Plusieurs commerçants ont baissé rideau Alors que la ville se vidait, les marcheurs s'approchaient du siège de la wilaya pour donner lieu aux premiers affrontements aux environs de midi. Les mauvais jours étaient de retour hier à Béjaïa, une ville qui a connu une situation de psychose qui rappelle à bien des égards les journées mouvementées du printemps noir d'avril 2001. Alors que la situation était assez calme le matin et que les citoyens vaquaient normalement à leurs occupations, la situation a vite dégénéré pour prendre une tournure que d'aucuns ne souhaitaient. Le mouvement de grève, qui n'a été que très peu suivi dans la matinée a vite pris de l'ampleur. Les commerçants qui n'avaient pas jugé utile de suivre un mouvement de grève «anonyme» ont vite cédé à la pression. Un par un ils baissaient les rideaux de leurs commerces, beaucoup plus par crainte face aux rumeurs les plus folles qui leur parvenaient. Le saccage et l'incendie d'un bus d'Etub, l'Entreprise publique de transport de voyageurs aux environs du quartier Ihadadden et la marche initiée spontanément à partir du même endroit se sont ajoutés aux autres mauvaises nouvelles parvenant de la vallée de la Soummam et la côte Est de la wilaya pour finir par contraindre à la fermeture les commerçants les plus récalcitrants. Bien que le mot d'ordre de grève lancé sur les réseaux sociaux et colporté par la rumeur en direction des commerçants et d'autres professions libérales ait été rejeté avec des appels à la vigilance, certains commerçants ont tout de même baissé les rideaux de leurs magasins hier dans la majorité des localités de la wilaya de Béjaïa. Excepté dans les villes de Sidi Aïch et Ouzellaguen où les magasins ont ouvert, partout ailleurs dans les localités de la wilaya, la grève a eu lieu. De Tazmalt à Akbou en passant par Ighil-Ali, Aït R'zine, Aokas, Tichy, Souk El Tenine, Kherrata, Melbou, Baccarro, la RN 09 a été coupée à la circulatio; la grève était une réalité. A Akbou les commerçants de gros se sont rassemblés au marché de gros de Bouyizène pour protester contre la hausse des locations de carreaux et la cité Remla au chef-lieu de la wilaya, la majorité des commerçants de gros ont fermé leurs magasins pour protester contre la hausse des taxes. Alors que la ville se vidait de plus en plus de ses occupants, les marcheurs s'approchaient du siège de la wilaya pour donner lieu aux premiers affrontements aux environs de midi. Des affrontements qui se solderont pas des dégâts sur les abribus, quelques véhicules privés et les lampadaires. Le matin, la ville de Béjaïa offrait le visage d'une ville sereine. Certes, quelques commerçants ont baissé rideau mais l'activité était intense. Du côté d'Ihaddaden, un quartier périphérique, le mot d'ordre a été largement suivi. Les attroupements se formaient au fil des minutes. Les habitués des cafés et autres commerces s'impatientaient mais très vite germa l'idée d'une marche vers la wilaya et les esprits s'échauffaient. C'est là qu'on a entamé les menaces à l'endroit notamment des transporteurs publics qui n'ont pas suivi le mot d'ordre de grève. Des jeunes lançaient des injures puis des projectiles contre tout ce qui bougeait. La rumeur aidant, la nouvelle se propagea dans la ville et les commerces baissaient rideaux un par un. Du côté de Sidi Aïch, la manifestation initiée par les demandeurs de logements LPA devant le siège de la daïra s'enflamma. A baccaro sur la côte Est la grève était suivie et les jeunes ont aussi bloqué la Route nationale 09. Ces agitations étaient déjà annonciatrices d'un bouleversement total du climat de la ville. C'est à l'approche des marcheurs depuis le siège de la wilaya que la police intervient pour engendrer des échauffourées qui dureront plusieurs heures. Qui est derrière ce mouvement? Cette question a bien taraudé les esprits hier à Béjaïa. Même les commerçants adeptes du mouvement de grève ne parvenaient pas à donner des réponses claires. «J'ai entendu qu'un mouvement de grève contre l'augmentation des impôts se préparait et j'ai fermé», indiquait un commerçant de Nacéria au centre-ville. A la question de savoir de qui émane le mot d'ordre, notre interlocuteur cite la rumeur et les réseaux sociaux. Dans un autre quartier, un commerçant, non gréviste, s'est montré plus conscient en affirmant avoir refusé de suivre un mouvement, qui, pour reprendre ses termes, «n'a ni tête ni queue». Pour certains commerçants grévistes, «il s'agit de dénoncer la hausse des taxes contenues dans la nouvelle loi de finances et la multiplication des contrôles des services de la DCP et la hausse des prix de certains produits, et les mesures d'austérité décidées par le gouvernement». Joint par téléphone le président du bureau Ugca, Samir Mamas, s'est contenté de soupçons. «Notre organisation n'a pas appelé à la grève et nous ne cautionnons nullement ce mouvement, et nous avons même appelé nos adhérents à ne pas suivre la grève qui n'est de l'intérêt ni du consommateur ni des commerçants». Samir Mamas soupçonne «les importateurs et les producteurs, qui devant un constat de mévente relevé ces trois derniers mois, ont voulu à travers ce mouvement inciter les citoyens à s'approvisionner en grandes quantités. De ce fait, ils liquideront facilement leurs stocks», souligne le président de l'Ugca. Dans la foulée et sans être sûr, il évoque «une intention de déstabilisation du pays et de la ville de Béjaïa en particulier», vu que, ajoute-t-il, «il n'y a ni plate-forme de revendications ni service minimum et encore moins d'organisateurs». Dénonciations Alors que les partis politiques et autres associations de consommateurs ont brillé par leur absence sur le terrain, les citoyens ont longuement abordé le mot d'ordre de grève hier avec cette ferme condamnation, notamment lorsque les événements ont pris une tournure autrement plus grave. «Je n'ai jamais vu un commençant faire grève pour dénoncer une loi de finances», indique ce citoyen, qui estime que «la cherté de la vie touche d'abord le consommateur» et que c'est à ce dernier de réagir pacifiquement». D'autres citoyens s'interrogeront aussi sur le «pourquoi de ce mouvement qui n'a touché que notre wilaya», souligne amèrement un cafetier qui relève l'innocence des manifestants, en majorité des jeunes. «Je suis contre toute forme de violence pour toute manifestation. Je suis pour cette grève générale car cette loi de finances concerne tout le monde. Mais, comme d'habitude, c'est la Kabylie qui bouge et les autres récolteront le fruit du combat», ironise cette dame commerçante. Dans l'après-midi et après L'Ugca, c'est la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme qui rend public un communiqué appelant «au calme et à la vigilance». «Seul le combat pacifique est à même de faire aboutir les revendications citoyennes», note la Laddh qui, face aux «scènes de violence et de destruction des biens publics signalés à Béjaïa et dans d'autres localités, appelle la population «à la vigilance et au calme» et réaffirme que «seul un cadre pacifique serait en mesure de faire aboutir des revendications citoyennes toutes légitimes», avant de déplorer: «Cette situation de dérapage risque de mener le pays vers l'incertitude et le chaos.»