Rencontre historique s'il en est, elle scelle un tournant décisif et irréversible dans les orientations des pouvoirs publics. C'est sous les meilleurs auspices que s'est ouverte, jeudi matin à Djenane El Mithak, la onzième tripartite regroupant le gouvernement, les cinq organisations patronales les plus représentatives et l'Ugta. Cette tendance, largement pressentie par les observateurs en dépit du caractère lourd et déterminant des dossiers traités, a été largement confirmée dans toutes les interventions préliminaires. Celles-ci ont duré deux heures de temps avant que les travaux non-stop ne commencent pour ne s'achever que le lendemain, vendredi. A tout seigneur, tout honneur. Le premier à prendre la parole a été le chef du gouvernement. Ce ne sera pas sans rappeler que «la dernière tripartite remonte à pas moins de 17 mois». Si, durant cette longue période, pas mal de tensions ont fait que ces trois partenaires n'ont pu tenir leur onzième et décisive «session» dans des délais raisonnables, Ouyahia éludera soigneusement le sujet pour se contenter de mettre en exergue les importantes réalisations obtenues durant cette période. «Durant l'année passée, l'investissement consenti au profit du secteur privé s'est élevé à 256 milliards de dinars alors que dans le même temps, 116.000 nouveaux emplois ont été créés», a ainsi relevé Ahmed Ouyahia. A ses yeux, «ces résultats probants ont été rendus possibles grâce aux réformes engagées». C'est pourquoi, «il convient d'accélérer les privatisations en cours». A l'évocation de ce mot, qui ne fait plus tressaillir personne, ou presque, Ouyahia a tenu à «remercier vivement l'Ugta pour son courage et sa conscience à la suite de l'acceptation démocratique et quasi unanime, le 2 février passé, du processus de privatisation.» Idem pour la position de la Centrale adoptée vis-à-vis du projet de loi sur les hydrocarbures. Il n'empêche qu'Ouyahia est encore le premier à admettre que beaucoup de choses restent à faire, à «commencer par la réforme des mentalités lors de son discours comme l'a souligné le président Bouteflika lors de son discours, fait à partir de la Maison du peuple». D'où, également, «l'ordre du jour riche et non pas lourd de cette tripartite». Un aveu donc que cette rencontre amorce bel et bien un virage irréversible dont les conséquences sont loin d'être mesurables ou prévisibles. Pas moins de 13 points, si l'on y inclut les «divers» du gouvernement, sont de ce fait inscrits à l'ordre du jour de cette rencontre. M.Naït Abdelaziz, président de la Cnpa, prendra à son tour la parole pour attaquer tout de go en disant qu'«il faut lever les entraves qui freinent les investissements et le développement économique.» Loin de s'inscrire en faux contre la démarche gouvernementale, cette confédération souhaite au contraire plus de hardiesse en annonçant, comme le feront tous les intervenants suivants, du reste, son soutien au fameux projet de «pacte économique et social», premier et plus important point inscrit à l'ordre du jour de cette rencontre puisqu'il englobe la quasi-totalité des autres sujets en débat. Autre crainte soulevée par les cinq organisations patronales : l'imminente adhésion au Marché commun européen en attendant l'OMC alors que ni l'économie nationale ni les opérateurs privés et publics n'y sont préparés. Aussi, est-il conseillé d'aller vite en besogne, non sans cibler avec exactitude les secteurs à soutenir grâce à la manne financière des 50 milliards de dollars d'aide à la relance, mais aussi ceux qui doivent être «abandonnés» aux seules lois du marché et de la concurrence. M.Merakchi, président de la CAP a, pour sa part, mis en exergue le caractère «décisif» de cette rencontre, avant de souligner que «la mondialisation est devenue inéluctable». Il soulignera, au passage, la volonté clairement affichée du président Bouteflika de faire de l'Algérie un marché émergent avec tous les blocages qui existent, à commencer par les mentalités elles-mêmes. C'est pourquoi, à titre d'exemple, la CAP souhaite que plus d'efforts soient consentis dans le cadre de la réalisation d'un million de logements avec la relance du bâtiment, grand pour d'emplois. Idem pour le fameux plan portant création de 100.000 entreprises. Déjà, est-il encore souligné, le secteur privé participe, hors hydrocarbures, à hauteur de 70% du PIB national (produit intérieur brut), ce qui n'est pas peu dire. La Seve, représentée par la première femme admise à cette rencontre, «une fleur» pour