En faisant d'Abou Mazen l'homme miracle, on risque fort de fausser la donne palestinienne. Le président Mahmoud Abbas croule, depuis son élection à la tête de l'Autorité palestinienne, sous les messages de félicitations des grands de ce monde, à leur tête le président américain. En effet, George W.Bush «offre» ses félicitations au nouveau impétrant du pouvoir palestinien, indiquant: «J'offre mes félicitations à Abou Mazen (Mahmoud Abbas). Je serais heureux de l'accueillir ici à Washington s'il décide de venir» avant d'avoir un entretien téléphonique avec le président palestinien. Ce dernier, selon les chiffres officiels, communiqués lundi par la commission électorale centrale, a été élu dimanche à la présidence palestinienne avec 62,32% des voix. Un score confortable qui légitime le nouveau président palestinien. Ce que d'ailleurs reconnaît le président américain qui relève que M.Abbas a été élu «avec une majorité significative». L'ancien président démocrate américain, Bill Clinton, a tenu lui aussi à «féliciter M.Abbas pour sa victoire» indiquant: «Je suis ravi de cette élection parce qu'il (Mahmoud Abbas) a renoncé à la violence et aussi parce qu'il a le soutien de la base, il a la légitimité». Propos de circonstance? Yasser Arafat bénéficiait également de cette légitimité populaire mais rien n'a été fait pour lui donner les moyens de réussir. En revanche moult obstacles ont été dressés sur sa route l'entravant ainsi dans sa mission d'édifier l'Etat palestinien indépendant. Aussi, la disparition de Yasser Arafat -considéré comme un frein, réel ou supposé, à la réalisation du processus de paix, met aujourd'hui face à leurs responsabilités Israël et les Etats-Unis, singulièrement, qui ont marginalisé le président palestinien. De fait, qu'attendent les Israéliens et le Américains du nouveau président palestinien? Le renoncement à ce qui fait sa raison d'exister : le rétablissement de la Palestine dans ses droits? Ce qui serait alors une fausse attente et un faux calcul, car modéré certes, Abou Mazen n'est pas près pour autant de renoncer au rêve du peuple palestinien, l'édification de leur Etat indépendant, synonyme de paix et de sécurité pour la région du Proche-Orient. Or, ce programme, la création de l'Etat palestinien, dépend d'abord de la volonté d'Israël et de sa réelle disponibilité à y contribuer. Ce qui reste à démontrer. D'ailleurs, les propos de M. Bush à propos du processus de paix au Proche-Orient ne manquent pas de signification lorsque le président américain estime qu'«il est essentiel qu'Israël garde à l'esprit la vision de deux Etats vivant côte à côte en paix et que les Palestiniens commencent à développer les institutions d'un Etat et qu'Israël soutienne le développement de ces institutions» Cela comme si le président américain doute de la volonté d'Israël d'aller dans ce sens, exhortant les Israéliens «à honorer leur obligation à quitter les territoires qu'ils ont promis d'évacuer». Il est patent que les Palestiniens ne peuvent développer leurs institutions dans des territoires morcelés et phagocytés par l'occupation de l'armée israélienne, par le fait que les services de sécurité palestiniens, outre d'avoir été les cibles de l'armée israélienne, sont empêchés par cette armée de faire leur travail, notamment par le fait qu'Israël refuse que les policiers palestiniens soient armés. Or, on ne lutte pas contre la violence avec le bâton du policeman londonien. Pour dire que la paix dans cette région dépend en priorité de ce que veut réellement Israël. Aussi, aucun président palestinien, quels que soient ses moyens ou son charisme, ne réussira à rétablir la paix si les territoires palestiniens restent occupés et sous le contrôle d'une armée étrangère. C'est d'abord cela la vraie problématique du dossier israélo-palestinien, qui reste l'application par Israël des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité (notamment les résolutions 242 de 1967 et 338 de 1973, qui exigent le retrait des forces armées israéliennes sur la ligne verte de 1967), coopérer avec l'Autorité palestinienne et les services de sécurité palestiniens. Or, Israël veut la paix et la sécurité sans céder les terres, ce qui a d'ailleurs rendu caduc le processus de paix d'Oslo fondé sur ce principe, la terre contre la paix. Pourtant, les Palestiniens, et le défunt président Arafat l'a toujours dit, étaient prêts à transiger sur des rectifications mineures des frontières entre les territoires palestiniens et Israël. On attend beaucoup des Palestiniens, dont les territoires sont occupés par l'armée israélienne, et paradoxalement, peu d'Israël qui soumet les Palestiniens à son diktat. De fait, autant Yasser Arafat était le représentant légitime des Palestiniens et avait leur soutien hier, autant Mahmoud Abbas bénéficie de cette légitimité et du même soutien du peuple palestinien qui a d'ailleurs donné une magnifique leçon de maturité lors des élections de dimanche dernier, par sa réponse sereine à tous ceux qui prédisaient la violence et le chaos dans les territoires palestiniens au lendemain de la disparition de Yasser Arafat. Ce peuple mérite la paix et est mûr pour gérer et développer un Etat indépendant. Il appartient à la communauté internationale d'aider les deux communautés palestinienne et juive à faire la paix, et de faire pression sur Israël pour l'inciter à lâcher du lest. Mahmoud Abbas, qui n'a pas la bague de Souleymane, avec ses moyens, est loin d'être le Messie.