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«La manipulation vient d'en haut»
ABDELHAMID SI AFIF À L'EXPRESSION
Publié dans L'Expression le 29 - 12 - 2004

Grand redresseur devant l'Eternel, Abdelhamid Si Afif revient sur la crise du FLN, le parcours effectué en direction de la réunification, mais aussi sur la difficulté que pose l'élection des délégués. Celui qui pense que ceux qui ont failli doivent partir pour céder la place entre autres, aux réconciliateurs que l'histoire vient de réhabiliter, estime que Belkhadem demeure l'homme de la situation. Cela n'empêche pas le parti, qui soutient largement le programme du président Bouteflika et compte jouer un rôle de «locomotive» dans la concrétisation de la réconciliation nationale et l'amnistie générale, de prévoir le poste inédit de «président du FLN» afin de l'offrir à un Bouteflika désormais irrésistible dans son ascension.
L'Expression : A la lumière de ce qui s'est passé la semaine dernière à Sidi Fredj, est-ce que le FLN négocie la dernière ligne droite vers le dénouement de la crise ou bien continue-t-il d'aller de soubresaut en soubresaut?
Abdelhamid Si Afif: Je profite de cette opportunité pour essayer de replacer les choses dans leur véritable contexte. Après presque deux années de crise vécue par le FLN, beaucoup de personnes se posent la question sur sa véritable nature. Il est très important de s'appesantir sur la gravité de cette crise. On ne peut pas regarder sereinement vers l'avenir si on ne dresse pas un diagnostic précis de ce que nous venons de vivre. Cette crise était tout aussi profonde qu'inédite. Elle est de nature politique, parce que l'ancienne direction du parti lui a insufflé une ligne qui ne devait pas être la sienne. Elle est aussi organique. Cela sous-entend que toutes les structures ont été déstructurées. De la kasma jusqu'au bureau politique. Je m'explique. On a éliminé des structures légitimement élues pour les remplacer par des instances provisoires. L'atteinte ne s'arrête pas là, puisque même la direction nationale a été désavouée par la justice parce qu'elle ne répondait pas aux exigences statutaires. La crise, enfin, était humaine. Cela s'explique par un comportement consistant à fermer les yeux sur des dérapages absolument inacceptables.
Je ne suis pas là pour incriminer telle ou telle personne. Mais il est nécessaire de situer les responsabilités. A un moment donné, lors de la préparation du congrès, on a fait appel à des personnes étrangères au FLN pour leur octroyer des postes de responsabilité. Les anciens membres de cette direction, qui oeuvrent à présent avec nous pour le rassemblement, ont, eux aussi, une part de responsabilité devant l'histoire, car ils avaient les moyens de stopper, de dénoncer, cela pendant qu'il en était encore temps. C'est pour cette raison que je continue de dire qu'il faut également un redressement humain, en plus de ceux d'ordre organique et politique. C'est à ces trois niveaux que nous devons intervenir.
Le mouvement de redressement avait son utilité pour répondre à l'appel de la justice et aux besoins des militants de base. Il fallait que le parti se conforme de nouveau aux lois de la République et qu'il respecte le libre choix de ses militants ainsi que les règles démocratiques de base.
Une fois ce diagnostic dressé, et situées les responsabilités, il convient d'agir dans le sens de la correction de ces dérapages, la refondation du parti sur des bases démocratiques. Seul le congrès est habilité à faire cela en veillant à ce que tous les congressistes aient au moins cinq ans de militantisme, et 7 ans avant de prétendre se faire élire au comité central.
Une des causes des dérapages constatés est due à la faiblesse politique des membres de l'ancien BP de Benflis. Il était trop petit pour un si grand parti. Il est nécessaire aujourd'hui de se doter d'une direction dont la grandeur devrait se mesurer à l'aune des enjeux à venir. Il faut aussi adhérer pleinement au programme de Bouteflika qui a tout donné pour le FLN sans jamais rien recevoir en échange.
Il ne faut pas non plus oublier que nous nous trouvons en face d'une décision de justice rendue après un dur combat mené par notre mouvement. Nous y resterons attachés tant que le congrès ne se sera pas tenu dans des conditions idéales. Il devra oeuvrer à restaurer les pratiques démocratiques et à regagner la confiance des militants. C'est pour cela qu'il faudra prendre toutes les précautions afin que le congrès se tienne dans les meilleures conditions à la dernière semaine du mois de janvier, comme l'a souligné M. Belkhadem, dont je salue au passage le titanesque travail réalisé dans le but de resserrer les rangs dispersés de notre parti.
