La justice brésilienne a suspendu jeudi le très controversé président du Congrès des députés Eduardo Cunha, stratège de la procédure de destitution de Dilma Rousseff, pour entrave aux enquêtes pour corruption le visant dans le scandale Petrobras. Les 11 juges du Tribunal suprême fédéral (STF) ont ratifié jeudi soir à l'unanimité la suspension prononcée dans la matinée par l'un d'eux contre M. Cunha, personnage clé de la crise politique historique qui ébranle le plus grand pays d'Amérique latine. Le juge Teori Zavaski a motivé sa décision en accusant le troisième personnage de l'Etat brésilien d'avoir usé de ses fonctions dans son propre intérêt et de façon illicite pour empêcher que les investigations à son encontre n'arrivent à leur terme. Membre du grand parti centriste PMDB du vice-président Michel Temer, M. Cunha est en instance de jugement devant le STF pour avoir dissimulé sur des comptes en Suisse au moins cinq millions de dollars qui proviendraient de fonds détournés du groupe pétrolier étatique Petrobras. Il est visé par 11 autres procédures devant le STF, pour d'autres soupçons de corruption liés au scandale Petrobras qui éclabousse une grande partie de l'élite politique, de l'ex-président Luiz Inacio Lula da Silva, au chef de l'opposition Aecio Neves. Il n'existe pas le moindre doute que le suspect (M. Cunha) ne présente pas les conditions personnelles minimales pour exercer en ce moment, dans leur plénitude, les fonctions de président de la chambre des députés, a tranché le juge Zavaski. Cela le qualifie encore moins pour le remplacement à la présidence de la République, a souligné le juge, évoquant l'hypothèse de plus en plus brûlante de l'accession prochaine de M. Cunha au second rang dans la succession. Mercredi prochain, les sénateurs vont en effet très probablement écarter Mme Rousseff du pouvoir pendant un maximum de six mois, le temps de la juger et de se prononcer définitivement sur sa destitution. Le vice-président Michel Temer assumera alors ses fonctions et nommera un nouveau autogouvernent. Maintenu dans ses fonctions, M. Cunha serait ainsi devenu une sorte de vice-président de facto. M. Cunha a annoncé dans la soirée qu'il allait faire appel de cette décision de justice, écartant toute démission. Il est clair que je suis la cible de rétorsions pour mon rôle dans la procédure d'impeachment. Mais cela va terminer mercredi prochain, si Dieu le veut, avec la mise à l'écart de Dilma Rousseff pour que le Brésil puisse se libérer de l'ère du PT (gauche, au pouvoir depuis 2003, NDLR), a-t-il déclaré à des journalistes devant sa résidence. La justice brésilienne a mis plus de quatre mois pour répondre favorablement à une demande formulée par le procureur général Rodrigo Janot en décembre, au tout début de la procédure de destitution de Mme Rousseff. Pendant ces longs mois, Eduardo Cunha a eu tout le loisir de tirer les ficelles de cette procédure qu'il a menée au pas de charge jusqu'à son approbation par une écrasante majorité de députés le 17 avril. Adulé par les secteurs les plus conservateurs du parlement, honni par la gauche et une écrasante majorité de Brésiliens, il avait été ce jour-là copieusement insulté à la tribune par les députés de gauche: Canaille!, Voyou! Mieux vaut tard que jamais, a réagi avec amertume Dilma Rousseff. La seule chose que je regrette, c'est qu'il est parvenu à présider ce lamentable processus d'impeachment comme si de rien n'était. Parallèlement, M. Cunha, un député évangélique ultraconservateur incarnant l'aile dure du PMDB, a usé d'incessants artifices pour freiner la procédure de cassation de son propre mandat devant la Commission d'éthique de la chambre basse. Il avait déclenché la procédure d'impeachment de Mme Rousseff quelques heures seulement après la saisine de la commission d'éthique du parlement grâce aux votes des députés du Parti des travailleurs (PT). Ces manœuvres ont donné du grain à moudre au camp de Dilma Rousseff, qui se dit victime d'un coup d'Etat parlementaire ayant pour origine un acte de vengeance personnelle de M. Cunha. L'avocat général de l'Etat, José Eduardo Cardozo, défenseur de Mme Rousseff, a d'ailleurs annoncé jeudi qu'il allait demander l'annulation de la procédure de destitution de la présidente. La décision du tribunal suprême démontre que M. Cunha a détourné ses fonctions pour nuire à la présidente, a-t-il argumenté devant la Commission de destitution du Sénat.