La résistance irakienne se concentre autour d'une idéologie exclusivement salafiste. Les résultats obtenus en Irak sont encore assez flous pour qu'on en ait une idée précise. Le taux de participation, même gonflé, reste encore mitigé, avec une très faible participation de la communauté sunnite. Et même si les Etats-Unis essaient de montrer que cela est largement satisfaisant, les réalités de demain annoncent des nuages gris, noirs, en tout cas guère prometteurs. La nouvelle reconfiguration de la carte politique irakienne peut, dès aujourd'hui, avantager des assemblées à prépondérance chiite, avec tous les risques en courus et toutes les hégémonies qu'aura la référence de Sistani, rejetée largement par les salafistes de la résistance, principaux acteurs des troubles irakiens. De plus, les répercussions régionales qu'aura un Irak à prédominance chiite seront désastreuses pour les Etats-Unis et très bénéfiques pour le voisin, l'Iran, bastion du chiisme dans le monde arabo-musulman. Le déroulement des élections générales en Irak, a été émaillé d'une dizaine d'attentats suicides dont l'objectif principal était d'empêcher une «consultation sur fond d'occupation». Ce sont notamment des groupes armés d'obédience salafiste, et donc sunnite, qui ont été les auteurs de ces attentats, qui ont fait 35 morts, principalement des civils et des policiers. L'autre objectif de ces attentats était bel et bien d'empêcher une victoire facile des communautés chiite et kurde contre un sunnisme, minoritaire certes, mais qui a été le référent doctrinal depuis plus de cinquante ans. Le «cas Moqtada Sadr» reste une exception dans un univers chiite, vaste et opaque, et dominé par des référents doctrinaux de la trempe d'Ali Sistani. Signé Al Qaïda Le groupe de Zarkaoui reste le plus médiatisé, mais sur le terrain, d'autres groupes sunnites, salafistes et quasi autonomes lui donnent la réplique, quand il ne le supplante pas. D'ailleurs, la quasi-majorité des enlèvements qui tiennent en haleine le monde depuis six mois ne sont pas le fait du groupe Zarkaoui. En fait, quatre groupes mènent aujourd'hui la guérilla. La première de ces organisations est celle d'Abou Mossaâb Ez-Zerkaoui, Tawhid wal djihad. Née immédiatement après la chute de Saddam Hussein, cette organisation âgée aujourd'hui de moins d'un an, est organiquement affiliée à Al Qaîda, Ez-Zerkaoui, Jordanien de 36 ans, étant le responsable de l'organisation de Ben Laden pour la région d'Irak, Jordanie et Syrie, trois pays qu'il connaît parfaitement pour y avoir séjourné par le passé et dans lesquels il dispose de réseaux très actifs. Très peu intéressée par les prises d'otages, cette organisation privilégie les attentats à l'explosif, actionnés à distance ou, lorsque la situation l'exige, par le biais de kamikazes, solution extrême et non un modus operandi systématique. La quasi-totalité des attentats à l'explosif contre des postes de police irakiens, des patrouilles américaines ou des bases-vie étrangères lui sont imputés, ainsi que des attentats contre les gazoducs du sud de l'Irak. La seconde organisation, née il y a moins d'une année, et dont les hommes portent des cagoules en permanence, est celle connue sous l'appellation Armée des partisans de la sunna et d'une sous-appellation Brigade d'Ali Ibn Abi Taleb. C'est bien cette organisation qui a exécuté les douze Népalais, il y a plusieurs semaines à Baghdad. Dotée d'un site Internet très performant, cette organisation armée s'est spécialisée dans le rapt des ressortissants étrangers en poste en Irak. S'appuyant sur une exégèse coranique très rigoriste, cette organisation estime que tous ceux qui sont présents dans un pays en guerre doivent la subir, ou pour le moins, choisir leur camp. En somme, les soldats étrangers tombés entre leurs mains, même non-Américains, ont peu de chances de s'en sortir vivants. Pourtant, des Jordaniens ont été relâchés, des Japonais, des Egyptiens et des Arabes non-Irakiens, après que le groupe des ravisseurs eut obtenu satisfaction, soit parce que la société étrangère a plié bagage, soit qu'elle a versé une rançon, soit que politiquement, leur exécution n'était pas profitable. La troisième organisation est la plus connue aujourd'hui : l'Armée islamique en Irak. Il semble bien qu'elle soit spécialisée dans le rapt de journalistes, et en général, d'hommes médiatiques et de personnalités très connues. L'objectif recherché est évident: une résonance internationale et un effet médiatique qui refait le tour des rédactions et de fait, le tour du monde en vingt-quatre heures. Le rapt du journaliste italien, Baldoni, son appel désespéré, l'exigence faite à Berlusconi, puis l'exécution de l'otage ont tenu en haleine tout le monde pendant plusieurs jours. Et c'est la cause qui a amené le même groupe à tenter une opération similaire avec le rapt, à la sortie de Baghdad, des deux journalistes français, Christian Chesnot et Georges Malbrunot, et de placer cette fois-ci la barre très haut en déplaçant l'exigence sur un terrain politique et en mettant au-devant de la scène médiatique, l'affaire de l'interdiction du port du voile dans les écoles françaises. Depuis le début de l'été, plus de cent ressortissants étrangers ont été pris en otage et vingt-deux d'entre eux ont été passés par les armes, depuis la première exécution du Coréen. Douze Népalais, trois Turcs, deux Kenyans, un Egyptien, deux Américains, etc. ont été tués par l'un de ces trois groupes, passés spécialistes en rapt d'étrangers. Evidemment, si l'on se fie à la logique djihadiste qu'ils développent sur leurs sites Internet respectifs, chaque acte, chaque assassinat, chaque exécution ou libération repose sur une exégèse coranique tirée de la jurisprudence théologique. Sur le site de l'Armée des partisans de la sunna et suite à l'exécution des douze Népalais, il est dit que ces étrangers étaient bouddhistes, qu'ils prêtaient main forte aux judéo-croisés et qu'ils étaient venus en Irak pour combattre les musulmans. Logique ésotérique ou exégèse suspecte, mais qui ont abouti à mort d'hommes. En fait, le «rapt médiatique» fait actuellement florès en Irak et il n'y a aucune raison de croire qu'il ne le sera pas encore. Ni paix, ni démocratie Le grand défi qui se pose aujourd'hui aux Américains est que la démocratie, qui est la composante essentielle de leur politique et le fondement historique de leur Etat, est, elle-même, mise en jeu. L'administration américaine veut instaurer la démocratie partout dans le monde afin de ne laisser aucun motif d'exister aux groupes terroristes dans le monde, alors que ceux-ci, sectes laïques, islamistes, salafistes, zappatistes, sentier lumineux et autres mouvements millénaristes, brandissent leurs combats comme une réponse à l'hégémonisme américain et un contrepoids à la superpuissance militaire des Etats-Unis et son appui suspect à des gouvernements locaux non démocratiques. Les Etats-Unis d'Amérique n'ont ramené ni la paix ni la démocratie en Irak. Le gouvernement installé à Baghdad ne fait qu'exacerber les tensions qui promettent de s'inscrire dangereusement dans la durée, et les élections ne feront qu'empirer les choses. D'un côté, elles vont faire croire à des nouveaux élus qu'ils sont réellement responsables, et d'un autre, ceux qui ont appelé par la violence au boycott des élections, vont trouver, tout près, de nouvelles cibles à abattre : le décor parfait pour le début d'une guerre civile.