décrété de 20h00 à 05h00 (19h00 à 04h00 GMT) «au vu des atteintes contre les propriétés publiques et privées et de ce que la poursuite de ces actes représente comme danger pour la sécurité de la patrie et des citoyens», selon le ministère de l'Intérieur. Une mesure similaire avait déjà été prise au soir de l'attentat suicide contre la sécurité présidentielle (12 agents tués) revendiqué par le groupe Etat islamique (EI) le 24 novembre à Tunis.