L'assassinat mercredi du député Antoine Ghanem remet le pays en stand-by alors que l'angoisse gagne la population. Comme un seul homme les Etats occidentaux, hostiles à Damas, ont immédiatement pointé du doigt la Syrie. Le crime de mercredi est aussi abominable que ceux qui ont déjà endeuillé ces derniers mois le Liban, mais il est à tout le moins simpliste de tout ramener à l'ennemi abhorré syrien. La Syrie a immédiatement condamné l'attentat, mais condamnation qui sera de peu d'effet, la «religion» de ses accusateurs étant faite en l'occurrence. De même, Téhéran a condamné un «acte terroriste visant à provoquer une instabilité au Liban (...) alors que l'initiative du président du Parlement prenait forme». En effet, le président du Parlement libanais, le chiite Nabil Berri, avait proposé à la majorité de s'entendre sur le nom d'un candidat à la présidence qui doit être élu entre le 25 septembre et le 24 novembre et par là trouver une solution au blocage actuel des institutions du pays. Toutefois, cette proposition ne semble pas avoir eu l'assentiment de certaines personnalités de la majorité au pouvoir. Aussi, l'assassinat d'Antoine Ghanem, député de la majorité, dite «anti-syrienne», risque de brouiller la donne libanaise et aggraver les divisions qui paralysent le pays du Cèdre depuis près d'une année, depuis la démission de six ministres chiites du gouvernement de Fouad Siniora. Le différend concernait, notamment, la constitution d'un tribunal international chargé de l'affaire Rafic Hariri, l'ancien Premier ministre assassiné le 14 février 2005 à Beyrouth. D'ailleurs, suite à cet assassinat, la Syrie a été contrainte, quelques mois plus tard, à retirer ses contingents stationnés depuis 29 ans au Liban. Depuis l'assassinat de Hariri, plusieurs autres personnalités libanaises, généralement de la majorité dite «anti-syrienne», ont été tuées lors d'attentats à la voiture piégée. Le 13 juin dernier, c'est le député sunnite Walid Eido qui a été victime d'un tel attentat, meurtre qui vient après l'assassinat du député maronite Pierre Gemayel, fils de l'ancien président Amine Gemayel, tué par balles le 21 novembre 2006 au nord de Beyrouth. Cette suite d'assassinats, dont les auteurs et/ou commanditaires n'ont toujours pas été démasqués, met le Liban en situation précaire alors que d'aucuns craignent de voir le pays du Cèdre replonger dans la guerre civile qui a détruit le Liban entre 1975 et 1990. En tout état de cause, le meurtre d'Antoine Ghanem ne fera qu'accentuer le malaise et diviser davantage la classe politique libanaise qui n'arrive plus à se parler ou à placer l'intérêt du Liban avant toute chose. Faisant le lien avec les précédents assassinats d'hommes politique libanais, le Premier ministre Fouad Siniora a demandé jeudi au secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, d'inclure le meurtre d'Antoine Ghanem dans les investigations que mène la commission d'enquête internationale sur l'assassinat de Hariri. Or, par un étrange hasard, le jour même du meurtre d'Antoine Ghanem, le président de cette commission, le Belge Serge Brammertz, annonçait son retrait pour la fin de l'année, laissant à M.Ban le soin de nommer son successeur. Les condamnations de ce nouveau meurtre ont été unanimes, y compris de la part de l'Iran et de la Syrie, Damas ayant été la toute première à réagir et à condamner fermement l'assassinat d'Antoine Ghanem. Pour sa part, le Conseil de sécurité a aussi condamné ce meurtre qu'il a estimé être une «nouvelle tentative de déstabiliser le Liban en cette période très cruciale» se gardant cependant de désigner un coupable. En revanche, le président américain, George W.Bush, qui fait peu cas de telle précaution, s'est empressé de pointer du doigt la Syrie et l'Iran, coupables, à ses yeux, de ce crime. Toutefois, ces accusations systématiques de la Syrie ou de l'Iran loin de clarifier la donne n'aident en rien le Liban à retrouver sa stabilité. Une stabilité grandement menacée en cas de non-entente sur le nom du prochain président du Liban, alors que le mandat d'Emile Lahoud vient à échéance le 24 novembre prochain. Or, la première conséquence de l'assassinat d'Antoine Ghanem est l'ajournement sine die de la rencontre que devaient avoir les parties libanaises, que l'accord en vue, qui devait en résulter, semble être tombé à l'eau. Il était en effet prévu dans les prochains jours une réunion entre le président du Parlement, Nabil Berri, auteur de l'initiative pour un consensus national -et l'un des dirigeants de l'opposition- le chef de la majorité dite «anti-syrienne» (au pouvoir), Saâd Hariri, et le patriarche maronite, le cardinal Nasrallah Sfeir. Cette rencontre a été annulée à la suite de l'assassinat mercredi du député Antoine Ghanem. Pourtant, le temps presse et les Libanais doivent dépasser cette nouvelle épreuve tant ils ne semblent pas avoir le choix au regard de ce qu'il leur en coûtera à eux et à la paix et à la stabilité du Liban si chaque partie ne fait pas l'effort de concourir à faire sortir le pays de cette impasse.