Nourredine Bouterfa, l'homme que personne n'attendait... Le feuilleton de la chute des cours de l'or noir est sans doute loin de connaître son épilogue même si une nouvelle page vient de s'écrire. Une saga. L'année 2016 qui est sur le point de s'achever constitue une année charnière dans la dégringolade des prix de l'or noir qui a commencé à la mi-juin 2014. Elle restera surtout marquée par le réveil tardif de l'Opep et de ses alliés hors cartel qui ont fait front pour stopper l'hémorragie, rééquilibrer le marché et permettre enfin aux prix de rebondir de façon marquée. Un scénario auquel n'ont cru que de rares analystes et experts et qui a pu s'esquisser lors du sommet informel qui s'est tenu à Alger le 28 septembre en marge du 15ème Forum international de l'énergie qui a débouché sur un accord historique qui a été salué par la presse internationale. Un événement qui a confirmé l'efficacité de la diplomatie algérienne et le rôle de premier plan qu'elle a joué pour que ce rendez-vous soit couronné de succès. Avant d'en arriver là, le baril a dû vivre bien des péripéties. Tantôt au creux de la vague, tantôt donnant l'impression de vouloir sortir la tête de l'eau. Le feuilleton est sans doute loin de connaître son épilogue, même si une nouvelle page vient de s'écrire. De Doha à Alger. Le baril a connu bien des pérégrinations en 2016. Les cours de l'or noir que l'on donnait pour moribonds avaient pourtant entamé la nouvelle année sur un rebond aidés en cela par de vives tensions entre l'Arabie saoudite et la République islamique d'Iran. Le marché pétrolier n'est pas resté insensible à la détérioration des relations irano-saoudiennes provoquée par l'exécution d'un dignitaire chiite opposant farouche au pouvoir saoudien. Riyadh et Téhéran allaient-ils en arriver à la confrontation et donner malgré eux une impulsion aux cours de l'or noir? Certains ne l'ont pas exclu. «Le prix du pétrole a grimpé en raison de craintes d'interruptions d'approvisionnement alors que les tensions géopolitiques s'accroissent au Moyen-Orient», expliquait Michael van Dulken, analyste chez Accendo Markets. «Tout différend militaire direct entre les deux puissances hégémoniques du Moyen-Orient aurait de graves conséquences pour l'offre mondiale d'or noir, alors que près de 30% de celle-ci est produite dans la région du golfe Persique», faisaient remarquer de leur côté les analystes du second groupe allemand, Commerzbank. Cela ne s'est finalement avéré qu'un feu de paille. Le baril qui avait clôturé l'année 2015 à plus de 37 dollars se tenait prêt à s'enfoncer sous la barre des 30 dollars. Le 11janvier il allait se retrouver à son plus bas niveau depuis plus de 12 ans. La situation est plus que préoccupante. L'Opep allait-elle réagir? Ses dissensions internes, le différend irano-saoudien, la position de son chef de file, l'Arabie saoudite, qui a décidé de ne pas bouger le petit doigt et qui s'est toujours prononcée pour le maintien du niveau de production de l'organisation ont constitué autant de freins pour qu'une réaction ferme et efficace qui aurait permis de stopper cette descente aux enfers, voit le jour. «Le marché restera sous pression tant que nous ne verrons pas de signes de la part de l'Opep... Les marchés vont continuer à chercher à toucher le fond», avait prédit Gene McGillian, chez Tradition Energy. La prédiction ne va pas tarder à se réaliser. Le 20 janvier le Brent de la mer du Nord s'affiche autour des 27 dollars. Le chaos annoncé! «Les premier et deuxième trimestres (2016, Ndlr) vont être très difficiles... C'est un grand choc pour les pays producteurs de pétrole. Cela me rappelle (la crise pétrolière de) 1986», avait déclaré Robert Dudley, le P-DG de la compagnie pétrolière British Petroleum, au Forum économique mondial qui s'est tenu à Davos (Suisse). Contre toute attente le baril aura un de ses sursauts d'orgueil dont lui seul a le secret. Sur fond de rumeurs d'une baisse de la production russe et saoudiennes (de quelques 5%) il rebondira à près de 36 dollars le 1er février avant que l'Arabie saoudite et la Russie n'annoncent un gel de leur production à son