Tous ensemble, nous devons tirer les enseignements de cette expérience. Que certains la considèrent comme une expérience malheureuse, voire fatale, moi je demeure convaincu que c'est très enrichissant pour la pratique démocratique. Car nous savons très bien que notre parti a été secoué plusieurs fois depuis le début des années 90.
Oui, mais la question semble demeurer sans réponse, puisque vous déclarez espérer que le congrès se tiendra avant la fin du mois prochain. Concrètement parlant, est-ce que les préparatifs se poursuivent normalement ou bien la dernière réunion a-t-elle de nouveau accentué les divergences?
Vous savez, j'avais raison de dire que cette crise était profonde. Les structures locales, en nombre très important, ont tellement été déstructurées et poussées vers les dissensions que la tâche est actuellement très difficile. Ce qui a aussi gêné quelque peu cette réunification est hélas l'égoïsme de certains. A côté de la ligne d'un parti que d'aucuns défendent, il y a aussi des ambitions personnelles, bien souvent démesurées, injustes, illégitimes. C'est pour ces raisons, du reste, que certains cherchent à se repositionner par tous les moyens alors qu'il est clairement admis que quiconque voudrait être responsable, il faut qu'il aille chercher sa légitimité de la base, des assemblées générales locales. C'est extrêmement difficile pour certains, définitivement coupés de leurs bases depuis des années. Le but poursuivi est d'utiliser les moyens du passé en pénétrant le parti par le haut sous le couvert de telle ou telle légitimité. Les bases du FLN ont beaucoup changé et évolué, en plus du fait qu'elles ont été déstructurées par l'ancienne direction du FLN.
Parce que nous développons un discours pareil, on nous accuse de faire dans l'exclusion et la marginalisation. C'est absolument faux. Tout le monde sait que si nous voulions organiser un congrès purement redresseur personne ne nous aurait empêché, forts que nous étions de notre décision de justice et de notre victoire politique. Or, nous ne nous sentons pas le droit d'exclure quiconque a le droit d'assister au prochain congrès. Ainsi, la réunion de l'hôtel Ryadh a-t-elle réuni tous les membres de droit de ce congrès, à savoir les députés, les ministres et les membres du comité central issus du 7ème congrès? Quand je disais qu'il fallait établir les responsabilités de chacun, je visais aussi la base, car le retour de la confiance passe par cette option. Les militants qui ont eu un choix politique différent du nôtre, à mon sens, l'ont très souvent fait sous la contrainte de leur direction. Ce sont des victimes. Ce n'est pas la base qui a échoué, mais plutôt l'ancienne direction politique. Je vois mal comment les personnes qui ont été à l'origine directe de la crise profonde du FLN puissent de nouveau regagner la confiance des militants et prétendre prendre part à l'organisation du congrès et, pourquoi pas, redevenir des membres de la prochaine direction nationale.
Mais laisserez-vous quand même cette base dire librement son mot?
Je suis persuadé que même les bases militantes ont commencé à comprendre le sens véritable de notre combat, à savoir regagner leur confiance. Un responsable politique tire sa force et sa légitimité de la base. Ces personnes ne pourront pas donc revenir lors des assemblées générales électives. Ne serait-ce que pour cette période. Vous savez que la vie d'un parti ne se limite pas à celle d'un cadre ou d'un militant. De grands militants tels que Belkhadem ou Bouhara, ont longtemps été marginalisés avant de revenir en force sur le devant de la scène politique.
Permettez-moi d'insister toujours sur le côté pratique. Pensez-vous véritablement que l'élection des délégués au niveau de la base ne se fera pas sans accrocs?
