Au cours de sa vie militante, il a réussi à rester à équidistance de tous les camps. Malgré ses positions parfois virulentes, il a su garder sa sagesse. Il est mort. Le militant de la cause nationale et ancien ministre du Travail, Mohamed-Saïd Maazouzi, a tiré sa révérence mardi à Alger à l'âge de 92 ans. Son enterrement, hier, au cimetière de Ben Aknoun a été, plus de trois heures durant, une occasion pour une énième rencontre de l'Algérie avec elle-même, avec son histoire, dans sa version la plus rigoureuse et la plus lucide. En effet, Mohamed-Saïd Maazouzi, comme tous les grands symboles du combat des Algériens pour leur liberté, représente un moment de lucidité, de courage et d'abnégation d'une nation, dont le destin n'a pas toujours été linéaire. Des milliers de personnes, toutes catégories confondues, sont venues lui faire leurs adieux et témoigner de la grandeur de l'homme et de l'exemplarité du militant. Un grand patriote Parmi les présents, certains l'ont connu personnellement, d'autres à peine, et d'autres encore ont simplement vu défiler sa légende à travers les péripéties de l'histoire de l'Algérie contemporaine. Les plus jeunes ont, pour le mieux, lu son livre J'ai vécu le pire et le meilleur. «Maazouzi est un grand homme et sa perte est sans doute aussi grande que le symbole, l'exemple qu'il représente pour tous les Algériens. J'ai été maquisard de 1956 à 1962. Je l'ai connu personnellement après l'indépendance mais son ombre a toujours été un motif de fierté et de détermination pour le jeune que j'étais. Mohamed-Saïd Maazouzi est un grand patriote et le restera dans la mémoire de la nation», nous a déclaré Lounès Bouguermouh, ancien maquisard de la Wilaya III historique, ami du défunt et vice-président de la Fondation de la Wilaya III, un sourire sage sur la face, comme pour braver le «mauvais sort»... Si Ouamer Benlhadhj, président de la Fondation de la Wilaya II historique, voit, lui aussi, «une grande perte pour l'Algérie en la mort de celui que tout le monde surnomme 'le Mandela algérien''». D'autres cadres supérieurs, généraux, ex-ministre, membre du gouvernement que nous avons approché se sont tous inclinés à sa mémoire: le général Djouadi, Meziane Louanchi, son ex-chef de cabinet au ministère, Sadek Bouguettaya, Mohamed Mebarki, etc. Parmi ses plus proches compagnons, notamment après l'indépendance, Hamid Sidi Saïd, ex-wali de Tizi Ouzou, s'est fendu d'un vibrant hommage à «son ami». «J'ai eu l'honneur et le plaisir de connaître Mohamed Saïd Maazouzi au lendemain de l'indépendance. J'étais militant de la Jfln alors qu'il était responsable du FLN à Tizi Ouzou. J'ai, par la suite, travaillé avec lui quand il a été wali. C'était un privilège pour moi», a-t-il indiqué avant de rappeler les qualités humaines et militantes de celui qui a vécu «le meilleur et le pire». En effet, selon Hamid Sidi-Saïd, Mohamed-Saïd Maazouzi était un «homme modeste, sincère et profondément attaché aux missions qui lui étaient confiées». «Il a passé toute sa jeunesse dans les geôles coloniales. Pour notre génération, il était un symbole, un modèle qui nous a insufflé l'amour du pays», a-t-il également dit. L'une des autres facettes cachées de Mohamed-Saïd Maazouzi, c'est sa relation à la culture. Feu Ali Zamoum répétait souvent, quand il lui arrivait d'évoquer son ami Maazouzi lors des rencon-tres de l'association Tagmaths de Boghni, qu'il était très attaché à la culture et qu'il croyait beaucoup à ses vertus antidogmatiques, anti-extrémistes. Hamid Sidi-Saïd a bien voulu mettre le point sur cet aspect de sa vie. «Mohamed-Saïd Maazouzi a encouragé beaucoup d'hommes de culture, notamment Kateb Yacine et Mhamed Issiakhem qui étaient ses amis. Les hommes de culture ont toujours trouvé auprès de lui un grand intérêt et de précieux encouragements. C'était grâce à lui que Kateb Yacine a lancé son équipe théâtrale d'abord à Alger, ensuite à Sidi-Bel Abbès», a-t-il témoigné. Pourtant, il est notoire que Kateb Yacine était hostile à Boumediene dont Maazouzi était l'un de ses ministres. C'est dire qu'au-delà de l'homme politique, il y a l'humain, le passionné des arts et des lettres. Saïd Sadi, ex-président du RCD, a quant à lui, relevé la grande sagesse du défunt. «Dda Mohand Saïd Maazouzi s'est éteint à l'âge de 92 ans après une longue vie d'épreuves et de luttes. Il laisse derrière lui un parcours caractérisé par le calme, l'humilité et l'intégrité. Ceux qui l'ont approché savent que les responsabilités qu'il a exercées n'ont pas altéré sa capacité d'écoute et sa modestie. Toujours disponible, il a su construire des passerelles entre des acteurs d'horizon et de sensibilité diverses. C'est par son intermédiaire que j'ai pu rencontrer Mostefa