Depuis plus de deux semaines, les choses semblent poursuivre leur cours normal. Le film des évenements sur les affaires de corruption que connaît la wilaya de Blida couve, en vérité, depuis le début de l'année, lorsqu'on annonça en grande pompe la visite que devait effectuer le président de la République et qui fut reportée sans explication. Le choix pour inaugurer le cycle des sorties présidentielles était pourtant très étudié, notamment pour faire démarrer la campagne pour l'amnistie générale et permettre la relance dans une wilaya qui avait souffert des affres du terrorisme. La nouvelle du report avait laissé place à des lectures très diverses. Elle avait permis de déceler les premiers grands indices d'un mécontentement de la présidence sur la gestion locale. A l'origine, on parla surtout du dossier des lots de terrains industriels doublement attribués dans la zone de Bouinan, l'urbanisation massive sur les terres agricoles et surtout de l'aménagement précipité du quartier Becourt à Blida et le déplacement dans le désordre de ses habitants. Devant le report de la visite du président, celui-ci étant très à l'écoute de ce qui se passe dans la Mitidja, arrière-garde de la capitale, et les remous occasionnés, le wali évoquera dans ses différentes interventions, à l'occasion de ses sorties sur le terrain et de ses visites de travail, parfois d'une rare virulence, des complots ourdis contre lui en s'efforçant de calmer le jeu. Depuis, un climat de suspicion fut installé. On spéculera pendant longtemps sur la venue du président. Viendra, viendra pas? Pourquoi le président aurait-il boudé un proche de lui qui avait pourtant joué un rôle important dans le retour de la paix dans une wilaya meurtrie, dans le redressement du FLN et enfin, la campagne présidentielle face à des partenaires coriaces et farouchement hostiles? Comme il n'y a jamais de fumée sans feu, les rumeurs les plus folles circulèrent en alimentant abondamment les discussions. Puis vint fin mars, avec ce pavé dans la mare jeté par le président de l'APC de Blida, M. Mellak, lorsqu'il organisa une fuite dans la presse, faisant état pour la première fois, de l'existence de factures surévaluées et de pressions exercées sur lui pour l'amener à payer ces factures. La rue blidéenne découvrit alors avec stupeur et étonnement ce marchandage sur le dos des familles démunies, intervenant après celui sur les malades du CHU pour les climatiseurs datant de 2003 et dont le fournisseur principal est le même que celui des effets vestimentaires. Aussitôt, la wilaya et l'APC se rejetèrent les accusations. La wilaya, par le biais du DAL, expliqua que les présidents des 5 APC concernés, dont celui de Blida, ont signé de leur propre gré les bons de commande, sans demander des factures proforma, ce qui a permis au fournisseur de remplir les factures à sa guise. Une motion de retrait de confiance fut même signée par les élus à l'encontre de leur président, accusé de défaillance dans la gestion. Il fut suspendu par l'administration après une lutte partisane très serrée entre les élus des différentes formations. Devant les remous occasionnés, le wali surprit tout le monde en annonçant sa démission qu'il expliqua par des motifs liés à des pressions exercées sur lui par la «mafia du foncier», selon sa propre expression. Factures gonflées Ne pouvant rester également insensible pour sa part à ce qui se passait dans sa juridiction, la cour de Blida se mêla à l'affaire et ordonna l'ouverture d'une enquête judiciaire sur les factures gonflées. C'est le procureur général et le président de la cour qui, au cours d'un briefing avec les correspondants locaux, l'annoncèrent pour apporter tout l'éclairage et punir les auteurs. Dans le sillage de cette affaire, les deux responsables confirmèrent l'ouverture de l'enquête sur le foncier agricole et son détournement à des fins industrielles et spéculatives en soulignant la volonté de la justice d'aller jusqu'au bout pour traiter ce dossier sensible dans la Mitidja, ravagée par le béton. Selon les informations recueillies, l'enquête menée par les services de la gendarmerie se poursuit activement et dans la correction. Dans un premier temps, ce sont les présidents de quatre APC impliqués (Bouarfa, O. Alleug, O. Yaïch et H. Mélouane) qui acceptèrent la signature des factures, qui furent convoqués par la justice pour être auditionnés. Durant plus de deux semaines, les choses semblent poursuivre leur cours normal. Le wali avait même tenté de reprendre l'initiative