niveau de janvier. Une décision prise au terme d'une réunion à laquelle ont participé, le 16 février, le Qatar et le Venezuela à Doha. «L'Arabie saoudite et la Russie, les deux premiers producteurs de brut, sont convenues mardi, au terme d'une réunion à Doha avec le Qatar et le Venezuela, de geler leur production à son niveau de janvier. Afin de stabiliser les marchés pétroliers, les quatre pays sont convenus de geler la production à son niveau de janvier, pourvu que les autres grands producteurs fassent de même», avait annoncé le ministre qatari de l'Energie, Mohammed Saleh al-Sada. Une décision qui avait étonné les observateurs les plus avertis du marché. «C'est une surprise totale. Il y avait des rumeurs depuis plusieurs semaines, mais personne ne pensait à un accord probable avant la prochaine réunion de l'Opep de juin», avouait Christopher Dembik, analyste chez Saxo Bank. Etait-ce la fin de la série noire? L'échec de Doha Il fallait plus d'un effet d'annonce pour stopper la saignée. C'était sans compter sur la réaction de la République islamique d'Iran. «Les choses sont allées de mal en pis pour le pétrole quand l'Iran a estimé que l'accord de gel de la production proposé par la Russie et l'Arabie saoudite était une plaisanterie», puis quand cette dernière a déclaré qu'«il n'y aurait pas de réduction de production», soulignaient Mike Van Dulken et Augustin Eden, analystes chez Accendo Markets. A l'ex-ministre saoudien du Pétrole Ali al-Naïmi qui avait déclaré le 23 février qu'il avait bon espoir qu'un accord soit trouvé, en mars, avec d'autres pays producteurs pour obtenir un gel de production permettant à terme de rééquilibrer le marché, son homologue iranien Bijan Namadar Zanganeh lui avait répondu, en qualifiant de «plaisanterie» cette démarche. Une déclaration qui venait de signer l'arrêt de mort de la décision de Doha. Les Pays Opep et non-Opep qui se sont retrouvés dans la capitale qatarie le 17 avril devaient parvenir à un accord qui constituerait une première étape dans le processus de stabilisation de la production pétrolière. Dans la foulée de ce sommet était annoncée la tenue du 15ème Forum international de l'Energie qui devait se tenir du 26 au 28 septembre à Alger. On était encore loin de se douter que l'Algérie allait entrer en scène pour remettre de l'ordre dans la maison Opep et prendre une décision qualifiée d'historique par les observateurs internationaux. Nous n'en sommes encore pas à ce stade. Les regards étaient braqués sur Doha pour savoir ce qui allait sortir de la réunion Opep -non-Opep. Ce fut la désillusion! L'Organisation des pays exportateurs avait offert une piètre image d'elle-même. Téhéran a boycotté ce rendez-vous et a donné l'impression de vouloir le torpiller. L'Arabie saoudite affirmait dans le même temps qu'elle ne gèlerait pas sa production si l'Iran n'en faisait pas de même. L'échec était consommé. Les prix du pétrole ont plongé. «Un sentiment de déception indéniable a submergé les marchés mondiaux suite à l'échec de la réunion de dimanche dernier (17 avril 2016, Ndlr) à Doha qui a anéanti le peu de crédibilité qui restait à l'Opep (Organisation des pays exportateurs de pétrole), soulignait Lukman Otunuga, analyste chez Fxtm. Le baril allait désormais évoluer au gré des rapports hebdomadaires du Département américain de l'Energie qui font état des stocks américains, des statistiques qui recensent le nombre de puits en activité aux Etats-Unis, des perspectives de la consommation mondiale...L'Opep a-t-elle grillé sa dernière cartouche? L'Algérie entre en jeu Aux yeux des analystes, la réunion de Doha était celle de la dernière chance. Cinq mois plus tard elle allait les faire démentir. L'offensive diplomatique sans précédent, lancée par l'Algérie et initiée par le chef de l'Etat, Abdelaziz Bouteflika, pour sensibiliser les pays producteurs (Opep et non-Opep) à la dégringolade des prix du pétrole allait entrer en jeu. Une botte secrète préparée de longue date. L'offensive diplomatique d'envergure et sans précédent, lancée par l'Algérie et initiée par le chef de l'Etat, Abdelaziz Bouteflika, pour sensibiliser les