Alloula est-il devenu un nom que le temps a fini par emporter dans les ténèbres de l'oubli ? Son oeuvre est-elle devenue des cendres que le vent a fini par éparpiller? Onze ans que le «Lion» d'Oran est parti avec fracas, trahi par une horde assassine qui avait juré de tuer l'art, de liquider le génie et de priver le pays de tout ce qui est beau, tout ce qui fait supporter un quotidien difficile. Né le 8 juillet 1939 à Ghazaouet, Alloula avait fait des études secondaires à Oran pendant lesquelles il découvrit que l'art des planches lui tendait les bras. Le plongeon dans le bain, il le fit avec la troupe Echabab en 1956, alors que la guerre de Libération battait son plein. De comédien, il n'eut qu'un petit pas à franchir pour devenir le metteur en scène qu'il a été. En 1962, il s'essaya avec «Les captifs de plante», une pièce qui lui vaudra de devenir un pilier de l'ensemble théâtral oranais, le bourgeon qui donnera quelques mois plus tard naissance à la troupe du théâtre régional d'Oran. Ses prestations lui valurent d'être appelé à faire partie de la troupe du Théâtre national algérien sous la direction de Mustapha Kateb. De cette expérience, ses fans retiendront ses passages marquants «aux Enfants de la Casbah», «Hassan Terro», «Le Serment», «Don Juan», ou encore «La Mégère apprivoisée». Il fit également quelques sporadiques apparitions à l'écran avec «Les Chiens» (1969) et «Ettarfa» (1971) réalisés par Chérif El Hachemi et tombés sous le coup d'une censure omniprésente à l'époque, «Tlemcen» de Mohamed Bouamari, et «Hassan Nia» (1990) par Ghouti Bendeddouche. Mais la quintessence de son art sera ses mises en scène pour le théâtre. El Alleg en 1969, El Khobza où avait explosé Mohamed Adar dans le rôle du conteur du vécu de Si Ali en 1970, Homk Salim adapté du Journal d'un fou de Gogol en 1972, Laghoual (les dires) en 1980, El Adjouad qui avait fait découvrir au public algérien le talent du disparu Sirat (1985), El Lithem en 1989, Ettefah (les pommes) en 1992, Arlequin valet de deux maîtres en 1993 de Carlo Godoni seront des haltes marquantes dans sa vie professionnelle. Ayant plusieurs cordes dans son sac, il adapta pour la télévision en 1990, de nombreuses nouvelles, dont Lila maâ Majnou, Es Soltane Oual Guerbane, El Wissam, Echaâb Fak, El Wajeb el watani et écrit 2 scénarios pour des films réalisés par M. Ifticène: Gorinne en 1972 et Djalti en 1980. Il fut l'héritier des premiers travaux d'Ouled Abderrahmane Kaki sur la Halqa qu'il mania avec art au point de devenir une référence. D'ailleurs, son nom est accolé à cette forme de théâtre qui semble avoir inspiré Berthold Brecht avec les principes de distanciation qui cassent l'espace scénique conventionnel pour le reconstruire au gré du texte, de la mise en scène ou encore du jeu des comédiens. Le 10 mars 1994 à Oran, Abdelkader Alloula est mortellement blessé à la sortie de son domicile, rue de Mostaganem. C'était le Ramadan, après la rupture du jeûne. Il devait rejoindre un centre culturel pour y animer une conférence sur l'art et le théâtre. Ses assassins l'avaient suivi dans ce quartier populaire et tiré sur lui au moment où il saluait un passant qui l'avait reconnu. Après trois jours d'agonie, il rendra l'âme. Depuis, Raja sa veuve continue de se battre pour qu'il ne tombe pas dans l'oubli. Ceux qui l'ont côtoyé et apprécié se battent aussi pour que son oeuvre ne soit pas un feu de paille, qu'on s'empresse d'éteindre une fois applaudi. Certains ont voulu faire de son nom, un fonds de commerce qui leur ouvre des portes qui leur permet de se créer des situations. Le théâtre régional qui porte son nom est tombé en désuétude. Seule une plaque que la mousse a rongé rappelle qu'on l'avait pleuré, qu'on avait juré de poursuivre son oeuvre, son combat, des promesses oubliées avec le temps. Alloula, que feu Zoubida Hagani avait pleuré et qualifié de «lion d'Oran» devant les caméras de toutes les télévisions du monde ne doit pas subir cette infamie. Un petit four, une petite limonade, un discours hypocrite, à l'occasion de son assassinat sont les outils qui ont consacré l'amnésie et plongé le grand homme dans l'oubli dans lequel, voulaient le plonger ceux qui lui ont tiré dessus, une sombre soirée du Ramadan de l'an 1994.