M. Caïd Essebsi a jeté un pavé dans la mare au début du mois en se prononçant en faveur d'un cabinet d'union nationale incluant notamment les deux Nobel de la paix 2015, le syndicat UGTT et le patronat Utica. Le projet d'un gouvernement d'union nationale en Tunisie, lancé par le président Béji Caïd Essebsi, est menacé d'enlisement, au risque de fragiliser davantage la jeune démocratie, confrontée à de vives difficultés économiques et sécuritaires. Il a par ailleurs estimé qu'un tel gouvernement pourrait être dirigé par une autre personnalité que l'actuel Premier ministre, Habib Essid, un indépendant âgé de 67 ans. Les jours du chef du gouvernement, déjà contraint de remanier en janvier, semblaient dès lors comptés, M. Essid se disant lui-même prêt à partir «si l'intérêt du pays l'exige(ait)». Depuis, la situation s'est toutefois sensiblement compliquée. Dans un entretien à Al Arabiya, lundi, M. Essid a finalement semblé écarter toute démission, jugeant, selon les propos rapportés par la chaîne, qu'elle serait «synonyme d'un affaiblissement majeur de l'Etat». Pour une fois au diapason, l'UGTT et l'Utica ont exprimé le même refus de participer à un gouvernement, y compris d'union. Les deux centrales, Nobelisées au titre du quartette ayant permis en 2013 de sauver la transition, ont en échange poliment apporté leur «soutien» au projet. Mais d'éventuelles négociations s'annoncent ardues, l'initiative portée par le président ayant aiguisé les appétits, aussi bien parmi les quatre partis de l'actuelle coalition que dans l'opposition. Les islamistes d'Ennahda, une des principales forces du pays, dont la participation gouvernementale était jusque-là symbolique, ont réclamé une meilleure prise en compte de leur «poids électoral». Au sein du parti Nidaa Tounes, fondé par Béji Caïd Essebsi et aujourd'hui piloté par son fils Hafedh, les déchirements internes n'ont pas empêché des voix de réclamer la nomination d'un Premier ministre issu de ses rangs. Reçus par le président, les divers acteurs ont en outre réclamé d'être consultés sur le «programme» du gouvernement, jugé crucial au vu du marasme persistant. Cinq ans après la chute de la dictature, l'unique pays rescapé des Printemps arabes a certes réussi sa transition démocratique, mais il reste confronté à des défis majeurs. Frappé par une série d'attaques jihadistes sanglantes depuis mars 2015, il est sous état d'urgence depuis sept mois. La Tunisie a par ailleurs connu en janvier sa pire contestation sociale, après la mort d'un jeune chômeur à Kasserine, dans le centre défavorisé. Plombée par la crise du tourisme et une production en berne, la croissance reste atone, et la Tunisie est actuellement confrontée à une lente dépréciation du dinar, sa monnaie. Tunis a récemment signé un nouveau plan d'aide de 2,9 milliards de dollars sur quatre ans avec le Fonds monétaire international (FMI), et obtenu des prêts de 500 millions d'euros et de dollars, auprès de l'UE et des Etats-Unis. Selon le politologue Selim Kharrat, l'initiative de Béji Caïd Essebsi, 89 ans, offre «une forme de trêve» au gouvernement face aux critiques. Les observateurs «se focalise sur ce projet, et non plus sur l'action» gouvernementale, relève-t-il. Avec ce projet, «le gouvernement actuel, déjà extrêmement affaibli, se retrouve paralysé, sans solution de rechange en vue», dénonce pour sa part Aziz Krichen, ex-conseiller du président Moncef Marzouki (2011-2014), avec qui il a rompu. «C'est ajouter de l'incertitude à une situation déjà très compliquée», fait-il valoir, en s'inquiétant des risques d'une Tunisie dirigée par un «gouvernement devenu fantôme».