Avis n Un pays qui ne forme que des monolingues dans l'une ou l'autre langue est un pays qui subit des dysfonctionnements. Nous ne pourrons nous permettre en cette époque de suprématie scientifique et technologique écrasante et agressive, d'ignorer la langue ou les langues qui véhiculent les sciences et la technologie. Tel est le constat établi par le professeur Abderrahmane Hadj Salah, hier, lors du forum d'El Moudjahid portant sur le thème du «multilinguisme individuel et la mondialisation». D'après le conférencier, nous ne produisons rien ou presque de nos propres mains et avec nos cerveaux. «Notre langue n'y est cependant pour rien. Au contraire, elle s'en ressent parce qu'elle ne peut véhiculer des connaissances produites par ceux-là mêmes qui l'utilisent», a-t-il estimé. Plus explicite, l'éminent linguiste dira que la valeur d'une langue se mesure à la quantité des produits de qualité fabriqués et échangés par ceux qui l'utilisent. Faut-il alors recourir au bilinguisme individuel et systématique ? Le président de l'Académie algérienne de la langue arabe estime que l'accès à la connaissance de deux ou trois langues devrait être ouvert à tous les élèves pour la mise en œuvre d'un modèle pédagogique qu'on testera. Néanmoins, préconise-t-il, ceci est lié en fait, à ce que tout le monde doit savoir et maîtriser, d'une part et à ce qui revient à certains citoyens d'autre part, à savoir ceux qui doivent gérer, former, chercher, orienter, etc. Pour cela, l'orateur souhaite que les meilleurs, ceux qui se seront distingués partout ou dans quelques domaines stratégiques, aient le droit de continuer d'approfondir et d'améliorer leurs connaissances de la langue ou des langues étrangères. Cela est également lié, d'après le polyglotte algérien, à la prise en charge totale de la plus importante richesse d'un pays : son intelligentsia et ses surdoués. Portant, par ailleurs, une critique de la situation actuelle de notre société, le spécialiste en linguistique dira qu'il y avait dans notre pays, bien avant l'indépendance, un clivage entre arabophones et francophones monolingues ou très imparfaitement bilingues. «Cela ne concerne que l'élite : la plupart des intellectuels d'un certain âge sont franchement monolingues ; quant aux citoyens entre 25 et 50 ans qui ont suivi un enseignement bilingue, il y a beaucoup à dire sur leurs connaissances des deux langues», explique-t-il. Cela dit, un citoyen dont le métier ou le poste de travail n'a pas un grand impact sur ses compatriotes ou sur la gestion d'une unité de production n'a souvent pas un besoin absolu de maîtriser parfaitement une langue étrangère. Mais ce n'est pas le cas du citoyen qui a la charge de former, diriger, gérer des institutions : un monolingue est dans ce cas totalement handicapé à notre époque. «Et un pays non ou très peu producteur de connaissances nouvelles, qui ne forme que des monolingues dans l'une ou l'autre langue est un pays qui subit des dysfonctionnements du point de vue social et du point de vue du renouvellement des connaissances et est, par cela même, susceptible d'être dominé ou déstabilisé en permanence s'il refuse la domination», a-t-il ajouté. Langue d'étude «Il faut laisser le choix à l'étudiant» l Abordant le système de l'enseignement supérieur algérien, notamment dans les langues de l'enseignement utilisées, en l'occurrence l'arabe et le français, Hadj Salah propose de créer deux sections pour permettre à l'étudiant de choisir la langue d'étude qui l'arrange le plus, que ce soit dans les filières enseignées totalement en arabe, comme les sciences humaines, ou celles enseignées en langues française ou anglaise, comme les sciences et les technologies.