Aucun parti politique n'ose le dire ouvertement, mais l'Espagne semble condamnée à retourner aux urnes fin juin, faute d'avoir su sortir de l'impasse après les législatives de décembre, et la campagne électorale a déjà démarré. Entouré de sexagénaires d'un village de la Manche, théâtre des aventures de Don Quichotte, le chef du gouvernement sortant Mariano Rajoy en a fait la démonstration jeudi. Vantant les mérites de l'Espagne rurale et vieillissante, coeur de l'électorat de son parti conservateur, il a assuré que ses habitants «avaient les mêmes droits» que les citadins. Il a souligné que sa priorité était de créer des emplois, indispensables «au paiement des retraites». Le gouvernement a aussi annoncé le versement d'une prime pour les fonctionnaires gelée depuis 2012, en contradiction avec sa promesse faite à la Commission européenne de réaliser des économies après le dérapage du déficit public, à 5% du PIB fin 2015. Une mesure «électoraliste», ont protesté ses adversaires et même le quotidien de centre-droit El Mundo en rappelant que le dirigeant conservateur avait déjà débloqué la première partie de cette prime avant les dernières élections. De son côté la formation de gauche radicale Podemos organise demain une fête du Printemps pour rappeler à ses électeurs la «joie» de son ascension fulgurante dans la politique espagnole. Un membre de la direction du Parti socialiste (PSOE) a dit être «sûr à 99,9%» que de nouvelles élections se tiendraient en juin. Pedro Sanchez, qui a tenté deux fois sans succès d'être investi par le parlement, sera à nouveau le candidat du PSOE, assure-t-on, et il espère être récompensé pour ses efforts en vue de former un gouvernement. Traumatisés par six ans de crise (2008-2014) et les affaires de corruption, les électeurs espagnols avaient sanctionné les formations traditionnelles aux législatives du 20 décembre pour faire entrer au Parlement une classe politique nouvelle et rajeunie. Mais quatre mois après le scrutin, nouveaux et anciens partis n'ont pas su trouver un terrain d'entente. Le Parti populaire de Mariano Rajoy, cerné par la corruption, n'a pas trouvé d'allié, même s'il était arrivé premier. A gauche, le Parti socialiste n'a pu s'entendre avec Podemos et les indépendantistes catalans et basques, une alliance qui lui aurait assuré une majorité des voix. Il a bien conclu un accord avec les libéraux de Ciudadanos mais ça n'a pas suffi pour obtenir une majorité et l'investiture de Pedro Sanchez à la tête d'un gouvernement. Le roi Felipe VI s'entretiendra lundi et mardi avec les dirigeants politiques, afin de vérifier qu'aucun candidat n'a de chances d'obtenir cette investiture. Si c'est le cas, la chambre basse devra automatiquement se dissoudre le 2 mai, à minuit. Une campagne courte devrait ensuite être menée jusqu'au 26 juin, date théorique des élections, trois jours après le référendum au Royaume-Uni sur un «Brexit». Les sondages donnent pour l'instant les conservateurs en tête, devant les socialistes, avec une répartition similaire des voix (environ 123 sièges actuellement pour le PP et 90 pour les socialistes). Podemos perdrait du terrain, sanctionné par une partie de ses cinq millions d'électeurs de ne pas avoir favorisé un gouvernement de gauche pour chasser la droite du pouvoir. Ciudadanos, quatrième, gagnerait des voix. Mariano Rajoy devrait aussi rester le candidat de son parti. «Ses seuls remplaçants possibles lui sont très loyaux», explique un élu national du PP sous couvert de l'anonymat, assurant qu'il pourrait paradoxalement obtenir davantage de sièges, en dépit des scandales de corruption. «Il est possible que moins de jeunes (déçus par Podemos) aillent voter» «et c'est avantageux pour nous», dit cet élu conservateur, en expliquant, que mécaniquement, en cas d'abstention, le PP aura un pourcentage des voix plus élevé.