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Femme d'affaires et de fer
PARCOURS PATRONAL DE SAIDA NEGHZA
Publié dans L'Expression le 08 - 09 - 2016

Une femme d'action qui a réussi à concilier vie de famille et vie de patronne
«Concilier ma vie de famille et mon travail de chef d'entreprise et de représentante du patronat a été très difficile. J'ai réussi le pari. J'en tire une singulière fierté», se réjouit Saïda Neghza.
Le téléphone sonne. Elle décroche. Son interlocuteur se plaint d'un problème. Lourdeur administrative semble-t-il. Mais elle se montre sereine, rassurante. «On fera le nécessaire», lâche-t-elle, souriante. Imperturbable, elle raccroche en promettant d'agir le plus vite possible. C'est le quotidien de Saïda Neghza: convaincre les patrons que tous les problèmes, quels qu'ils soient, sont surmontables, et convaincre les responsables qu'il y va de l'intérêt de l'Algérie de déblayer le terrain pour les investisseurs. Et cette vie, la présidente de la Cgea la mène avec passion car, pour elle, bien qu'il soit bon de vivre sur le sommet de la montagne, comme dirait Gabriel Garcia Marquez, le vrai bonheur demeure dans la manière dont on escalade la pente.
Le chemin d'une vocation
Saïda Neghza, originaire des Bibans, est une femme qui aime bâtir, semer, travailler, être autonome. Depuis sa tendre enfance.
«J'avais à peine dix ans quand j'ai commencé à travailler dans le restaurant de mon père à Constantine, ville où j'ai grandi. Je travaillais dans la plonge en contrepartie de quelques sommes d'argent que je dépensais pour acheter mes vêtements, et tout ce que je désirais. Je ne voulais pas que mon père m'impose des choses que je n'aimais pas.
Contrairement à mes soeurs, je voulais être autonome. C'était un défi et je l'ai relevé», avoue-t-elle. Cette âme de femme qui se construit toute seule et qui ne compte que sur la sueur de son front, Saïda Neghza va la garder toute sa vie durant.
Mariée à l'âge de 16 ans à un businessman établi à Alger, Saïda est d'abord une femme au foyer. Mais très vite, son instinct de femme qui veut voler de ses pro-pres ailes, de femme d'affaires, se réveille. En 1992, alors que la terreur commence à battre son plein et que les pénuries sont de plus en plus récurrentes, elle se lance dans la torréfaction du café qu'elle commercialise sous le label Mouni dans le quartier dit «la Pointe». La crise aidant, les bénéfices ne valent pas «les yeux de la tête» mais Saïda y trouve ses comptes, ce qui lui permet de continuer à exercer cette activité plus de sept ans durant. Entre-temps, elle s'essaye à l'importation des boissons espagnoles Casera, mais après trois opérations, elle renonce au projet et se consacre exclusivement à la torréfaction du café. Quelques années plus tard, soit en 2000, elle crée une entreprise dans le Btph. C'était avec l'arrivée au pouvoir du président Bouteflika qui avait promis, à cette époque, la réalisation d'un million de logements. L'opportunité est là et Saïda ne va pas manquer le rendez-vous. De petits projets sont réalisés çà et là avec succès. Le goût pour les affaires commence à prendre forme dans son esprit. «Quand j'ai lancé mon entreprise de torréfaction de café, je n'avais jamais pensé diversifier mes investissements et devenir ce qu'on appelle communément une femme d'affaires. C'était pour moi une façon de m'occuper, de travailler. Mais après un succès auquel je ne suis jamais attendue, j'ai commencé à réfléchir à long terme. C'est là que l'idée d'investir dans le Btph est venue. J'ai créée une entreprise: Errep. Encore une fois, j'ai réalisé de grands succès. C'est alors que j'ai commencé à voir l'investissement autrement qu'un projet personnel. J'ai commencé à voir dans chacun des projets que je réalisais une participation à l'édification du pays. Cela me passionnait d'avoir un sentiment de participer à la construction de mon pays, même si ce que je faisais était très modeste par rapport à ce que d'autres entreprises réalisaient», confie-t-elle, d'un air fier. Par la suite, un succès cachant un autre, Saïda Neghza crée une autre entreprise dans le même secteur: Soralcof. Néanmoins, contrairement aux aventures entrepreneuriales précédentes, Soralcof ne rimera pas toujours avec «sérénité».
