La musique turque parle au coeur, à l'âme et au corps «Je voudrais rendre un hommage au peuple grec. Aux gens des îles. Aux pécheurs qui sont venus en aide aux gens qui sont partis de chez eux.» C'est avec un orchestre de musique turque qu'a été entamée la soirée du ciné-plage sur la Croisette de Cannes consacrée, jeudi dernier à la projection (hors compétitions) en avant-première mondiale, du film Jam, le nouveau long métrage de Tony Gatlif qui revient au festival de Cannes après deux ans d'absence où il avait présenté Geronimo. En présence de la comédienne principale du film qui a également chanté et dansé, l'ambiance était à son comble sur la plage. En attendant que le soleil aille se coucher pour faire descendre enfin le rideau qui sert d'écran, les musiciens en symbiose avec le public se sont donné à fond exécutant des morceaux qui rappellent profondément notre musique andalouse, notre histoire étant si proche par les voyages des sons et des marchandises d'antan. C'est la méditerranée dans toute sa splendeur qui était célébrée, a fortiori cette musique vieille d'un siècle et dont un morceau rendait étrangement hommage au cinéma de Tarentino d'une façon mélodiquement réarrangée. La musique turque parle au coeur, à l'âme et au corps. Il en sera question dans le film de Jam. Même beaucoup. On peut dire qu'il incarne un rôle à part entière tout aussi important dans le film. «Je voudrais rendre un hommage au peuple grec. Aux gens des îles. Aux pécheurs qui sont venus en aide aux gens qui sont partis de chez eux. Dans le pays du sham, le pays de l'islam et qui ont porté secours à ces gens, ces pêcheurs qui n'ont rien et sont aussi en difficulté, mais qui ont été de vrais secouristes de ces gens qui se sont perdus en mer. A ces gens, ces secouristes ce n'est rien de les remercier aujourd'hui. Et leur rendre hommage. Moi-même je suis très bien quand je suis entre deux pays, deux cultures, la Grèce et la Turquie. J'aime énormément la Turquie, j'aime sa jeunesse qui a énormément d'énergie. Je suis bien quand je suis à cheval entre l'Orient et l'Occident», déclarera de sa voix tonitruante Tony Gatlif sur la scène du ciné-plage de la Croisette devant un public fort nombreux assis sur les chaises de la plage. Le film Jam a pour comédienne principale Daphné Patakia dont c'est le premier rôle au cinéma. Une jeune actrice qui crève l'écran par sa fraîcheur, sa fausse candeur et son jeu d'acteur des plus convaincants. Si le film paraît plutôt ennuyeux au début, voire soporifique, il est superbement porté par cette jeune actrice qui fait ses débuts au cinéma avec grâce et succès. Le film est ponctué de séquences musicales. Un peu trop. On le prendrait presque pour une comédie musicale, mais il n'en est rien car le genre est complètement différent. Tony Gatlif nous plonge dans un road movie intimiste où il est question de l'exil à la fois intérieur, mais celui des frontières géographiques aussi. «Là d'où je viens les gens savent aimer», dit une chanson. Une longue litanie vers la fin du film va évoquer les méandres de l'exil, de ces gens qui sont partis de chez eux et trouvé refuge ailleurs...Le synopsis? Jam, une jeune femme grecque, est envoyée à Istanbul par son oncle Kakourgos, un ancien marin passionné de Rébétiko, pour trouver la pièce rare qui réparera leur bateau. Elle y rencontre Avril, une Française de 19 ans, seule et sans argent, venue en Turquie pour être bénévole auprès des réfugiés. Djam, généreuse, insolente, imprévisible et libre la prend alors sous son aile sur le chemin vers Mytilène. Un voyage fait de rencontres, de musique, de partage et d'espoir. La mère de Jam est une ancienne chanteuse grecque partie s'installer en France. Elle travaillera comme serveuse dans un restaurant grec. Son compagnon français sera l'acteur français Simon Abkarian. Il fallait bien trouver une astuce pour tourner avec des comédiens français parlant à la fois le grec et le français dans le film. «Ce qui chante en moi est l'exil m'avait dit un jour ta mère», dira le tonton Kakourgos à Djam qui fond en larmes à chaque fois qu'elle se remémore sa mère. Ce film est gorgé de nostalgie, de quelques soupçons d'amertume, de la mélancolie, mais aussi de beaucoup de joie et d'insouciance, d'espièglerie forcément, de souffle et de tendresse dans les regards nés souvent en fin de soirée bien lyrique. Tony Gatlif filme tout ça et en remet une couche à l'aide de dialogues bien percutants. L'Algérie son pays d'origine est cité également. Lorsque le mot «exil» est invoqué, il est difficile de ne pas penser à son célèbre film Exils sorti en 2004 et qui a fait sa renommée. Mais grâce à la musique, ces zooms sur ces photos en noir et blanc de ces musiciens qui respirent le passé, l'on est renvoyé immanquablement vers le dialogue entre les sons de ces vieux orchestres légendaire tels Cheikh Raymond, Line Monty, Reinette Daoud, Lili Boniche. Mais on pense inévitablement aussi à El Hasnaoui et Slimane Azem dont la musique a bercé il y a presque un siècle et continue à le faire sur les pas des migrants. C'est un peu à eux que s'adresse ce film, plein d'amour et de poésie. Un film plein de bonté à l'image de son auteur. Djam une belle ode à l'immigration et à ces gens partis à jamais... Ce plan large panoramique sur ces bateaux délabrés échoués, mais aussi ces milliers de tenues de sauvetage sur cette île en sont un véritable témoignage qui se passe de commentaire. Cette image suffit d'elle-même pour résumer ce drame des harraga que Tony Gatlif a su transposer à l'écran d'une façon bien saisissante. Bien émouvante. Un dispositif esthétique d'un drame humain magnifiquement souligné.