L'ouvrage collectif que mes collègues et moi vous présentons aujourd'hui traite, de l'attitude que notre pays a adoptée ou adopte à l'égard du processus de mondialisation depuis la seconde moitié des années 1980. Bien que le terme de mondialisation ait été galvaudé, il n'en reste pas moins un concept opérationnel dans la mesure où il renvoie à une réalité tangible et à un phénomène omniprésent dans la vie de toutes les nations. Processus qui date déjà, la mondialisation constitue, comme nous avons eu à le dire dans cet ouvrage, un horizon indépassable et le cadre obligé à la fois de nos actions internationales et de la gestion de nos affaires domestiques. Aussi, nous sommes-nous intéressés, avec quelque inquiétude, à la question, sensible entre toutes, de l'existence ou de l'absence d'une stratégie de réponse et d'adaptation de l'Algérie à ce phénomène total. Dans la perspective d'une telle démarche, il nous semble que trois phases historiques doivent être mises en évidence: La première phase qui débute avec la double crise pétrolière et monétaire de 1986 et qui a brutalement ramené à la réalité les dirigeants de l'époque : le monde faisait massivement irruption chez nous - un pays et un peuple surprotégés - avec une puissance et selon des modalités pour le moins inédites. La réaction de l'Algérie est caractérisée par des atermoiements qui révèlent une appréciation incorrecte des tendances lourdes - économiques et géopolitiques principalement - qui se dessinaient sur le plan international et, sans doute, l'existence de luttes politiques d'arrière-garde qui se déroulaient au sein même du régime. Crise économique et sociale profonde et crise politique majeure (voir les événement d'Octobre 1988) marquent la première étape de cette période. Sur le plan économique, notre pays va emprunter, malgré lui, la voie de l'ajustement structurel, puis celle du rééchelonnement. Dans le domaine politique, une ouverture significative est opérée en 1989, qui va dans le sens d'un large pluralisme : multipartisme, naissance d'un vaste mouvement associatif, liberté de la presse, liberté syndicale, etc. Crise exceptionnelle La seconde phase qui commence en 1992 et se termine en 1999 et qui est celle d'une crise exceptionnellement grave, au cours de laquelle s'est joué de manière tragique le destin de l'Algérie en tant qu'Etat et nation. Les élections législatives ont été l'élément déclenchant de cette crise dont les termes étaient posés de la manière la plus franche par ses acteurs les plus en vue: vers quel ordre étatique et social l'Algérie doit-elle s'orienter? Crise totale s'il en fut, elle s'est traduite par une guerre terroriste meurtrière menée contre le peuple et l'Etat algériens, une quasi-cessation de l'activité normale de nos institutions politiques et économiques et un isolement international qui a fait très mal à notre pays. Parler dès lors de réformes et de politique d'adaptation durant cette période est un non-sens puisque seule importait la survie, prise ici dans le sens le plus large mais aussi le plus étroit du terme. La troisième phase que le président Bouteflika a inaugurée à partir de 1999 et qui montre que l'Algérie a renoué avec ses ambitions premières et les plus légitimes : un pays fort de ses richesses et de ses ressources humaines, conscient de ses responsabilités régionales et internationales et en mesure de se construire un destin à la mesure des sacrifices que ses enfants ont consentis tout au long de leur histoire contemporaine. Cette phase présente les caractéristiques suivantes: -elle a été marquée durant les cinq premières années - celles du premier mandat - par la persistance, selon des termes différents, de la crise politique qui renvoie, comme nous l'avons souligné dans cet ouvrage, à une crise systémique prenant sa source dans la nature de notre régime politique et dans les modalités d'organisation de transition qui a fait suite au décès du Président Boumediene ; les enjeux révélés par cette crise, qui a culminé avec la démission du gouvernement Benflis et les élections présidentielles d'avril 2004, renvoient tous à la question centrale des réformes et au rôle que le Président Bouteflika a décidé de jouer dans la perspective de leur poursuite et de leur approfondissement à l'occasion d'un second mandat; -elle marque la poursuite de la politique de consolidation des équilibres macro-économiques et laisse apparaître des résistances sérieuses à la mise en oeuvre des réformes de seconde génération qui doivent être impérativement menées durant le second mandat du Président Bouteflika ; ces résistances sont, comme nous l'avons montré, d'ordre sociologique et politique et sont révélatrices à la fois du poids encore pesant de la bureaucratie centrale et locale et de l'absence préjudiciable d'une base sociale capable de les porter politiquement et culturellement; -elle marque enfin un retour remarqué de l'Algérie sur la scène internationale et une prise en charge sérieuse des dossiers ayant trait à nos relations avec l'Union européenne, à notre adhésion à l'Organisation Mondiale du Commerce et aux préoccupations de la communauté internationale en matière de lutte contre les menaces et les périls nouveaux ; partenaire de l'Otan dans le cadre du Dialogue méditerranéen, l'Algérie reste en même temps attentive aux initiatives prises par l'Union européenne - ou celles qu'elle compte prendre - dans le domaine de la sécurité et de la défense ; l'espace géopolitique afro-arabe n'est pas en reste puisque l'Algérie s'implique dans tout ce qui se fait d'essentiel dans notre continent ou dans le monde arabe, que ce soit dans un cadre bilatéral ou dans le cadre multilatéral (Nepad, Union Africaine, Ligue arabe), le Maghreb restant pour elle une source à la fois d'inquiétude - en raison du retard considérable pris dans le domaine de l'intégration - et d'espoir légitime. Mais parler