pays producteurs (Opep et non-Opep) à la dégringolade des prix du pétrole, s'y est frayé un passage. Cette initiative a eu pour acteur de premier plan le Venezuela qui plus que n'importe quel autre pays producteur aura souffert de la chute des cours de l'or noir. Les deux pays s'étaient concertés cinq mois, à peine, après le déclenchement de la dégringolade des prix du pétrole. «Nous avons évoqué le marché pétrolier international et réaffirmé notre position à défendre le prix du pétrole», avait déclaré le ministre du Pouvoir populaire pour les Relations extérieures du Venezuela, Rafael Ramirez, au mois de novembre 2014, à Alger, à l'issue d'un entretien avec le chef de l'Etat. Trois hommes ont été chargés d'ouvrir un front diplomatique pour que cet objectif de longue haleine se concrétise. Le Premier ministre Abdelmalek Sellal devait sensibiliser les chefs d'Etat africains à travers des messages que leur avait adressés le président de la République, l'actuel ministre de la Justice s'est déplacé à Riyadh pour faire fléchir la position du chef de file de l'Opep qui avait opté pour le statu quo alors que les prix du pétrole s'enfonçaient. L'ex-ministre de l'Energie Youcef Yousfi, s'est rendu en Azerbaïdjan, importante puissance pétrolière régionale du Caucase, où il a été reçu par le président de l'Azerbaïdjan, Ilhem Aliyev, à qui il a remis un message du chef de l'Etat (lire L'Expression du 5 octobre 2016)... L'initiative devait attendre son heure. Entre-temps son chef de file venait de déboulonner son inamovible ministre du Pétrole, Ali al-Nouaïmi,dans le sillage de l'échec de la réunion de Doha. L'économie saoudienne qui a accusé un déficit de près de 100 milliards de dollars ne pouvait se satisfaire d'un niveau bas des prix du pétrole au même titre que l'Iran qui a souffert des sanctions occidentales qui l'ont frappée à cause de son programme nucléaire controversé. La dégringolade des prix du pétrole n'a, en définitive, épargné aucun pays producteur. Le triomphe Tenter de les relever devenait une question de vie ou de «mort» à petit feu. Le 15ème Forum international de l'Energie qui s'est tenu dans la capitale algérienne allait offrir l'opportunité de desserrer l'étau. Un sommet informel de l'Opep s'est tenu en marge de cet événement. Il s'est soldé par un succès éclatant. Un accord historique! La proposition de l'Algérie de plafonner la production de l'Opep à 32,5 millions de barils par jour a fait l'unanimité. Le différend irano-saoudien a été aplani. L'Algérie s'y est attelée. Les relations exceptionnelles qu'elle entretient avec ces deux nations allaient s'avérer un atout déterminant. Elle les a convaincues qu'elles avaient tout à gagner en se montrant plus disposées à collaborer. Le 10 décembre à Vienne ce fut le triomphe. Les pays membres de l'Opep et leurs «11 alliés» hors cartel ont décidé de réduire leur production de près d'1,8 million de barils par jour. Mission accomplie pour l'Algérie. L'accord obtenu avec 11 pays hors-Opep pour diminuer l'offre de 558.000 barils/jour «marque l'effort extraordinaire de la diplomatie algérienne, et cela est reconnu par tous les responsables. Les ministres reconnaissent le rôle de l'Algérie et la disponibilité du président de la République Abdelaziz Bouteflika à soutenir cet accord», a déclaré le ministre algérien de l'Energie, Nourredine Bouterfa. Les experts reconnaissent sa solidité et la discipline qui règne pour le faire appliquer. «Cela fait près d'un mois que l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) s'est réunie, et plus d'une semaine que d'autres pays producteurs se sont joints à l'effort de l'Organisation pour rééquilibrer les marchés en limitant la production mondiale», souligne Tamas Varga, analyste chez PVM. «En un mot, les marchés ont apprécié ce qui leur a été promis», a-t-il ajouté. Les retombées sont notoires. Les prix du pétrole ont rebondi. Le baril de Brent de la mer du Nord imperturbable s'affiche désormais au-dessus des 55 dollars. La barre des 60 dollars est à quelques encablures, elle pourrait être atteinte avant le début de l'année 2017. On le saura dans 10 jours.