«Avec Soralcof, j'avais déjà fait mes armes et j'étais théoriquement prête à affronter les grands projets. Au début, tout fonctionnait à merveille. Je construisais et j'avais même réussi à monter une équipe de travail homogène, efficace et solidaire. C'était magique de savoir ces employés complètement engagés dans l'élan entrepreneurial dont j'étais l''actrice principale. C'est comme ça que j'ai engagé en 2007 un partenariat avec une entreprise espagnole, Arproinsa, pour la réalisation de 700 logements à Oran et Ouargla pour la Gendarmerie nationale. Mais le partenaire espagnol m'a abandonnée, juste après l'attribution du projet. J'étais dans l'obligation de faire face à la situation sans y être vraiment préparée. Il fallait faire face à toutes les dépenses, payer la caution exigée, payer les ouvriers, etc. C'était une période d'enfer. Sous la pression, je suis rentrée en coma durant 24 jours mais je ne pouvais me laisser choir. J'ai repris le travail le jour-même de ma sortie de la clinique Shahrazade d'Oran où j'étais hospitalisée. Il fallait mener le projet à terme et sortir de l'impasse dans laquelle m'avait mise la défection de mon partenaire espagnol. Pour ce faire, j'ai vendu tous mes biens, y compris ma maison et mon véhicule, pour payer les ouvriers à temps. J'ai moi-même conduit des camions, des engins, assisté les ouvriers sur les lieux du chantier, etc. Et ce n'est que grâce à l'aide du chef du gouvernement de l'époque, M. Ouyahia, qui m'a enlevé la caution que j'ai pu réaliser le projet sans dégâts. Depuis, j'ai acheté trois carrières dont trois sablières et une marbrière», confesse-t-elle encore. «Ce qui ne tue pas, rend plus fort», Saïda est sortie davantage aguerrie de cette expérience.
Dans la cour des grands
Les problèmes et la volonté de les résoudre poussent souvent les gens à s'organiser. C'est ce qui est arrivé à Saïda Neghza. «Après le décès de mon mari en 1997, je devais affronter tout toute seule. Ce n'était ni évident ni agréable. Mais j'ai tenu le coup. Au début des années 2000, je ne connaissais pas encore le monde des affaires. J'étais une simple chef d'entreprise qui voulait travailler et gagner de l'argent. Mais, face à la bureaucratie étouffante que je rencontrais sur mon chemin, j'ai réalisé que je perdais beaucoup de temps à aller et venir dans les couloirs des administrations, toutes les administrations. De plus, les retards dans les payements s'ajoutant à mon quotidien stressé, j'étais dans une situation très critique. Mais je ne savais pas à qui me plaindre et tous les opérateurs étaient dans la même situation que moi. J'ai alors demandé de l'aide à M.Megatli Mahfoud qui était à l'époque secrétaire général de la Cgea. Il a tout de suite enregistré ma requête en me proposant d'intégrer la Cgea. Je n'ai pas hésité un seul instant parce que je trouvais important que des chefs d'entreprises se parlent, s'entraident et défendent ensemble leurs intérêts.» C'est ainsi que Saïda va intégrer pour la première fois une association patronale avant de devenir présidente du bureau d'Alger de cette même association six mois après et vice présidente nationale en 2004. «Une entreprise n'appartient pas à son propriétaire, mais à tous ceux qui y travaillent et en tirent bénéfice, directement ou indirectement. C'est comme un livre, dès qu'il est publié, il cesse d'appartenir à son auteur», explique Saïda.
