Pour le maire de Paris, «quand des fautes sont commises, tout le monde doit les regarder en face». La visite du maire de Paris à Alger revêt «une dimension symbolique et historique». A la veille de la signature du Traité d'amitié par les deux chefs d'Etat, ce qui viendrait mettre un terme à une décennie de froideur entre les deux capitales, le passé historique continue de peser sur les relations bilatérales. Le devoir de repentance des autorités françaises se fait insistant, d'autant plus que les langues se sont déliées concernant la pratique de la torture à grande échelle pendant la guerre de Libération nationale. Les déclarations publiques d'anciens tortionnaires, qui appelaient à des poursuites judiciaires immédiates pour crimes contre l'humanité, ne sont pas prises en considération. Cela, au moment où le sinistre Papon, ordonnateur des boucheries du 8 mai 1945 est condamné pour déportation de Juifs. Cependant, conscients du poids de ces crimes dans l'établissement de relations durables et assainies des tensions du passé, les officiels français commencent à admettre les crimes commis, mais par doses homéopathiques. Qu'ils soient de gauche ou de droite, ils sont unanimes à considérer que la France doit reconnaître ses crimes. La dernière sortie de l'ambassadeur de France en Algérie à Sétif a été un pas de géant vers la repentance et le pardon. Ce qui n'a d'ailleurs pas manqué de susciter respect et admiration de la part même des animateurs des événements du 8 mai 1945. C'est la première fois qu'un officiel français qualifie ces événements de «tragédie inexcusable». Ce que le maire de Paris n'a pas omis de rappeler lors de sa conférence de presse animée, hier, au siège de la wilaya d'Alger. «Vos déclarations à Sétif honorent la France», indique Delanoë à l'intention de l'ambassadeur de France présent dans la salle. Le maire de Paris, qui avait le courage politique et surtout l'audace d'inaugurer une plaque commémorative à la mémoire des victimes des événements du 17 Octobre 1961, et baptisé une place à la mémoire de Maurice Audin, mort en 1957 sous la torture des militaires français, souhaite donner à sa visite, la deuxième depuis son élection à la tête de la mairie de Paris, une dimension historique. Cependant, le maire socialiste ne voulant pas être à l'origine d'une polémique avec le gouvernement de son pays, a tenu à apporter une précision de taille: «Je ne suis pas l'envoyé d'un parti politique et je n'ai aucune qualité pour parler au nom de la France», a souligné, d'emblée, Bertrand Delanoë, lors de la conférence de presse animée, hier, au siège de la wilaya d'Alger. Devant un impressionnant parterre de journalistes, l'hôte de M.Addou Belkebir (wali d'Alger) a fait montre de vigilance et surtout de retenue. «Je ne vais pas faire la leçon au président de la République française. Je n'ai fait que faire part de mes convictions.» Interrogé au sujet du sempiternel dossier des exactions françaises lors de la guerre d'Algérie, le maire socialiste de Paris, s'exprimant en sa qualité de «citoyen», a affirmé que «la colonisation est un fait historique particulièrement regrettable». «Quand des fautes sont commises, tout le monde doit les regarder en face», a dit encore le maire, qui a rappelé son initiative d'honorer les mémoires des victimes des événements du 17 Octobre 1961, en inaugurant une plaque commémorative, en dépit des difficultés rencontrées. «Il y a eu un déchaînement de haine...et à chaque fois que la plaque commémorative est abîmée je la change.» C'est de cette manière, estime M.Delanoë , qu'on arrive à imposer le courage de dire la vérité. M.Delanoë a rappelé à cet égard, les paroles fortes de l'ambassadeur de France, M Hubert Colin de Verdière, présent dans la salle, qui, le 27 février à Sétif, avait évoqué les massacres du 8 Mai 1945 dans le Constantinois en parlant de «tragédie inexcusable». «Il faut poursuivre sur ce chemin», insiste le maire de Paris en s'adressant à l'ambassadeur. «Le fait colonial est injuste... et il ne saurait y avoir de sociétés civilisées que s'il y a des peuples égaux et libres», fera remarquer l'orateur. «Il faut oser la vérité», a dit encore M.Delanoë, pour qui «la colonisation n'est pas un fait positif». Une prise de position claire à l'égard d'une loi faisant référence au rôle positif de la présence française outre-mer, adoptée le 23 février dernier par le Parlement français. Une loi, qui rappelons-le, avait provoqué de vigoureuses protestations, notamment d'historiens et d'enseignants, pointant «le mensonge officiel sur des crimes, sur des massacres allant parfois jusqu'au génocide». A une question de savoir si la France demanderait pardon au peuple algérien, le maire de Paris a estimé que tout le monde doit reconnaître ses erreurs, y compris la France. Le maire de Paris, adressant un message indirect aux autorités de son pays, a rappelé l'exemple de l'ancien président allemand. «Quand Willy Brandt s'est mis à genoux pour demander pardon au nom de l'Allemagne, il a grandi l'Allemagne», a-t-il jugé. «On ne s'abaisse pas quand on reconnaît ses fautes», affirme M.Delanoë qui s'est dit très heureux d'aller se recueillir au sanctuaire des Martyrs de la guerre de Libération.