La partie d'échecs risque de virer au drame Ni la Libye ni les pays voisins n'ont intérêt, quelles que soient les raisons de ce dérapage ou les causes réelles et supposées d'un changement continu du statu quo, à ce que l'option du dialogue politique soit balayée au profit aventureux de celle de la confrontation armée. Dans un communiqué rendu public samedi dernier, texte dont L'Expression détient une copie, le chef du gouvernement libyen d'union nationale (GNA) Fayez Mustapha al-Serraj a appelé à une «intervention urgente» de la communauté internationale pour mettre fin à l'escalade militaire dans le Sud libyen, mettant en garde contre une «guerre civile». «Nous vous demandons de prendre une position ferme et décisive vis-à-vis de cette escalade et nous appuierons toutes les décisions à même de rétablir la sécurité et la stabilité en Libye», a écrit Fayez al-Serraj dans cette lettre adressée entre autres à l'Union européenne, l'ONU et la Ligue arabe. M.Serraj a appelé à une «intervention urgente» de la communauté internationale «pour mettre fin à la détérioration de la situation dans le Sud libyen», sans préciser le caractère de cette intervention qu'il appelle de ses voeux. Mis en cause lors des affrontements entre les milices de Zintan et les troupes du maréchal Khalifa Haftar au niveau du croissant pétrolier, voici trois à quatre semaines, le GNA qui avait alors démenti toute implication dans ces tentatives de contrôler les terminaux pétroliers de Ras Lanouf, notamment, a pris la mesure de la difficulté rencontrée pour asseoir son autorité au-delà de la seule région de Tripoli. Le bras de fer avec Haftar a pris une nouvelle dimension la semaine dernière, lorsque des affrontements violents ont mis aux prises les milices alliées au GNA d'al Serraj et l'Armée nationale libyenne autproclamée, non loin de la base aérienne de Tamenhant, voisine de la ville de Sebha, à plus de 600 km de Tripoli. Cette base est vivement convoitée pour sa position stratégique, et elle a subi plusieurs bombardements des forces aériennes de l'ANL qui se prépare à une offensive terrestre pour prendre le contrôle de tout ce site militaire. «Cette escalade soudaine et injustifiée (...) met le pays au bord de la guerre civile» et risque de «saborder le processus politique», a averti al Serraj. En dénonçant cette attaque, le GNA qui avait couvert une contre-offensive pour chasser l'ANL du Sud, confirme, pour la première fois, un affrontement direct avec les forces de Haftar. Homme fort de l'Est libyen campé à Benghazi et soutenu par l'Egypte, le maréchal Khalifa Haftar bénéficie du soutien du Parlement élu (Chambre des représentants) basé à Tobrouk, hostile tout comme lui au GNA de Fayez al-Serraj, issu d'un accord interlibyen signé fin 2015 sous l'égide de l'ONU. Reçu depuis juin 2016 à Moscou par le président Vladimir Poutine puis par le ministre de la Défense, Sergueï Choïgou et le chef d'état-major Valéri Guerassimov, avant d'être invité en décembre 2016 sur le porte-avions Kouznetsov au large de la Libye, Haftar a imposé un bras de fer que ni les milices de Zintan et leurs soutiens du Sud ni celles de Misrata ne parviennent à infléchir. Au point que, depuis deux mois maintenant, le processus de négociation sous l'égide de l'ONU a inclus la nécessaire révision de l'accord de décembre 2015 pour conférer à Haftar une place de choix au sein du Conseil présidentiel et à ses affidés un rôle dans le futur gouvernement d'union nationale. Une option que le maréchal s'est employé «malicieusement» à faire traîner en longueur car sa revendication première concerne la mise à l'écart des milices islamistes qui dominent à Tripoli et dans le Sud libyen, lesquelles appuient ouvertement le GNA d'al Serraj. Cette sortie brutale du GNA, inhabituelle et lourde de conséquences s'il devait advenir qu'elle soit, à Dieu ne plaise, suivie d'effet, a déclenché une riposte immédiate du Parlement de Tobrouk. Dans son communiqué que notre journal a également reçu, il s'en prend véhément aux actes des milices de Zintan et au travail de sape de la région sud du pays, en proie «à tous les genres de trafics dont elles tirent profit, au risque d'aggraver l'insécurité et la menace terroriste» qui plane de plus en plus sur les populations locales. Puis il interpelle le président du GNA, Fayez al-Serraj dont il «rejette catégoriquement l'appel à une intervention militaire de la communauté internationale» au motif qu'elle constituerait une atteinte flagrante à l'unité et à l'intégrité du peuple libyen. Par-delà la réaction du Parlement de Tobrouk, la question se pose de savoir quelle mouche a piqué le président du GNA, jusqu'alors «hostile» à ce genre d'interventionnisme. Al-Serraj serait-il à ce point aveuglé qu'il ne voit plus les dangers que représente, non seulement pour le peuple libyen mais également pour tous les pays voisins de la Libye, dont l'Algérie, ce genre de recours? Quand il est question de l'intervention de la communauté internationale, on imagine clairement quels sont les pays invités à s'impliquer dans le conflit, comme en Irak et en Syrie, et on devine sans peine les conséquences dramatiques auxquelles il faut s'attendre. Ni la Libye ni les pays voisins n'ont intérêt, quelles que soient les raisons de ce dérapage ou les causes réelles et supposées d'un changement continu du statu quo, à ce que l'option du dialogue politique soit balayée au profit aventureux de celle de la confrontation armée. Pour le comprendre, il suffit de se référer à l'intervention de l'Otan en 2011 dont le peuple libyen endure, encore aujourd'hui, les stigmates indélébiles.