Dans le milieu patronal, l'étoile de Saïda va vite briller. Pourtant, il n'a jamais été question pour elle de se mettre au-devant de la scène. «C'est un concours de circonstances», avoue-t-elle sans gêne. En effet, la Cgea étant membre fondateur de BusinessMed, une association regroupant les patrons de 19 pays du pourtour méditerranéen, Saïda Neghza va se distinguer par son parcours singulier, son franc-parler et son engagement sans faille dans tout ce qu'elle entre-prend. De fait, sans surprise, elle sera élue vice-présidente de cette organisation en 2014 et présidente de sa section féminine en 2015. Une carrière internationale qui la portera de Tunis à Milan, de Beyrouth à Dubaï, de Madrid à Washington, du Caire à Nairobi, va commencer pour elle. Et son élection en février 2016 comme présidente de la Cgea va renforcer sa position de femme leader et lui donner davantage de crédibilité sur la scène politico-économique nationale, régionale et internationale. En effet, depuis cette consécration, Saïda Neghza s'est faite inviter et honorer par plusieurs organisations patronales à travers le monde, notamment aux Etats-Unis, en Italie, En Espagne, au Liban, aux Emirats arabes unis et en Egypte. «Le patronat m'a ouvert les portes sur les expériences des autres pays. C'est une richesse inestimable», commente-t-elle. En rendant un hommage appuyé à Habib Yousfi qui «lui a beaucoup appris». «M. Yousfi m'a beaucoup appris. Aujourd'hui, grâce à lui, j'arrive à appréhender tous les patrons de tous les pays comme étant des partenaires. J'appréhende aussi les problèmes de tous les patrons comme s'ils étaient les miens propres. Mettre les intérêts de l'Algérie avant ceux des patrons, mettre l'intérêt des patrons avant ses propres intérêts, c'est ceci ma philosophie et c'est grâce à M.Yousfi que je l'ai acquise», dit-elle.
«Une femme et demie»
La vie de Saïda Neghza ne peut pas être dissociée de son parcours de chef d'entreprise. «Dans mon bureau de présidente de la Cgea ou dans mon bureau de chef d'entreprise, je me sens chez moi. Le patronat et mes employés sont ma deuxième famille. Je ne peux pas vivre sans eux», affirme -t-elle. En effet, vivre, travailler, entreprendre sont une deuxième nature pour la patronne de Soralcof. «Je ne regrette rien de ce que j'ai fait. Je me suis battue. Il y a eu des hauts et des bas dans ma vie, parfois plus de hauts que de bas, mais je ne m'en plains pas outre mesure. Le plus important, c'est le chemin qui nous mène vers nos rêves. J'aurais aimé commencer mon parcours dans l'agriculture et y rester. Cela n'a pas été le cas. Mon rêve aujourd'hui est de finir mon parcours de chef d'entreprise dans l'agriculture. Travailler la terre est à la fois noble et passionnant», continue-t-elle avant de faire une halte et de révéler, avec un ton nostalgique: «Je me rappelle, j'avais environ 8 ans. J'ai pris un grand sac de coquillettes et je les ai semées dans notre jardin. Quand mon père est rentré le soir, je suis allée à sa rencontre et lui ai dit que nous n'allions plus acheter des coquillettes puisque j'en avais semées. Il était content et m'a remercié en disant qu'effectivement on n'allait plus acheter des coquillettes. En se comportant de la sorte avec moi, mon père m'a donné l'envie de semer, toujours semer, tout semer... même les coquillettes...» Toutefois, malgré la grandeur des vertus entrepreneuriales qu'on lui prête, malgré la singularité de son parcours plein d'autant d'embûches, que de succès, ce dont Saïda Neghza tire une fierté particulière, c'est le fait d'avoir réussi à concilier vie de famille et vie de patronne». «Concilier ma vie de famille et mon travail de chef d'entreprise et de représentante du patronat a été très difficile. J'ai réussi le pari. J'en tire une singulière fierté», se réjouit-elle. Parlant de son statut de femme dans une société réputée «conservatrice», voire machiste, Saïda Neghza dit ne jamais avoir senti l'obligation de justifier son appartenance à «l'autre sexe». «Très souvent, on entend dire qu'être femme est difficile en Algérie et qu'être responsable l'est encore davantage pour elle. De mon côté, je n'ai jamais senti une quelconque gêne par rapport au fait que je sois une femme. J'ai travaillé avec des hommes dans différentes conditions, y compris sur le chantier, et jamais je ne me suis sentie embarrassée, de quelque manière que ce soit. A Ouargla, mes employés avaient, au début, du mal à m'accepter. Ils disaient: Une femme ne peut pas être notre patronne.'' Mais, petit à petit, en partageant leur quotidien avec moi, ils ont pu se faire à l'idée qu'une femme pouvait être une patronne sans cesser d'être une femme. Cela a été un déclic pour eux. Ils disent de moi que je suis une femme et demie», explique-t-elle.
Reconnue partout, honorée, Saïda Neghza, en bonne «femme et demie», constitue aujourd'hui un repère, «un gage de la possibilité de réussir» pour toutes les femmes du pourtour méditerranéen. Les Algériennes peuvent sans nul doute trouver dans son parcours les ingrédients d'une ambition entrepreneuriale réaliste.


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