Le Parlement de Tobrouk Cette volte-face aura de graves conséquences sur le processus de dialogue inclusif que la communauté internationale et le Groupe des pays voisins de la Libye ont mis en place et s'efforcent depuis des mois, au prix d'intenses efforts, de faire progresser. Réagissant à l'attaque par les milices islamistes des Brigades de défense de Benghazi d'un important terminal, à Ras Lanouf, dans le croissant pétrolier de l'est du pays, le Parlement basé à Tobrouk vient de décider hier d'annuler son soutien à l'accord inter-libyen conclu le 27 décembre 2015 sous l'égide de l'ONU. Cette décision contraste singulièrement avec la satisfaction exprimée par la même instance lorsque les troupes du maréchal Haftar avaient fait main basse, en septembre 2016, sur l'arc des terminaux, dans sa quasi-totalité. L'Assemblée repliée à Tobrouk proteste contre l'assaut lancé dans le Croissant pétrolier contre les positions du maréchal Haftar, l'homme fort de l'Est libyen.Les BDB ont été chassés de Benghazi par l'armée de Haftar, allié du Parlement de Tobrouk en 2014, mais elles sont très présentes dans le sud du pays où elles bénéficient d'un soutien actif de plusieurs tribus, formant une coalition d'obédience islamiste à laquelle s'oppose farouchement Khalifa Haftar. Dominées par Ansar al Charia, elles font en outre partie des milices de la coalition Fadjr Libya qui contrôle l'ouest de la Libye, à commencer par Misrata et Juffra. Vendredi dernier donc, les BDB ont délogé les forces loyales à Tobrouk de l'aéroport de Ras Lanouf et du terminal de Sidra. La riposte de l'armée nationale libyenne (ANL) s'est traduite par des raids aériens menés depuis une base «secrète» et d'âpres affrontements qui, une semaine plus tard, ne lui ont pas permis de venir à bout de la résistance de l'adversaire, revenu avec d'importants moyens tels que des blindés et une forte artillerie. Cette volte-face du Parlement de Tobrouk, si elle vient à perdurer, aura de graves conséquences sur le processus de dialogue inclusif que la communauté internationale et le Groupe des pays voisins de la Libye ont mis en place et s'efforcent depuis des mois, au prix d'intenses efforts, de faire progresser. Assemblée élue démocratiquement mais dont le mandat parvenu à sa fin en 2015 a été auto-reconduit par la majorité de ses membres, ce Parlement veut-il saper la tentative de réconciliation engagée entre le camp du maréchal Haftar, dont les partisans dominent cette Assemblée, et le gouvernement d'«union nationale» de Fayez al Serraj? La question mérite d'être posée. Tout en refusant opiniâtrement d'investir le conseil présidentiel issu de l'accord de décembre 2015 et le gouvernement d'union qui en découle, le Parlement avait néanmoins reconnu l'accord de 2015 comme cadre de discussion, avec la volonté partagée de l'amender en fonction des données objectives de la situation du pays. Ce qui est irritant dans cette attitude de défi affichée par les parlementaires de Tobrouk, c'est qu'elle intervient au moment où les pays voisins, principalement l'Algérie, l'Egypte et la Tunisie ont conjugué les efforts de leurs diplomaties respectives pour tenter d'aplanir les difficultés et conduire d'un commun accord Haftar et Al Serraj à la table des négociations. Les trois pays s'efforcent surtout d'avaliser les amendements nécessaires à l'accord de 2015 pour permettre la réintégration de Haftar dans le jeu politique libyen où il bénéficierait du poste de chef d'une armée unifiée à condition d'inté-grer le GNA. Démarche qui transcende l'accord onusien partiellement mis en échec mais relancerait par ailleurs la médiation inclusive au nom de la communauté internationale. Hier, le Parlement a appelé à la tenue d'élections législatives et présidentielle avant février 2018 en arguant qu'elles permettraient de mettre un terme à la crise actuelle. Son président, Salah Aguila, a adressé une missive en ce sens au président de la Haute commission électorale libyenne (Hnec) pour lui demander de «prendre toutes les mesures nécessaires en ce sens avant la date indiquée. Une initiative qui rompt avec le statu quo jusqu'alors observé par l'ensemble des factions, alors que les combats autour de Ras Lanouf ont entraîné la mort d'au moins 32 soldats de l'armée, selon le Croissant-Rouge libyen à Ajdabiya. Malgré la réaction immédiate du GNA qui a démenti «tout lien avec l'escalade militaire dans la région du Croissant pétrolier», assortie d'un avertissement selon lequel il «ne resterait pas les bras croisés» face à une quelconque dérive, il semble que les tensions sont montées d'un cran avec cette remise en cause par Tobrouk de tous les efforts accomplis depuis plus de deux ans.