Le sort de la présidente brésilienne, Dilma Rousseff, fragilisée et isolée, risque d'être réglé dès demain L'impopulaire dirigeante de gauche, une ancienne guérillera torturée sous la dictature militaire, pourrait être écartée du pouvoir pendant un maximum de 180 jours en attendant le jugement final des sénateurs. Le Brésil entame l'une des semaines les plus critiques de sa jeune histoire démocratique qui verra probablement la présidente Dilma Rousseff écartée du pouvoir, deux ans et demi avant la fin de son second mandat. Point d'orgue de la crise politique qui déchire le plus grand pays d'Amérique latine, les sénateurs sont convoqués demain pour décider à la majorité simple l'ouverture d'un procès en destitution de la première femme présidente du Brésil pour maquillage de comptes publics. L'issue du vote, qui devrait intervenir jeudi, ne fait pratiquement aucun doute: une cinquantaine de sénateurs sur 81 ont annoncé leur intention de voter l'ouverture du procès. A moins de trois mois du lancement des Jeux olympiques de Rio de Janeiro, le 5 août, plus de 200 millions de Brésiliens sont suspendus aux incessants rebondissements de la crise politique et de l'énorme scandale de corruption Petrobras qui éclabousse désormais pratiquement toute l'élite politique du pays. La capitale Brasilia vit des heures de fin de règne. Les ministres font leur cartons. Le parlement est paralysé. Depuis quelques jours, l'agenda de Mme Rousseff se limite à des cérémonies de remises de logements sociaux au cours desquelles elle se dit invariablement victime d'un «coup d'Etat parlementaire». Son ancien allié, le vice-président Michel Temer, 75 ans, se prépare à assumer la présidence par intérim, après avoir acculé Mme Rousseff en poussant fin mars sa formation, le grand parti centriste PMDB, à claquer la porte du gouvernement. Ballet incessant de véhicules officiels, tractations: le centre du pouvoir semble s'être déjà déplacé à sa résidence de Jaburu, à quelques kilomètres du palais présidentiel du Planalto. M. Temer y peaufine la formation d'un gouvernement de redressement économique attendu avec impatience par les marchés: coupes budgétaires, réformes du régime des retraites, du droit du travail. La septième économie mondiale est engluée depuis 2015 dans la pire récession depuis des décennies, sur fond d'envolée de la dette, des déficits publics et du chômage. «Ce qui est en jeu c'est une élection indirecte travestie en impeachment. Les usurpateurs du pouvoir, dont malheureusement M. le vice-président, sont complices d'une procédure extrêmement grave», avait dénoncé vendredi Mme Rousseff, excluant toute démission. «S'ils veulent faire un jugement politique de mon gouvernement qu'ils aient recours au peuple brésilien et non à l'impeachment», a-t-elle déclaré samedi, suggérant la convocation de nouvelles élections, qui exigerait un improbable amendement à la Constitution. L'opposition l'accuse d'avoir commis «un crime de responsabilité» en ayant fait supporter des dépenses gouvernementales aux banques publiques pour masquer l'ampleur des déficits budgétaires, en 2014, année de sa réélection et 2015, ainsi qu'en approuvant par décrets des dépenses supplémentaires sans demander l'accord préalable du parlement. Les députés ont approuvé le 17 avril à une écrasante majorité la procédure d'impeachment. Environ 60% des Brésiliens souhaitent le départ de Mme Rousseff, selon les derniers sondages. Mais ils sont à peu près aussi nombreux à vouloir celui de l'impopulaire Michel Temer, crédité d'à peine 1 à 2% d'intentions de votes en cas de présidentielle, et à souhaiter des élections anticipées. Mme Rousseff n'est pas soupçonnée de corruption à titre personnel. Mais des soupçons pèsent sur le financement de ses campagnes. Et le procureur de la République a réclamé l'ouverture d'une enquête à son encontre pour de présumées tentatives d'obstruction à l'enquête sur les détournements de fonds au sein du groupe public pétrolier Petrobras. De nombreuses figures de son Parti des travailleurs (PT) sont en revanche directement visées, au premier rang desquelles son mentor politique, l'ex-président Luiz Inacio Lula da Silva (2003-2010). Le scandale éclabousse également de plein fouet le PMDB du vice-président Temer. Le président du Congrès des députés, Eduardo Cunha, troisième personnage de l'Etat et stratège de la procédure de destitution de Mme Rousseff, a ainsi été suspendu de ses fonctions jeudi par le Tribunal Suprême fédéral (STF). Une première au Brésil. Ce député ultra-conservateur, ennemi juré de la présidente, en instance de jugement pour corruption devant le STF, a été écarté pour avoir entravé les enquêtes parlementaire et judiciaire le visant dans le dossier Petrobras. Le nom de M. Temer a également été cité mais il n'est pas visé par l'enquête à ce stade. Un tribunal de Sao Paulo l'a en revanche condamné à une amende pour infraction à la loi sur le financement des campagnes. Il risque d'être déclaré inéligible.