Lacheraf. Malgré dix-sept années d'une détention chaotique, il a su résister aux tentations de la rancoeur et de la haine. Cette digne sagesse est la plus belle leçon qu'il laisse en héritage à notre jeunesse», a-t-il livré en hommage à celui qu'il a connu au début des années 1980. Le long parcours Né à Attouche, dans la commune de Makouda, Mohamed-Saïd Maazouzi a été engagé dans le Parti du peuple algérien (PPA) dès son jeune âge dans la région de la Kabylie maritime (Tigzirt), aux côtés de Omar et Mansour Boudaoud, Ahmed Zerouali et de Amar Haddad. A ce titre, il a fait partie du noyau ayant préparé l'insurrection du 8 Mai 1945. En 1945, accusé d'avoir fomenté un attentat contre le bachagha Aït Ali de Tigzirt, il a été arrêté et emprisonné jusqu'en 1962. A l'indépendance, il sera nommé wali de Tizi Ouzou, où il sera très respecté par les habitants pour son dévouement, ses qualités de travail et son engagement pour l'épanouissement de cette région. Il occupera par la suite diverses responsabilités au sein de l'Etat, notamment celui de ministre du Travail. En 1988, dans le sillage des événements qui ont secoué le pays, il fut un des signataires, en compagnie notamment de Abdelaziz Bouteflika et d'autres personnalités, de l'appel lancé à l'adresse du président Chadli Bendjedid. Respectueux des hommes de culture et de science, il a été ami avec des intellectuels très en vue, notamment Kateb Yacine, M'hamed Issiakhem, Mostafa Lachref, Mohamed Cherif Sahli, Abdelkader Djeghloul, etc. Lors de l'hommage qui lui a été rendu en novembre 2012, au forum d'El Moudjahid, en présence de plusieurs de ses amis et compagnons de route, notamment Lamine Khan, Ali Haroun, Redha Malek, il a exprimé son ultime voeu, celui d'apprendre aux générations montantes que l'Algérie est un grand pays et qu'elle a le devoir de le rester. «C'est pour moi, un grand honneur et une fierté que d'être ici aujourd'hui. Je n'aurai jamais cru qu'un jour, l'on organisera une rencontre où de grandes personnalités rendront hommage à mon humble personne. Cela étant, et pour être bref, j'ai un souhait à exprimer: il faut que les pouvoirs publics ne perdent pas de vue la priorité d'apprendre aux jeunes le fait qu'ils appartiennent à un peuple grand et valeureux qui a une grande histoire. L'Etat se doit avant tout, de centrer sur la jeunesse. Les jeunes Algériens disposent de compétences et notre pays a les hommes et les potentialités qu'il faut, pour aller de l'avant, et même, pour être parmi les pays les plus développés. Avant d'entrer en prison, je ne savais pas que l'Algérie était un pays aussi vaste, aussi grand. Mais une fois détenu, j'ai rencontré des gens de Timimoun, de Ghardaïa, d'Annaba, etc. J'ai alors imaginé ces régions et j'ai pu sentir combien l'Algérie est grande. Ceci m'a donné la force et la volonté de résister et de tenir bon, moi qui savais depuis toujours que la liberté s'arrache et ne s'octroie pas», a-t-il déclaré en substance. Le meilleur hommage que l'Algérie peut lui rendre, c'est de faire en sorte que ce voeu soit exaucé. Effectivement. Message du président Abdelaziz Bouteflika «Il était un homme d'engagement et de conviction» «C'est avec une grande affliction et une profonde émotion que j'ai appris la disparition du moudjahid Mohamed-Said Maazouzi après un long parcours de lutte mené par différents moyens contre l'occupant», écrit le président Bouteflika dans son message. «Le défunt s'était résolu à la fleur de l'âge au sacrifice pour la libération et l'indépendance de sa patrie, endossant impassiblement les souffrances de la torture et de la répression dans les geôles coloniales où il deviendra le doyen des prisonniers pour y avoir séjourné longtemps», souligne le chef de l'Etat. «L'engagement patriotique du défunt et sa détermination à faire triompher la cause nationale n'étaient pas pour autant entamées, étant convaincu que la libération d'une patrie du joug colonial est la chose la plus précieuse tout autant que son édification», a encore souligné le président Bouteflika.» Après l'indépendance, il s'est engagé comme à ses débuts dans la construction et le développement de son pays. Il assumera, avec dévouement, de hautes responsabilités et de nobles missions dans divers domaines, notamment lorsqu'il était ministre des Transports. Il s'est éteint laissant derrière lui des oeuvres louables et à ses proches et ses compagnons des souvenirs mémorables qui apaiseront leur douleur», lit-on dans le message du chef de l'Etat. «Je vous présente mes sincères condoléances et prie Dieu, le Tout-Puissant, de lui accorder sa sainte miséricorde, de l'accueillir en son vaste paradis et d'assister les siens dans cette douloureuse épreuve», conclut le président de la République.