Le réalisateur franco-algérien prépare deux autres films documentaires pour les prochains mois. Le documentariste de talent que nous avons rencontré vendredi 18 février à Alger, entend investir de plus en plus mais à sa manière propre, l'histoire coloniale de l'Algérie. Comment avez-vous apprécié le passage de votre dernier film Un Rêve Algérien dans les salles algériennes? Jean Pierre Lledo : Bien que j'ai été content de l'accueil qu'a reçu le film notamment auprès de la critique et la presse, j'ai néanmoins constaté qu'en raison de peu de salles de projection - il est passé dans 6 salles sur le territoire national - le film a été, hélas, peu vu. Il n'y a plus de salles en Algérie. Et là réside tout le problème. Un rêve Algérien est, en effet, un film qui revient sur une période précise de l'histoire de l'Algérie, auquelle j'ai donné une dimension fraternelle. Le public jeune a été particulièrement attentionné. Il a besoin, à mon avis, de revoir l'histoire de l'Algérie de façon non stéréotypée. Et comme je fais partie de la génération intermédiaire, le problème de la transmission du message ne s'est pas posé. Comptez-vous projeter en Algérie l'ensemble de votre travail cinématographique? Ce n'est pas à moi de le vouloir. Comme je l'ai souligné auparavant, en Algérie le grand problème de projection reste celui de la distribution et la diffusion des films. La Télévision reste le seul endroit où l'on peut accéder aux larges couches du public. Depuis quelques années vous vous investissez pleinement dans le documentaire. Pourquoi ce choix? Le documentaire est, à mes yeux, une manière de rester plus proche de l'Algérie. Vous savez bien que le documentaire dans la dernière décennie est en nette progression à telle enseigne que, et là c'est vraiment une première, la Palme d'or du dernier festival de Cannes, fut décernée à Michael Moore pour son documentaire Fahrenheit 9/11. Pour autant en Algérie, on ne tient pas compte de l'évolution qui existe dans le monde et on continue malheureusement de considérer le documentaire comme un genre mineur sans grande importance. Le seul élément qui distingue, à mon avis, les deux genres et que dans la fiction évoluent des comédiens. A l'exception de cette différence, je pense que tous les deux appartiennent à l'art du cinéma, du scénario jusqu'à la mise en scène. Les films documentaires que je fais, constituent, dans l'ensemble, un retour sur l'histoire de l'Algérie à travers des personnages encore vivants, que ce soit Lisette Vincent - (1908-1999) fille de colons qui s'est notamment engagée pour l'indépendance de l'Algérie - pour le film Une Femme Algérienne. Un documentaire qui nous fait revenir sur toute l'histoire coloniale du pays. Il y a aussi Jean Pelegri, l'écrivain pied-noir qui n'a cessé d'écrire sur l'Algérie depuis qu'il l'a quittée en 1956. Je pense encore qu'on a toujours besoin de sa mémoire. La société qu'on prive de sa mémoire est une société zombie. Et c'est dans cette optique que s'inscrivent justement mes productions. Comment évaluez-vous la situation actuelle du cinéma algérien? Pour le savoir, il faut tout simplement aller dans un festival, même africain. Des petits pays comme le Burkina Faso sont capables de produire trois à quatre films de fiction par an alors que l'Algérie n'en produit qu'un seul. Ce n'est pas tout. A l'indépendance, nous comptions 440 salles. Nous sommes passés ensuite, dans les années 80 à quelque 200 pour se retrouver aujourd'hui avec une dizaine de salles. Toutefois, les pouvoirs publics tentent de redonner souffle à ce secteur avec, par exemple, la création du Cnca (Centre national du cinéma et de l'audiovisuel). Quel est votre avis là-dessus? Je trouve très bonne l'idée du Cnca qui a pu, après plusieurs années, voir le jour. Cependant, le nécessaire est de passer du stade du texte à la mise en place réelle de cet organisme. Pour le cas du cinéma algérien, il a été dans le passé géré par un système d'Etat bureaucratisé et qui, de plus, était dépourvu complètement de grands budgets. Je pense qu'il est plutôt pratique, si l'on tient évidemment à réussir la mutation du secteur, d'adopter le système mixte qui stipule le soutien de l'Etat (création des laboratoires, les studios) avec, en même temps, l'application des règles du marché. Comme à l'image du CNC, en France. Il faut mettre en place un organisme géré par l'Etat qui octroie des subventions dès le début de la première étape du long processus de la réalisation, une fois que la commission, après lecture du scénario, donne son feu vert. Une instance qui se chargera d'assurer tous les besoins : production, distribution, tout ce dont a besoin le projet du film. Ce qu'il faut éviter cependant, c'est d'aller carrément vers le système anglo-saxon où le rôle de l'Etat est entièrement exclu. Certains pays de l'Europe de l'Est ont tenté cette aventure et je peux vous dire qu'il se sont cassé les dents. Des projets pour l'avenir? Sans entrer dans le détail, je prépare deux films documentaires toujours dans le cadre de la mémoire algérienne.