Benghazi serait libérée mais toujours sous la menace de l'EI Aveu d'échec ou de lucidité? Le fait est que la crise libyenne perdure et que le gouvernement d'union nationale peine à asseoir les solutions qui engendreront la fin de la crise. Fayez al Saraj a du pain sur la planche. Certes, le gouvernement d'union nationale avance, mais avec une grande lenteur. Lorsque l'offensive sur la ville de Syrte a été lancée, début mai, le Premier ministre libyen avait prédit sa libération «au plus tard avant la fin du Ramadhan». Les milices qui ont prêté allégeance à son gouvernement, pour la plupart de Misrata et de Tripoli, sont parvenues à investir le centre-ville de Syrte où l'EI s'est retranché dans un périmètre relativement restreint mais elles peinent, depuis maintenant deux semaines, à en finir avec les dernières poches de résistance du groupe autoproclamé Etat islamique.Depuis la base navale d'Abou Sittah, à Tripoli, où il est protégé par deux milices plus ou moins antagonistes, Fayez al Sarraj a déclaré, voici quatre jours, que seule une armée unifiée serait capable de venir à bout de Daesh en Libye, laissant entendre que l'organisation terroriste a encore du grain à moudre et de fortes capacités de nuisance. Aveu d'échec ou de lucidité? Le fait est que la crise libyenne perdure et que le gouvernement d'union nationale peine à asseoir les solutions qui engendreront la fin de la crise. Trois mois après sa proclamation, avec le soutien enthousiaste de la communauté internationale, il attend toujours le vote de confiance du Parlement de Tobrouk et on est loin de l'union des nombreuses milices que Fayez al Sarraj appelle de ses voeux. Les divisions et les rivalités entre ces milices hypothèquent la mise en oeuvre de l'accord libyen et rendent aléatoires les perspectives de sortie de la violence et du chaos. Il y a une semaine, des affrontements ont opposé les habitants de la ville de Garabouli aux éléments d'une milice de Misrata, le pillage d'un magasin et un dépôt d'armes faisant l'objet de la querelle. En s'en allant, les miliciens ont piégé le dépôt dont l'explosion a fait de nombreux morts et blessés. Telle est la réalité du terrain, tout le monde se bat contre tout le monde et ce ne sont pas les armes qui manquent, loin de là. Parmi les freins puissants auxquels se heurte le gouvernement al Sarraj dans sa tentative d'imposer son autorité à tout le territoire libyen, il y a le refus des composantes de l'armée basées à l'est d'adhérer à son projet. Sous le commandement du général Khalifa Haftar, elles dirigent indirectement le vote et les décisions des autorités de Tobrouk, jusque-là «reconnues par la communauté internationale» et mènent à Benghazi, deuxième ville du pays, une rude bataille contre les éléments rescapés de Daesh. Et c'est au moment où Fayez al Sarraj appelle à l'unification des rangs pour combattre l'Etat islamique que Haftar débarque en Russie, en compagnie de neuf des généraux sous son commandement, pour réclamer armes et soutien à la lutte qu'il livre à l'EI à Benghazi et ses environs. Pourtant, le bouillant chef d'état-major autoproclamé sent que la partie risque d'être perdue. Son intention d'investir Syrte le premier a fait long feu et la bataille qui s'y déroule encore va tôt ou tard profiter aux forces loyalistes, consacrant un rapport de force qui risque bien de ne pas lui être favorable face au gouvernement d'union nationale. Auquel cas, il n'aura d'autre issue que celle de reconnaître l'autorité d'al Sarraj et d'intégrer l' «armée» de Misrata et de l'ex-Fadjr Libya, tout en sachant que ses ambitions ont définitivement été déclarées nulles et non avenues par Tripoli. La situation actuelle dans la région de Benghazi n'est pas non plus de nature à inciter à l'optimisme. Même si Haftar déclare avoir repris à 90% la ville aux éléments de Daesh, il doit également faire face au retour des groupes islamistes radicaux chassés en décembre de Ajdabiya, mais de retour dans la région. Regroupés autour de l'ex mufti de Tripoli, Sadek Ghariani, ces groupes composés pour l'essentiel de membres dAnsar al Charia et des «brigades de défense de Benghazi» sont une autre menace pour les ambitions du vieux briscard qui, à plus de 71 ans, entend régenter l'avenir du pays. Ainsi, tous les paramètres indiquent que Khalifa Haftar pourrait jeter l'éponge à terme, un de ses plus fidèles généraux ayant tourné casaque pour rejoindre le gouvernement d'union nationale où il siège en qualité de ministre des Affaires étrangères. Qui plus est, l'homme a de lourds contentieux avec le Tchad qui lui reproche des crimes contre l'humanité et la population de Derna victime de ses exactions au nom de la lutte contre Daesh. Enfin, il doit tenir compte des nombreuses pressions qui s'exercent sur lui depuis trois mois et qui vont crescendo depuis quelques semaines, dues à la fois par ses alliés arabes et ses mentors occidentaux qui menacent de lui retirer leur soutien.Est-ce pour faire de la surenchère que son aviation a bombardé une milice dite «les gardes des installations pétrolières», ralliée au gouvernement d'union qui a averti que cette agression est une attaque contre l'autorité de Tripoli elle-même? Ou plutôt de l'aigreur face aux combattants qui, à Syrte, ont occupé la radio-télévision et la centrale électrique tout en barrant l'accès au port que les éléments de Daesh tentent désespérément d'accéder? La réponse mettra encore du temps à se dessiner...