François Fillon ou la question shakespearienne Tout en «dénonçant un assassinat politique», François Fillon a confirmé qu'il répondra à cette convocation des juges d'instruction, mais qu'en aucun cas, il «ne cédera ni se rendra ni se retirera» et qu'il ira «jusqu'au bout» de sa candidature... Le suspense n'aura duré que quelques heures. Pourtant, on aura cru jusqu'à la dernière minute avant que le candidat de la droite à la présidentielle française, François Fillon, ne fasse la déclaration annoncée dans des conditions mystérieuses hier matin, qu'il allait jeter l'éponge. Une supposition confortée par les contacts téléphoniques qu'il a eus tour à tour avec Nicolas Sarkozy et Alain Juppé, ses rivaux de la primaire, qui semblent avoir décliné l'offre d'hériter du témoin et de représenter ainsi le plan B. Dès les premiers mots, on a su pourquoi ce branle-bas de combat à la mesure du remue-ménage dans les rangs du parti où nombreux étaient ceux qui pressaient le candidat Fillon de faire place nette. D'emblée, en effet, il a indiqué que son avocat avait été informé que le 15 mars prochain, il sera mis en examen dans l'affaire d'emplois fictifs impliquant sa femme et ses enfants qui a empoisonné le climat de la campagne ces dernières semaines. Tout en «dénonçant un assassinat politique», François Fillon a confirmé qu'il répondra à cette convocation des juges d'instruction, mais qu'en aucun cas, il «ne cédera ni se rendra ni se retirera» et qu'il ira «jusqu'au bout» de sa candidature à l'élection présidentielle. Ce nouveau rebondissement d'une campagne mouvementée a été, peu après, suivi de la démission de Bruno Lemaire de ses fonctions auprès du candidat du parti Les Républicains «Ce n'est pas moi seulement qu'on assassine, c'est l'élection présidentielle», a martelé Fillon dans cette intervention virulente contre les interférences de la procédure avec la campagne électorale dont le premier tour du scrutin est fixé au 23 avril. Affirmant qu'il n'est pas traité comme n'importe quel justiciable, que «l'Etat de droit a été systématiquement violé» et que «la présomption d'innocence a complètement disparu», François Fillon avait annulé hier sans aucune explication sa visite au Salon de l'agriculture à Paris, donnant cours à toutes les spéculations et aux analyses les plus alambiquées. La grande fébrilité qui a régné pendant des heures, dans son quartier général, n'a pas contribué à apaiser les esprits tandis qu'il recevait en tête à tête plusieurs responsables du parti, Alain Juppé et Nicolas Sarkozy s'étant manifesté par téléphone. On devine sans peine les propos et les questionnements qui ont pesé sur ces échanges impromptus, avant la déclaration officielle. Le fait est que le candidat Fillon se retrouve dans une posture délicate car, après avoir déclaré de lui-même qu'il se retirerait de la course en cas de mise en examen, il avait tourné casaque à la mi-février, pour prétendre «s'en remettre au seul suffrage universel». Inexorablement, sa campagne a subi les éclaboussures de cette affaire qui l'a vu dégringoler de la place de grand favori de l'élection présidentielle à celle d'outsider de la candidate de l'extrême droite, Marine Le Pen, désormais assurée du second tour par tous les sondages, et de l'ancien ministre de l'Economie Emmanuel Macron, dont le mouvement En Marche se positionne comme dauphin. Jamais une élection présidentielle française n'aura connu autant de rebondissements et d'incertitudes, l'électorat lui-même n'étant pas en reste car près de la moitié des Françaises et des Français avouent n'avoir pas encore fait leur choix. Les clivages et les querelles de clocher qui minent les candidatures à gauche où Benoît Hamon est sommé par les partisans de Manuel Valls de «clarifier son ancrage partisan», c'est-à-dire de leur concéder le rôle moteur en tant que force libérale du PS, et où Jean Luc Mélenchon maintient, contre vents et marées, sa candidature portée par la gauche radicale, ne sont pas étrangers à ce marasme. François Fillon a eu beau dénoncer, la semaine passée, «un climat de quasi-guerre civile» en France, reprochant au gouvernement socialiste de ne prendre aucune mesure pour empêcher les troubles durant la campagne présidentielle, sa décision de poursuivre le chemin de croix va sans doute le mettre en butte à des épreuves encore plus difficiles à endurer. Et que Marine Le Pen soit elle aussi sous les projecteurs de la justice dans des affaires presque identiques de financement des campagnes du Front national et d'emplois fictifs au détriment du Parlement européen ne saurait à vrai dire constituer une quelconque consolation. Car l'électorat du FN est beaucoup plus arc-bouté à la porte-voix du parti raciste et xénophobe, faisant fi de toutes les procédures justifiées ou non. Tel n'est pas le cas à droite et l'abandon de Bruno Lemaire est un avertissement que d'autres, au sein des Républicains, vont probablement entendre dans les jours qui viennent. En attendant, la justice poursuit son programme avec la lenteur et la rigueur dont elle est coutumière.