Chargé d'une mission par le chef de l'Etat, le professeur Mohand Issad décide, contre toute attente, de ne pas achever son travail. La Commission nationale indépendante d'enquête sur les événements de Kabylie arrête ses investigation sans produire le rapport final promis par son président, Mohand Issad. Le motif avancé pour justifier cette décision tiendrait du fait que «les conditions ne sont pas définitivement réunies pour nous permettre de poursuivre notre mission plus en avant», soutient le professeur Issad dans une interview au journal français, Le Monde. Une fin de mission en queue de poisson donc, consécutive au refus de témoigner de plusieurs cadres, car craignant «pour leur sécurité (pour certains) et leur carrière pour d'autres». Ce sont là les principaux arguments avancés par Issad pour annoncer indirectement l'échec de son travail d'investigation entamé à la demande de Bouteflika. Par cette sortie par la petite porte, qui sera finalisée, dit-on, par la remise au chef de l'Etat d' «une simple lettre de fin de mission», la situation revient à son point de départ. La décision de Mohand Issad intervient à un moment où un dialogue quelque peu contesté est en cours entre le gouvernement et «les citoyens libres» des ârchs. Un processus de négociations qui semble tendre, vraisemblablement, vers l'impasse. Les efforts entrepris jusqu'à présent par le Premier ministre semblent vains maintenant que le dialogue a toutes les allures de la formalité. Les émeutes dans la région ont d'ailleurs repris de plus belle depuis la réunion du comité préparatoire gouvernement-ârchs jeudi dernier. La colère ne s'est pas estompée et l'on croit toujours que la manipulation, ici ou là, est légion! En fait, la situation de pourrissement que vit depuis de très longs mois la Kabylie aurait pu, d'après des observateurs avertis, être définitivement réglée si le pouvoir avait su, dès le début, bien limiter les responsabilités. Des responsabilités que les commissions mises en place par les hautes autorités de l'Etat au lendemain du soulèvement kabyle n'ont pas réussi à cerner. Un véritable échec! Outre la commission parlementaire, c'est bien la commission Issad, nationale et indépendante, qui avait été chargée par la présidence de faire une enquête sur les origines exactes des événements du printemps noir. Sa mission consistait à recueillir les informations nécessaires à l'établissement d'un rapport qui, lui, décrirait les faits, définirait les facteurs et désignerait également les acteurs qui ont joué un rôle prédominant dans le déclenchement des émeutes. Mohand Issad, juriste et homme apprécié pour ses valeurs, était tout indiqué pour mettre sur pied une commission d'enquête qui gagnerait en crédibilité auprès d'une population habituellement sceptique quant à toute proposition émanant du pouvoir. Il aura fallu, toutefois, énormément de temps pour Issad afin de réunir les membres qui, en définitive, formeront cette commission. Ses travaux se sont poursuivis jusqu'au jour du 29 juillet 2001 quand elle avait remis aux autorités une sorte de rapport préliminaire dans lequel il a été relevé quelques exactions des éléments de la gendarmerie et où il a été définitivement mis fin à la thèse de la fameuse main étrangère. Depuis, la situation n'a pas beaucoup évolué. Hormis le fait que certains gendarmes ont été mutés ailleurs et le responsable de la mort du jeune Massinissa traduit devant le tribunal militaire de Blida, le dialogue n'a pas avancé d'un iota et les émeutes continuent encore d'embraser la Kabylie. Au moment où le gouvernement entame un dialogue de «sourds» avec quelques représentants des ârchs, la commission Issad jette l'éponge et complique un peu plus une situation déjà très tendue. L'attitude de Issad profitera, à n'en pas douter, aux plus radicaux des ârchs qui tiennent là une «preuve supplémentaire de l'inutilité de dialoguer avec le pouvoir». Il reste que la décision de la commission d'enquête, pour aussi justifiée qu'elle aurait pu être, traduit un grand malaise entre le pouvoir et l'équipe d'Issad et amène à s'interroger sur la volonté réelle des membres de la commission à aller au bout de leur enquête. Qui a peur pour sa vie et sa carrière? Tout en ne démentant pas le professeur Issad, l'on peut se poser une foule de questions. L'opinion ne peut se suffire d'une simple annonce de fin de mission. Des détails sur les motivations profondes des membres de la commission doivent être connus du public.