Le crédit à la consommation aura fatalement pour effet d'accroître les importations La popularité du crédit à la consommation a réussi à aboutir à un consensus autour de sa pertinence économique. Supprimé en 2009, le crédit à la consommation a été relancé par le gouvernement et vient d'entrer en vigueur. Abdelmadjid Sidi Saïd qui en a fait son cheval de bataille depuis 2011, a enfin eu gain de cause. Mais, semble-t-il, avant qu'il ne goûte à sa victoire, celle-ci commence déjà à être relative. En effet, plusieurs opérateurs économiques, économistes et experts financiers se sont élevé contre la remise en marche de ce mécanisme qui a été présenté par le gouvernement comme étant un instrument de soutien à la production nationale. Habib Yousfi, président de la Confédération générale des entreprises algériennes, a considéré, dans un entretien qu'il a accordé récemment à L'Expression, que «cette loi est antiéconomique». «On veut aider la production nationale à travers la mise en place du crédit à la consommation. Cette mesure n'a aucun sens. Elle est antiéconomique. Car elle épargne aux entreprises algériennes l'effort de commercialiser leurs produits. Or, une entreprise, pour qu'elle survive, doit apprendre et faire des efforts pour commercialiser ses produits. Le gouvernement est en train de paralyser les entreprises nationales en les assistant. Dernièrement, Bouchouareb a dit que l'on ne sait pas exporter. A travers cette mesure, on va désapprendre même à commercer, y compris au niveau local», a-t-il analysé. De plus, a-t-il ajouté, «le crédit à la consommation, en plus des effets néfastes qu'il entraîne sur le plan économique, fait mettre à genoux les ménages» et «l'inflation, la flambée des prix, la baisse de la valeur du dinar ainsi que la masse des taxes instituées par la LF 2016 vont abattre les ménages et accentuer l'endettement. Et cette situation va, sans nul doute, se retourner contre l'Etat». Kamel Benkoussa, ancien trader à la Bourse de Londres, estime, dans un passage sur Radio M que «le crédit à la consommation est une mesure suicidaire» pour l'économie nationale parce que, selon lui, «elle soutient l'importation». «A travers le crédit à la consommation, on veut nous faire croire que l'Algérie est un pays producteur. Mais on produit quoi? Les entreprises sont dans l'assemblage comme c'est le cas de l'usine Renault avec des capacités ridicules», a-t-il illustré non sans préciser que cette démarche vise à commercialiser la production de cette usine à tout prix et sans tenir compte de la rationalité économique». Lounès Hami, économiste, abonde lui aussi dans ce sens en soulignant que «cette loi ne pourrait donner des résultats que dans une économie productive où l'offre est réellement diversifiée, ce qui n'est pas le cas chez nous». Cet avis est partagé même par Abderrahmane Mebtoul qui, lui, pointe du doigt le taux d'intégration de l'industrie locale. «Le crédit à la consommation est, dans l'absolu, une bonne chose, mais il faut qu'il y ait un minimum de taux d'intégration pour qu'il ait un sens économique. Pour l'heure, le taux d'intégration est quasi insignifiant», a-t-il relevé. Il est vrai, par ailleurs, que le crédit à la consommation n'a pas que des adversaires. En effet, en plus de son promoteur initial, à savoir l'Ugta, il bénéficie du soutien actif de plusieurs patrons, notamment ceux du FCE, de la CAP et de la Caci. Pour le Forum des chefs d'entreprise, c'est même une revendication, y compris du temps de Rédha Hamiani. Certains patrons affiliés à cette organisation considèrent que «le crédit à la consommation intervient dans une période de baisse sensible des revenus des ménages, attaqués par la hausse des prix et l'inflation» et que, à ce titre, il va contribuer à amortir la baisse du pouvoir d'achat: les ménages pourront acquérir des biens en les payant à tempérament, plutôt que de les payer cash». Ils considèrent donc que c'est «une bonne chose». Même parmi les économistes connus sur la place, il y a ceux qui se rangent du côté du gouvernement pour défendre certaines de ces mesures. C'est le cas d'Abdelhak Lamiri, économiste et P-DG de l'Insim, qui soutient cette idée et considère que le crédit à la consommation doit être élargi «même à la formation». Du côté des banques, l'engouement est notable, y compris des banques privées. D'ailleurs, c'est BNP-Paribas qui a été la première à adopter la formule. Néanmoins, il est difficile de donner un point de vue tranché sur la question car, estiment certains observateurs, tout dépendra des politiques qui seront mises en place dans les prochains mois, le crédit à la consommation étant condamné à ne donner aucun résultat dans les conditions actuelles. Samir Bellal, économiste et spécialiste des questions de régulation, est intransigeant dans ce sens. «On dit que le crédit à la consommation est susceptible d'encourager la production nationale. Cela est vrai dans une économie contrainte par la demande, c'est-à-dire dans une économie où c'est la faiblesse de la demande qui pose problème. Pour beaucoup d'observateurs, l'économie algérienne n'a pas cette configuration. Dans une économie contrainte par l'offre comme la nôtre, le crédit à la consommation aura fatalement pour effet d'accroître les importations puisque, souvent, le crédit à la consommation concerne les biens durables produits localement, mais dont le taux d'intégration est très faible», a-t-il analysé en affirmant que «quand le moment du bilan viendra, l'on se rendra compte que le crédit à la consommation a augmenté l'importation». De plus, abordant l'autre aspect positif pouvant découler de la mise en place du crédit à la consommation, à savoir la création de postes d'emploi par les entreprises dont les produits sont éligibles dans le cadre de ce mécanisme, Samir Bellal considère que ce qui se dit n'est qu'un «leurre». «En matière de création d'emplois, l'usine Renault par exemple fonctionne avec à peine quelques centaines d'employés. L'effet en matière de sauvegarde de l'emploi est ridiculement faible. Les politiques de stimulation de la demande ne sont pratiquées nulle part aujourd'hui, excepté en Chine. Ce qu'il nous faut, c'est une politique de stimulation de l'offre. Et une telle politique passe par une libéralisation du marché interne, simultanément à un contrôle des frontières économiques externes», a-t-il indiqué. Et pour Samir Bellal, la libéralisation interne signifie: liberté des prix, liberté d'investir, privatisation des entreprises publiques, orientation des dépenses publiques dans le sens du soutien de la croissance et le contrôle des frontières externes signifie: une politique tarifaire protégeant les produits locaux et une dévaluation de la monnaie nationale de manière à décourager l'acte d'importer. En gros, il considère que «le crédit à la consommation est une mauvaise idée» et qu'on «ne tardera pas à s'en rendre compte».