Vous n'êtes pas sans savoir qu'il ne reste qu'une étape avant le congrès. Les étapes antérieures, certes, se sont déroulées dans des conditions extrêmement difficiles. Nous sommes quand même arrivés à clôturer la deuxième étape, qui est celle de l'enrichissement des textes, même si celui-ci a été fait avec deux structures parallèles. Les deux travaux n'en déboucheront pas moins vers une structure unie, qui est la commission nationale de préparation du congrès. Reste cette ultime étape qui est celle de l'élection des congressistes. Nous savons très bien que nos bases ont été déstructurées. A partir de 2002, beaucoup de militants ont été écartés alors que d'autres, étrangers au parti, ont été parachutés. C'est pour cela que nous avons convenu de nous arrêter à cette année. Ne seront admis aux assemblées générales que les militants venus au parti avant 2002. Ne seront admis au congrès national que ceux qui totalisent un minimum de cinq années de militantisme alors qu'il faut en compter 7 pour accéder au comité central via les urnes. Cette opération sera chapeautée par Belkhadem, seul habilité à désigner un encadreur pour chaque kasma. L'opération, je l'avoue, ne va pas se dérouler sans problèmes. C'est certain. J'espère que la démocratie vaincra sur tout le reste. Il est certain qu'il y a des régions très chaudes où le vote ne sera pas de tout repos et où l'opération aura lieu dans la douleur. Mais l'étape est incontournable. Nous sommes contraints de passer par là. Il faut arriver à élire des délégués légitimes afin que la direction nationale future le soit aussi.
Face à votre optimisme se dressent quand même plusieurs camps qui se disputent le contrôle du parti. Il y a les redresseurs, ceux que l'on qualifie d'ultra, les redresseurs libres et les anciens pro-Benflis. Franchement, avec tout cela, pensez-vous véritablement qu'il est possible de réaliser l'étape dont vous parlez? Cette question parce que le FLN ne peut se résoudre à vivre plus longtemps cette crise alors que Belkhadem lui-même a mis en exergue les enjeux qui attendent le parti, notamment la campagne pour l'amnistie?
Chaque partie dit qu'elle a la majorité au niveau local. Pour ma part, je suis convaincu que l'enjeu se situe au niveau central. La manipulation vient d'en haut. Le militant est la victime de sa propre discipline. Dieu merci, les militants véritables se connaissent entre eux. Les intrus seront démasqués et mis hors-jeu.
Je voudrais revenir sur ce que vous venez de dire et qui est très important...
C'est l'enjeu même...
Il ne faut jamais comparer le FLN à un autre parti. Le FLN est la colonne vertébrale du pays. Il détient la majorité au sein de presque toutes les assemblées. La stabilité du FLN détermine celle des institutions du pays. Nous sommes obligés donc, de veiller au grain afin que le parti se reconstruise sur des bases solides. Il faut aussi dire que la réalisation du programme du président a pris un certain retard à cause de la crise du Fln. Ce parti ne doit plus être un parti de rente. Il ne doit plus être une charge pour l'Etat, alors que c'est l'inverse qui devrait logiquement se produire. Le FLN doit être un instrument efficace dans la concrétisation du programme du président de la République. Personne n'a le droit d'aller à l'opposé de cette vision car l'écrasante majorité des militants a opté pour ce choix. Nous sommes également à la veille du lancement d'un projet important qui est celui du lancement de la réconciliation nationale. Moi, je ne vois pas comment il serait possible de lancer une campagne aussi déterminante pour l'avenir du pays sans que le FLN n'y soit une des principales parties prenantes. De par son implantation dans tous les villes et villages du pays, c'est au FLN, plus que tout autre parti, qu'il appartient de véhiculer ce projet. Pour revenir au dernier discours du président de la République, il faut dire que la légitimité historique, a en effet, trop pesé sur le FLN. Il est grand temps d'en finir et d'aller vers la véritable légitimité démocratique.
Mais à propos de légitimité historique justement. Et partant du programme du président, est-ce qu'on ne va pas vers la réhabilitation politique de ceux qui ont dirigé le FLN entre 1993 et 1995, année du fameux coup d'Etat scientifique?
J'ai tout le temps respecté ceux qui ont dirigé le FLN à cette époque-là...
Même si vous étiez leur adversaire politique?
Je n'étais pas opposé. Simplement c'était une période très sensible durant laquelle il fallait prendre position en faveur de la démocratie et de la République. Je le confirme encore. Je fais partie de ceux qui ont opté pour le sauvetage de la République. Mais je n'ai jamais pris de position contre telle ou telle vision. La réconciliation nationale ne s'oppose pas à un combat visant à sauver la République. Bien au contraire. Je ne veux pas d'amalgame là-dessus. Je serais même fier de voir ces figures, qui ont tant donné pour le parti, faire partie de la nouvelle direction du FLN. Ils ont une longue expérience en matière de vision et de gestion. Une fois encore je le répète, certaines personnes n'ont pas été aussi nuisibles que l'ont été les dirigeants d'il y a quelques mois. Je suis responsable de mes propos. Il y a des personnes politiques qui ont quitté la table parce que le contexte politique ne leur était pas favorable. Je salue des positions pareilles. C'est une question d'éthique et de morale. J'aurais aimé que d'autres responsables en fassent autant et épargnent au parti cette terrible crise. Ceux qui n'ont pas leur place aujourd'hui peuvent bien la retrouver demain, tout comme les réconciliateurs sont aujourd'hui réhabilités par l'histoire.