de stratégie d'adaptation revient nécessairement, comme nous avons tenté de le faire, à nous interroger sur les moyens que nous possédons, et que nous sommes prêts à mettre en oeuvre dans cette perspective, ainsi que sur la ou les méthodes auxquelles nous nous devons de recourir pour ce faire. Ainsi, ne pouvons-nous nous permettre de laisser en l'état un système politique grippé, devenu à la longue extrêmement lourd et contre-productif. La question du bicéphalisme de l'Exécutif doit être en effet réglée, comme doit être réapprécié le rôle des collectivités locales et revue de manière judicieuse l'organisation du système partisan et de la société civile. Le champ national de l'information et de la communication doit être, lui aussi, l'objet de toutes les attentions et connaître les changements qu'exigent l'évolution du monde et celle de la société algérienne. Ce sont là autant de défis que doit relever le président Bouteflika durant ce second mandat. Mais un défi plus urgent et autrement plus grand doit être relevé par ce dernier et par l'ensemble de notre peuple. Qu'il s'agisse de la dimension interne de cette stratégie de réponse ou de son expression internationale, nous nous trouvons confrontés en effet à un défi qui, s'il n'est pas relevé efficacement, rendrait inopérante cette dernière et mettrait en danger tout ce pourquoi nous oeuvrons collectivement. Ce défi nous concerne directement, il concerne au plus haut point notre passé récent, nos différends, les relations mouvementées que nous avons encore entre nous et, plus grave encore, la haine insidieuse qui habite les coeurs de certains d'entre nous et hypothèque sérieusement notre avenir commun si nous n'y prenons pas garde. C'est pourquoi, nous avons tenu à considérer comme un préalable incontournable la réalisation de la réconciliation nationale, passage obligé vers la reconquête de notre cohésion nationale et la construction d'un front intérieur solide et durable. Deux questions sensibles Deux questions ont dès lors focalisé notre attention : le règlement définitif de la question identitaire et l'amnistie générale annoncée par le Président Bouteflika en octobre 2004. La complexité de ces deux questions et leur sensibilité ne sont plus à démontrer. Il s'agit, dans le premier cas, de mener à son terme - par le dialogue et de manière juste et acceptable pour l'ensemble de la communauté nationale - le règlement d'un problème identitaire qui dure anormalement et de trouver des solutions tout aussi justes aux problèmes posés par les événements tragiques survenus en Kabylie en avril 2001. L'amnistie générale ne peut que se réaliser, quant à elle, en dépit des inquiétudes qu'elle nourrit, des implications parfois problématiques qu'elle peut avoir et des passions qu'elle soulève déjà. Demain, notre peuple trouvera sans doute les ressources morales et psychologiques qui lui permettront, comme il l'a fait maintes fois face à l'adversité, de transcender avec dignité et honneur les rancunes et les haines tenaces. Ce sont là, en substance, les axes principaux de l'ouvrage collectif dont j'ai eu l'honneur de diriger la rédaction, publié en deux volumes, le premier traitant des questions que nous venons d'évoquer, le second étant un recueil de textes relatifs au programme du candidat Bouteflika aux élections d'avril 2004, à l'OMC, à l'accord d'association entre l'Union européenne, les Etats membres et l'Algérie, au NEPAD et enfin à l'expérience et à la doctrine algérienne en matière de lutte contre le terrorisme. Animé par l'esprit de tolérance, (le plus grand ignorant n'est-il pas celui qui prétend tout savoir?), convaincu du bienfait de la concertation et du dialogue permanent entre les différentes composantes internes des forces sociales et de la nécessaire symbiose des cultures des civilisations de l'Orient et de l'Occident, permettez-moi, pour conclure, de rappeler que cette modeste contribution ne s'inscrit dans aucune perspective apologétique. Comme souligné précédemment, il s'agit d'avoir une vision objective: arrivé à la tête de l'Etat dans les conditions difficiles que nous savons, le Président Bouteflika s'est attelé dès 1999 à rompre l'isolement international de notre pays et à stabiliser un système social que le mouvement d'entropie qui secouait mortellement le système politique a menacé plus d'une fois d'effondrement. Le second mandat, dont c'est le premier anniversaire cette année, sera, pensons-nous, celui d'une transition véritable qui verra la mise en oeuvre de véritables réformes structurelles, conciliant efficacité économique, équité et cohésion sociale, et la modernisation de notre système politique. C'est ce que tente de montrer, ou ce pour quoi plaide en tous cas, cet ouvrage. Car comme j'ai tenu, avec force, à le préciser dans l'avant-propos «le Chef de l'Etat a besoin qu'un regard critique et juste soit posé sur la situation que connaît son pays, sur ce qui a déjà été accompli et sur ce qu'il se propose d'accomplir encore au profit exclusif d'une patrie toujours meurtrie, qui a besoin de se retrouver et de réunir tous ses enfants autour d'un même projet, d'une même ambition et d'une même espérance». (1)Conférence en présence de cadres des différents ministères et institutions nationales, des représentants des organisations patronales et de la société civile, d'enseignants d'universités et étudiants en magistère et du corps diplomatique accrédité à Alger le lundi 25 avril 2005 à la Bibliothèque Nationale d'Algérie - El HammaAlger, relative à l'ouvrage, sous la direction de A. Mebtoul (docteur d'Etat - expert comptable, expert international,) avec la collaboration de Chouam Bouchama (docteur d'Etat- économiste), Mohamed Taïbi (docteur sociologue en anthropologie culturelle) Mohamed Sabri, Youcef Ikhlef (diplômés en sciences politiques), Boutlelis Araf (cadre financier) Alger «Casbah Editions», 5 avril 2005.