Beyrouth avait, hier matin, l´allure d´une ville fantôme. Le visage fermé Amine Haydar ne cache pas son dépit et sa tristesse devant la baie de l´hôtel St-Georges, un secteur dévasté par l´attentat qui a coûté la vie à l´ancien Premier ministre Rafik Hariri. Immeubles flambant neufs dévastés, vitres jonchant la chaussée, hôtels vidés de leurs pensionnaires : sous un beau ciel bleu, la baie du St-Georges, bouclée par les forces de l´ordre, donnait mardi matin une image depuis longtemps oubliée par les Beyrouthins qui ont vu leur capitale détruite durant la guerre civile (1975-1990). Par petits groupes, des curieux regardent ahuris et dans un silence morbide le spectacle de désolation qui s´offre à leurs yeux. Pour Amine Haydar, propriétaire d´un restaurant, il n'y a pas de doute: " Ils veulent détruire le pays. Si on nous laissait entre nous, Libanais, rien de tout cela ne serait arrivé. Nous ne voulons pas d´histoires. Qu´ils nous laissent vivre en paix ". Qui sont ces "ils" ? l´homme, le visage fermé, ne veut pas en dire plus. Non loin de lui, Yahia Arakji qui dirige la société Glass Pro est un peu plus explicite : " C´est triste, c´est à pleurer, mais tout est clair. Tout finit par se savoir un jour. Walid Joumblatt a attendu 20 ans avant de désigner qui avait assassiné son père ". Le leader druze et l´un des ténors de l´opposition au Liban, Walid Joumblatt, a fait assumer la semaine dernière l´assassinat en 1977 de son père au parti Baas libanais pro-syrien. Kamal Joumblatt, leader de la gauche libanaise, qui s´était opposé à l´intervention militaire syrienne en 1976 au Liban, avait été assassiné en mars 1977 à proximité d´un barrage syrien. "Regardez cet hôtel vide", ajoute M.Arakji, en montrant du doigt les façades dévastées de l´hôtel Phoenicia Intercontinental, des autres hôtels et banques environnantes dont toutes les fenêtres ont été soufflées par la puissance de l´explosion. " Cela va coûter au moins 7 millions de dollars ", estime ce vitrier. Toute la nuit, les habitants de Beyrouth proches du bord de mer, ont entendu le bruit des vitres cassées ramassées par les ouvriers syriens de la société de nettoyage Suklin. Mardi matin, des ouvriers continuaient de s´activer pour ramasser les débris causés par l´explosion. "Quel dommage pour ce beau pays", dit tristement Elie Nourfeltian, un Arménien d´une cinquantaine d´années venu se rendre compte des dégâts occasionnés au siège flambant neuf de la banque HSBC où il est employé. " J´ai eu la vie sauve car je me penchais pour ramasser un chèque au moment de l´explosion. Mais nous avons eu de la chance car nous n´avons eu qu´une trentaine de blessés sur les 150 employés de la banque " raconte-t-il. Près de lui, Georges Antonius, son jeune collègue blessé à la tête, soupire: " Que Dieu aide les gens ". " Nous sommes revenus à la période d´avant la guerre. En tuant Hariri, ils ont atteint le symbole de la reconstruction du Liban. Ce n´est pas innocent ", lance Suleiman, un vieux chauffeur de taxi. Encore sous le choc de l´explosion d´une charge de 350 kg qui a tué lundi une dizaine de personnes au moins, dont Rafik Hariri et six de ses gardes du corps, Beyrouth avait, hier matin l´allure d´une ville fantôme. Depuis la nuit, l´armée et la police patrouillent dans la ville déserte. Les attroupements sont interdits. Les télévisions libanaises diffusent depuis lundi des versets du Coran, entrecoupés de flashes d´informations. La télévision Future TV, appartenant à Rafik Hariri, dont le sigle est drapé de noir, diffuse alternativement des images du vivant de l´ex-Premier ministre et son portrait avec la mention: "Pour le Liban...". Devant le domicile de Rafik Hariri à Beyrouth, des gens pleurent. Sur la Place des Martyrs, dans le centre-ville où auront lieu mercredi ses obsèques, et dans des quartiers musulmans et chrétiens de la capitale, des bougies ont été allumées dans la nuit.