reprendre les termes de Sidi Saïd, ne mâchera pas ses mots pour dire que «de graves dangers nous menacent à la faveur de l'adhésion de l'Algérie à l'OMC». Ainsi, Mme Yasmine Ouzrout, souhaite-t-elle la création d'un comité de suivi des résolutions devant être adoptées lors de cette tripartite afin qu'elles ne demeurent pas au simple stade de voeux pieux. Il s'agit, là, du 1er point inscrit à l'ordre du jour de la rencontre, lequel a fait consensus bien avant l'ouverture des travaux, comme il nous a été donné de le constater. Cette dame, pour qui «le glissement du dinar est un problème réel», n'en considère pas moins que «le pacte économique et social est un second 1er novembre». Habib Yousfi, président de la Cgeoa, soulignera fort pertinemment que «cette rencontre s'inscrit dans un contexte entièrement différent puisque beaucoup de changements et de mutations se sont fait jour depuis la dixième tripartite de septembre 2003». Loin d'être en phase, sur le plan législatif, avec le marché européen, notre économie qui n'en est pas encore aux normes standards de la saine concurrence, demeure encore en transition. Tout retard dans ces réformes, mis en exergue par le président, dessert grandement notre pays. L'Unep, que représente Benyounès H'ssen précise lui aussi que «cette rencontre intervient dans un cadre historique décisif pour aider à consolider les réformes et la relance économique». Reprenant à son compte plusieurs sujets initialement soulevés, il saluera au passage «la volonté gouvernementale d'en finir avec l'économie informelle». Pour lui, le pacte économique et social, que l'Unep soutient, «devra définir des objectifs communs, sur une période donnée afin d'arriver à une meilleure croissance et un plus grand bien-être social». Le représentant des SGP, pour sa part, a décrit cette rencontre comme une halte visant à clarifier les choses afin de définir plus sereinement les objectifs à atteindre. Vient alors le tour de l'intervenant le plus attendu, Abdelmadjid Sidi Saïd. Mettant de côté son texte mûrement préparé, au risque de déplaire aux «12 salopards» qui composent son secrétariat national, il improvisera un discours dans lequel transparaissent les grandes lignes de ce que sera désormais l'Ugta. Il sera ainsi le seul à ne pas «oublier» de saluer la presse dont même les «critiques objectives sont plus que souhaitables». Cela avant de «décréter (son) amitié pour les présents afin de grignoter quelque chose». Fini le temps du bras de fer et des confrontations. Partenaire et accompagnatrice à part entière des «réformes», la Centrale aura pour rôle avant tout, pour ne pas dire exclusivement, d'éviter les dommages collatéraux sur le monde du travail et les lois sociales. Visiblement excédé par le climat de suspicion qui régnait à l'Aurassi, au Saint-Georges et au Club des Pins, Sidi Saïd martèlera «que ceux qui ont des dossiers, qu'ils les sortent». Avant d'ajouter qu'il est regrettable de se faire traiter de corrompu quand on aide un patron à acquérir une entreprise publique défaillante pour la relancer, tout en préservant les emplois et en créant d'autres. Tout en saluant le discours de Bouteflika fait à partir de la Maison du peuple, et en remerciant l'hommage rendu à l'Ugta par Ouyahia, Sidi Saïd préférera faire tomber les tabous, lui aussi, pour annoncer que «les changements à venir seront douloureux». D'où la volonté de l'Ugta d'accompagner le patronat, et même de revendiquer à sa place, pour peu qu'il joue lui-même le jeu, «plus question d'embaucher 200 pour n'en déclarer que 50», s'écriera-t-il avant de dire qu'il faut désormais asséner les vérités telles qu'elles sont, et advienne que pourra. L'Ugta qui semble déjà en être à son «pacte», qu'elle revendique depuis une dizaine d'années, déclare vouloir arriver à une «économie alternative et une croissance durable avant de se mettre à taper de nouveau sur la table». Il est à rappeler, pour finir, que pas moins de 13 points ont fait consensus entre les 3 parties. Il s'agit du pacte économique et social, du système financier et bancaire, du code du travail, du respect de l'exercice du droit syndical, de l'adaptation du système fiscal, de l'article 87-bis de la loi 90-11, du foncier industriel, du bilan des dossiers de la bipartite de septembre 2003 pour ce qui concerne la sécurité sociale et la médecine du travail, des activités informelles, des allocations familiales, de la mise en place de la commission d'évaluation et de suivi et, enfin, de points divers.