A propos de place justement. Vous dites que le FLN est appelé à jouer un rôle principal dans le programme du président. Mais de l'aveu même des redresseurs, il est infiltré par les éléments d'un autre parti afin de l'empêcher de sortir de sa crise. Dans le même temps, n'est-il pas raisonnable de penser que la fameuse fin de la légitimité historique, dont parle le président, ajoutée à la reconfiguration de la scène politique, pourrait signifier sa mise au musée?
Ce débat existe depuis des mois. Pour ma part, j'ai toujours été serein. Ce n'est pas aussi simple que d'envoyer un parti au musée, qui plus est, un FLN désormais agréé depuis 1997 comme toutes les autres formations politiques du pays. Je me suis toujours demandé quelle serait cette personnalité politique qui prendrait la lourde responsabilité de dissoudre le FLN ou de l'envoyer au musée. Ce n'est qu'un discours, car le FLN n'appartient à personne d'autre qu'à ses militants. Pour revenir à ces autres partis politiques qui essaieraient de faire perdurer notre crise. Vous savez qu'un parti ne peut gagner du terrain qu'aux dépens d'un autre. Quand bien même il y aurait un ou plusieurs partis qui essayeraient de nous déstabiliser, ce que je ne pense pas, je crois à la force des militants de la base contre qui de pareils complots sont tout simplement impossibles. De même, les moudjahidine ont répondu défavorablement à cet appel visant à envoyer le FLN au musée. Les militants de la base seront, eux, plus déterminés en rejetant cette idée.
Donc, vous restez optimiste...
Je le suis en effet. Je peux d'autant plus le confesser aujourd'hui que toutes les étapes traversées, aussi difficiles furent-elles, nous ont toutes rapprochés de la réunification. Les militants savent à présent quels sont les gens honnêtes et quels sont ceux qui ont tiré les ficelles uniquement pour leur profit personnel. Je salue au passage de Belkhadem qui a eu la patience et la force de ne pas céder aux différentes forces qui s'affrontent. A présent, il connaît aussi bien les problèmes que les hommes. Ce sont des atouts qui font de lui le futur responsable le mieux recommandé pour souder les rangs et conduire la différente et délicate phase à venir. A présent, il est aidé par le président de l'APN qui, de par son expérience et son statut, peut lui aussi contribuer grandement à resserrer les rangs et à mieux diriger le parti à l'avenir. Je souhaite seulement que ces responsables n'oublient pas ce que nous avons vécu et en tirent les conséquences qui s'imposent.
Si le congrès ne se tient pas à la période fixée, car rien désormais ne s'y oppose, il faudra se dire que quelque chose d'autre est en train de se produire, et penser peut-être à inscrire le FLN dans une entreprise plus grande, consistant à se fondre dans un grand mouvement qui défend les mêmes idées, qui sont celles du président de la République. Cela se passe ailleurs dans le monde. Je ne vois pas pourquoi l'Algérie ne le ferait pas aussi.
Dans les nouveaux statuts, toujours en débat, il est prévu l'instauration du poste de président du parti. Un poste qui irait comme un gant au chef de l'Etat compte tenu de la conjoncture actuelle. Qu'en est-il au juste?
Le texte est toujours en débat. La majorité de la base militante a adhéré à cette idée-là. Donc, cette proposition est toujours en vigueur. Je pense qu'elle fera partie des projets de textes qui seront soumis au congrès national. Le fait d'accorder le poste de président du parti au premier magistrat du pays, est très bien accueilli par la base.
Ce serait un grand honneur pour nous. Ce serait aussi une garantie pour nous que le congrès se déroule dans des conditions idéales, puisque le président doit être élu par les assises elles-mêmes, alors que le secrétaire général, lui, devra être élu par le futur comité central.
Cette idée reste également valable dans le cas où nous devrions aller vers une autre configuration politique.


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