Le constat s'était imposé de lui-même : le roman amazigh est coupé de ses lecteurs naturels. Un passionnant débat sur le roman d'expression amazighe a été organisé avant-hier après-midi à la Maison de la culture de Béjaïa à l'occasion de Yennayer, nouvel an berbère. Rachid Oulebsir (universitaire et journaliste), Brahim Tazaghart, Mohand Aït Ighil et Malek Merkhouf (auteurs), ont tour à tour enrichi le débat par d'intéressantes réflexions sur la question. Le constat s'était imposé de lui-même : le roman amazigh est coupé de ses lecteurs naturels. On évoque moult raisons. Pour Rachid Oulebsir, «le passage, dira-t-il, de l'oral à l'écrit est très difficile, d'autant que la base économique de la langue tamazighte a disparu. Les mots se créent à partir de l'activité humaine de tous les jours», a-t-il encore soutenu. Estimant que le passage de l'oral à l'écrit «est déjà un fait», Brahim Tazaghart considère plutôt qu'il y a absence manifeste d'une politique du livre. «C'est, dira-t-il, l'acte même de lire qui est en crise. Les mass médias, les pouvoirs publics, l'école et le mouvement associatif n'ont d'ailleurs jamais encouragé la lecture. Quant à l'université, elle n'invite même pas un auteur à l'occasion de la sortie d'un livre», a-t-il déploré. Même constat négatif chez Mohand Aït Ighil: «Personne n'assume la prise en charge de la distribution du roman amazigh au point où les gens qui écrivent de très belles choses ne pensent plus à éditer leurs recueils de poésie ou leurs romans». Les intervenants ont toutefois souligné qu'il ne faut pas se laisser vaincre par cette situation. «Nous devons, reprend Brahim, interpeller les pouvoirs publics, les élus, les directions de la culture pour qu'ils instaurent une politique de promotion du livre. L'Etat a des obligations envers Tamazight. Avec sa constitutionnalisation, la langue Tamazight doit rattraper vingt siècles d'errance.» Pour Rachid Oulebsir, le passage de la constitutionnalisation à son institutionnalisation, c'est-à-dire à sa mise en pratique sur le terrain, est très déterminant pour Tamazight. Il citera à titre d'exemple l'essor fulgurant vécu depuis un demi-siècle par la langue des juifs. «Le développement exponentiel de l'hébreu, dit-il, était surtout dû à la volonté affirmé de l'Etat, contrairement à Tamazight qui a toujours été entravée par l'adversité affirmée de l'Etat algérien». D'autres interventions n'ont pas manqué de relever que la qualité de toute création littéraire ou artistique amazighe peut aussi constituer un facteur de motivation pour le lecteur. «Il faut que les poètes et écrivains d'expression amazighe s'occupent également de la promotion de leur production comme le font d'autres artistes dans leurs oeuvres», a-t-on suggéré. Dans le même ordre d'idées, Brahim Tazaghart affirme aussi ne pas comprendre la position attentiste, passive des militants et producteurs en langue tamazight. «A chaque fois, rappelle-t-il, on ne capitalise pas les acquis arrachés de haute lutte ou concédés par l'Etat. D'ailleurs, il n'y a même pas eu un séminaire sur Tamazight depuis son intégration dans la Constitution comme langue nationale».