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Lorsqu'on n'a qu'un pied...
LANGUES
Publié dans L'Expression le 26 - 02 - 2017

Apparition soudaine de la langue de Shakespeare sur nos murs
Les peuples se vantent d'accaparer des langues et, chez nous, certains aiment à bomber le torse de fierté lorsqu'ils balancent aux pieds du monde qu'ils veulent fermer tous les horizons et tous les volets.
Il ne fait pas de doute que la nature et la pertinence des débats d'une société donnent une certaine idée de son présent et aident à prédire son avenir. Ailleurs, dans les conditions que nous connaissons et face à la montée des idées populistes dangereusement menées par des hommes à la tête de puissantes économies, les gens discutent de la manière de mieux s'approprier l'avenir pour le rendre plus accessible à leurs enfants. Ils discutent sur la manière de s'y prendre pour rouvrir les portes verrouillées, repousser les volets des fenêtres rabattus, relancer les ponts coupés... Chez nous, d'aucuns aiment nous imposer de débattre de la manière de refermer les portes, de retirer les rideaux et d'éteindre la lumière. Plutôt que de traiter avec l'avenir, ils convoquent le passé, un passé lointain dont ils veulent faire le témoin de procès qu'ils mènent à leur guise, sur tout.
Le 9 février, un papier normal, un papier de tous les jours presque, avait souligné le fait que l'anglais est en train d'envahir les frontons et les banderoles dans notre pays qui, jusque-là et en plus de son arabe et de son amazigh officiels, est connu pour son utilisation du français dans l'espace public. Cette apparition soudaine de la langue de Shakespeare sur nos murs et dans nos salles de réunion, et c'est la moindre des choses, est à même d'attirer l'attention de tout journaliste à l'écoute des moindres signes de son milieu. La remarque étant faite, on a cru que chacun est alors parti de son côté continuer son chemin. Mais c'était sans compter cependant sur les «surprises» des lendemains car le 21 du même mois, c'est-à-dire juste onze jours après, juste à la première occasion qui s'est présentée, et tels des tribunaux de l'Inquisition, certains se sont autosaisis de «l'affaire». Ils disent alors leur stupeur de voir encore, dans cette Algérie arabe et arabophone par excellence, des individus défendre la langue française. Des francophiles tout juste bons à dénoncer comme on dénonçait les sorcières autrefois. Cette attitude aurait été risible et ridicule si elle venait d'un citoyen lambda et tout le monde aurait haussé les épaules, mais tel ne fut malheureusement pas le cas. En réalité, cette réaction, pour le moins inattendue, découle de deux considérations qu'il convient de donner aux lecteurs afin d'aider à mieux saisir la chose.
L'amalgame est la stratégie de fond dans tout ce qu'entreprend une certaine mouvance que je ne veux plus nommer pour ne pas donner à prêter à confusion avec ma religion. Dans notre cas, il s'agit d'entretenir l'amalgame entre l'arabe et la religion, posture assassine des années de sang. Reprocher à quelqu'un d'être francophile c'est dire, selon le cliché consacré dans l'espace cognitif de cette mouvance, qu'il est «anti-langue arabe». La langue arabe étant volontairement collée à la religion, le pas est vite franchi alors pour laisser planer les accusations dignes des tribunaux obscurantistes de l'ère de l'Inquisition.
C'est là le premier aspect d'une attaque pour le moins déplacée. Notons toutefois que s'inquiéter de l'entrée soudaine de l'anglais en Algérie n'est ni un réflexe de francophone, ni une convulsion de francophile ni, encore moins, un dérapage d'anti-arabophone. L'amalgame est pluriel dans cette question aussi bizarre que ceux qui l'ont faite.
Ensuite, au risque de rappeler une autre évidence nauséabonde, cette mouvance aime jouer à la récupération à fond. Se présentant comme étant le dépositaire de la religion, elle croit qu'il lui suffit de passer la peinture de la religion sur tout ce qu'elle veut récupérer pour se donner le droit de mettre la main dessus. Dans ce contexte, dire, chez nous, de quelqu'un qu'il est francophile c'est dire, dans l'imaginaire des adeptes de cette mouvance, qu'il aime la langue du colon et de l'ennemi impie. C'est pour cela que, lorsque ces gens-là parlent de francophiles, leurs lèvres tombent, leurs yeux grossissent et ils se mettent à vociférer toute leur haine à l'endroit de gens dont ils ignorent tout. Absolument tout.
Mais, à mon avais, l'amalgame et la récupération sont inhérents à l'esprit même de la mouvance et ils conditionnent le comportement de la mouvance dans son ensemble. Alors, en plus de cela, il faudrait tenir compte des raisons au niveau des personnes. Celles-ci sont plus dangereuses car elles sont, généralement, des plus perfides.
Lorsqu'on n'a qu'une seule jambe, on ne peut ne pas voir l'avantage de celui qui en a deux. De même, lorsqu'on ne parle qu'une seule langue, il est difficile de cacher son désavantage par rapport à celui qui parle deux, trois, voire plusieurs langues. Chez nous, généralement, les gens de cette mouvance, sont monolingues. Certes, il leur arrive de vouloir défendre leur situation en recourant, encore une fois à des amalgames, mais tout le monde sait, surtout de notre temps, que parler une langue c'est peu, très peu. Cela ne suffit point à ouvrir les horizons de la connaissance et encore moins à défoncer les lourdes portes de l'ignorance.
Ne détenir qu'une langue est un handicap fort, très fort parfois, au point de nourrir des haines à l'égard de celui qui en possède plus. L'une des stratégies de cette mouvance a, de tout temps alors, été d'essayer d'invalider l'acquis des autres pour se donner l'illusoire impression de devenir «égaux» de ces autres-là, sur le plan linguistique s'entend. Le monolinguisme serait alors la prairie où tout le monde s'en va faire ses courses. C'est ce qui explique pourquoi, chez nous, ces gens-là s'en prennent souvent à tous ceux qui parlent une langue autre que l'arabe. De cette manière, ils pensent remettre les aiguilles à leur place et les choses à leur avantage pour pouvoir satisfaire, enfin, une certaine folie de pouvoir.
Si on veut reprendre, vulgairement, leur raisonnement cela donne, à peu près, ce qui suit: tu connais l'arabe et le français et moi je parle seulement l'arabe. Si j'invalide ton français parce qu'il est la langue du colon et de l'ennemi impie, alors il nous reste à nous deux seulement l'arabe. Mais comme je suis dépositaire de cette langue à travers la religion, alors je la connais mieux que toi.
Dire que l'anglais a envahi notre sphère publique n'a rien d'une attaque contre l'arabe. Dire que dans notre pays, nous utilisons le français, cela non plus n'a rien de francophile. Il va de soi que ce qui semble déranger dans tout cela c'est l'indigence linguistique de certains. Combattre la francophonie a été chez nous, de tout temps, une préoccupation des adeptes de la mouvance en question. Mais, dans la réalité, cette préoccupation repose d'abord sur une perspective de pouvoir et non sur une justification religieuse comme on nous l'a toujours présenté. Les peuples se vantent d'accaparer des langues et, chez nous, certains aiment à bomber le torse de fierté lorsqu'ils balancent aux pieds du monde qu'ils veulent fermer tous les horizons et tous les volets. Quant aux portes, hé, hé... Circulez! Il n'y a rien à voir!


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