Le chef de l'Etat a confirmé le choix stratégique de l'Alliance présidentielle tout en préservant les équilibres nécessaires à la relance économique. On a beaucoup glosé sur la longévité de Benbouzid au département de l'éducation nationale, comme s'il était chargé d'achever la réforme du système éducatif, un secteur qu'il connaît bien, mais on a peu analysé la longévité d'Ouyahia en tant que chef de gouvernement. Depuis 1995 jusqu'en 1998 sous Zeroual et maintenant depuis deux ans sous Bouteflika, l'homme bat en effet, tous les records à un poste qui a vu défiler ses titulaires, certains y restant à peine une année, ou moins comme Benbitour, Kasdi Merbah, Hamrouche, Belaïd Abdeslam, Reda Malek, Mokdad Sifi, Smaïl Hamdani, Benbitour, Ali Benflis, nul n'a eu autant de chance que Ahmed Ouyahia, qui a eu, par ailleurs, à gérer des crises très délicates, comme la grève du cartable en Kabylie en 1995, la ponction des salaires alors que les caisses de l'Etat étaient vides, la mise en application du plan d'ajustement structurel, la crise entre l'Ethiopie et l'Erythrée, et la récupération du RND en 1999 pour l'amener à soutenir la candidature de Abdelaziz Bouteflika. Il a eu aussi beaucoup d'échecs et de bides : la suspension des journaux en 1998 et en 2003, la répression de la liberté d'expression mais aussi du droit de presse, l'échec du processus des privatisations, la fraude massive aux élections législatives de 1997, en bloquant, lorsqu'il était au département de la justice, les agréments pour la création de journaux et revues, la mauvaise appréciation de la situation carcérale et la révolte des prisonniers. Le pivot de l'Alliance Le bilan de l'homme est donc un bilan en demi-teinte, mi-figue mi-raisin. Le président de la République a pourtant tout lieu d'être satisfait de lui : lorsque l'ex-chef de gouvernement Ali Benflis avait rué dans les brancards, suivi par tout l'appareil du FLN et une bonne partie de la classe politique, dont le tonitruant Sidi Saïd qui remettait en cause la réconciliation nationale et la loi sur les hydrocarbures, c'est Ahmed Ouyahia qui était là pour reprendre le témoin à la tête du gouvernement, assurer le soutien plein et entier de tout le RND au président candidat, et puis il a pu résoudre cette grave crise des archs en négociant avec Abrika et ses compagnons pour la concrétisation des clauses de la plate-forme d'El Kseur, et en ramenant à la raison, pourrait-on dire, les turbulents syndicalistes de l'Ugta aussi bien à propos des réformes que de la loi sur les hydrocarbures. Il était pourtant clair, depuis quelque temps, que le courant ne passait plus entre Ouyahia et Benachenhou, dont on dit qu'il est très proche du président. Qui des deux hommes allait l'emporter, comme au temps du bras de fer entre Benbitour et Hamid Temmar. Abdelatif Benachenhou parti, on peut en déduire que le président a décidé de récompenser une fois de plus son allié Ahmed Ouyahia, l'un des pivots de l'Alliance présidentielle, pour ne pas dire l'un de ses artisans. Mais le départ de Benachenhou ne doit pas laisser dire que c'est une affaire de personnes. Au-delà du désormais ex-grand argentier du pays, c'est bien de la victoire d'une politique dont il est question, celle qui s'inspire quelque peu des théories keynésiennes en économie et qui s'adapte très bien au plan de relance économique initié par le président de la République qui y consacre une cagnotte de 55 milliards de dollars. Excusez du peu. Avec le retour de ministres libéraux comme Medelci et Temmar, l'option des grands choix économiques pour relancer la croissance par la demande et la consommation, mais aussi par l'investissement dans les grands projets pour s d'emplois, ainsi que les réformes financières et bancaires pour rendre accessible l'accès au crédit, est désormais un fait acquis. Certes, Temmar est un adepte de la réduction des dépenses publiques, mais l'un n'empêche pas l'autre. Il y aura sûrement l'idée de favoriser le microcrédit par le biais de l'Ansj et autres institutions, avec comme objectif de faire de la PME-PMI le moteur de la création d'emplois. Sur le plan politique, la nomination de Belkhadem au poste de ministre d'Etat représentant du président de la République est destinée à le décharger du poids de la politique étrangère, où il est arrivé à briller et à se surpasser, pour qu'il puisse se consacrer à la restructuration et la consolidation du FLN, après la terrible crise qu'il a traversée en 2003, en prévision des prochaines échéances électorales. La désignation au même poste de ministre d'Etat de Boudjerra Soltani s'inscrit dans la même optique, puisque cette désignation permet au président du MSP d'acquérir le poids qu'il mérite, pour que la troisième force de l'Alliance ne soit pas marginalisée, aussi bien pour mener la campagne pour l'amnistie que pour les scrutins à venir. Apaisement La plupart des ministres techniques, aussi bien Amar Ghoul, Maghlaoui, Amar Tou que Sellal, vont continuer l'action commencée par le gouvernement dans ce domaine, alors que Mme Toumi, dont on a peu parlé, est sortie également gagnante de ce remaniement, puisque elle aussi a eu quelques problèmes avec Benachenhou, pour financer la culture, alors que si on relit le programme électoral du candidat Bouteflika, la culture est bien l'un des axes prioritaires de ce quinquennat. L'autre aspect stratégique de ce remaniement porte sur la désignation de M.Guenaizia au poste de ministre délégué à la Défense. On sait que les relations du président avec «la grande muette» n'étaient pas au beau fixe durant tout le premier quinquennat, le président s'étant vu tracer des lignes rouges à ne pas dépasser, au détriment de ce que lui considérait comme des prérogatives constitutionnelles, la loi fondamentale du pays faisant de lui le chef suprême des armées. Tous les changements apportés depuis l'été passé, depuis la fameuse visite de Mme Alliot-Marie à Alger, à la tête de l'institution militaire, en commençant par le remplacement du général Lamari par Ahmed Gaïd, connaît donc son aboutissement avec la nomination du général Guenaizïa, qui ouvre une nouvelle page dans les relations entre le chef de l'Etat, ministre de la Défense, et l'institution militaire, marquées désormais par le sceau de l'apaisement et d'une meilleure visibilité, tant il est vrai que pour la population, une crise à un niveau aussi élevé pose des problèmes de pilotage au pays. Contrairement à ce qui a été, M.Guenaizïa n'est pas une simple interface. Il est bien le signe qu'une nouvelle page s'ouvre dans le pays. On attend cependant la désignation du titulaire du département de la Communication, autre secteur qui a connu des turbulences depuis plusieurs années, et qui a aussi besoin de voir un peu plus de lisibilité, alors même que la célébration de la Journée de la liberté de la presse amène la corporation à se poser des questions sur le devenir d'une profession appelée à faire sa mutation.