à son profit. Il organisa plusieurs sorties sur le terrain, notamment à Bouinan, à El Affroun, et une présence significative à l'occasion de la célébration de la journée de la presse, le 3 mai, en affichant une assurance pour confirmer son retour. Son entourage avait même laissé entendre que la tutelle et même la présidence auraient refusé sa démission et l'auraient autorisé à poursuivre sa tâche à la tête de l'exécutif. Il était également encouragé par certaines associations qui avaient signé des motions de soutien en «mettant en garde contre les tentatives visant à salir celui qui avait joué un rôle de premier plan pour le soutien à la politique du président en faisant échec au complot ourdi par la campagne anti-Bouteflika dans la ville des Roses, et ce, dans le but d'affaiblir ce dernier». En somme, l'affaire commença à prendre une allure politique, d'autant que son vis-à-vis était connu pour avoir pris une position publique négative à l'égard du président lors des présidentielles. Une bataille rangée de revanche en somme, entre un proche du président et un anti-bouteflikiste qui a su attendre le moment propice pour dégainer. D'aucuns ont pu voir que derrière ce scénario se cachent des règlements de compte terribles. Chacun s'efforce de se replacer pour trouver son bénéfice dans un jeu plus au moins équilibré. Puis le coup de tonnerre, comme dans un film d'Hitchcock, survint. Tout bascula mardi dernier, avec l'annonce laconique de l'acceptation de la tutelle de la démission du wali et son remplacement par le secrétaire général en vue d'assurer l'intérim. D'autres révélations L'on apprendra par la suite l'arrestation d'abord par les services de sécurité du fils du wali pendant une garde à vue de 48 heures, prolongée légalement pour les besoins de l'enquête avant qu'il ne soit présenté au juge d'instruction, vu la gravité des faits et la véracité des accusations. La réaction du wali, lors de la réunion d'adieu, fut violente en demandant sa mise en liberté immédiate en scandant son innocence et celle de son fils. Il jura de ne pas quitter la ville sans ramener avec lui son fils. Mais la justice écouta sa propre voix. L'instruction qui a eu lieu exceptionnellement un vendredi fut très chargée et a abouti à la mise sous mandat de dépôt des mis en cause au nombre de trois : le fils du wali et deux revendeurs de véhicules : deux Mercedes et un 4x4 Touareg. Les véhicules en question qui appartenaient tous au fournisseur principal, étaient recherchés par la justice car il faisaient l'objet d'une saisie et étaient censés se trouver en fourrière suivant une décision de justice qui remonte à l'année 2003. Une des deux Mercedes fut trouvée chez le fils du wali. Ce fut un argument suffisant pour permettre son inculpation et son arrestation, lui et ses complices. Le motif invoqué, indirectement lié à l'affaire des factures gonflées porte sur l'abus de pouvoir. Par la suite, des sources informées évoquèrent l'existence de biens appartenant au fameux fournisseur, achetés par le wali, dont une villa sur la côte. D'autres personnes, d'autres faits, d'autres révélations fracassantes peuvent apparaître. Cela devient comparable à un feuilleton palpitant, mais à l'allure dramatique qui, à défaut d'information fiable, et en raison des effets de l'amplification de la rumeur, capte chaque jour davantage la population blidéenne pour en savoir plus et tout sur l'affaire. Cela pose également beaucoup d'interrogations, notamment sur le personnage clé, ce fameux fournisseur toujours en fuite, qui a su se forger une place de premier fournisseur des collectivités locales. C'est un client habituel de l'APC de Blida également, de longue date. Il est parfaitement connu sur la scène publique pour avoir occupé un poste dans cette même commune, s'occupant des approvisionnements. Il peut ainsi apporter des révélations sur toutes les transactions passées, à commencer par celles des climatiseurs au CHU. Dans ce cadre, il y a lieu de noter l'attitude salutaire de l'actuel directeur qui a bloqué la somme de 44 milliards de centimes en refusant de payer le fournisseur dans l'attente de la décision de la justice. Politiquement, le gain est toutefois important. Traîner et traduire le fils d'un wali influent, lui et ses complices en justice pour une affaire de corruption est à l'honneur de notre justice qui doit être au-dessus de tous. Celui qui touche aux deniers publics et aux lois de la République doit payer. Mais il s'agit de ne pas s'arrêter à mi-chemin. «Car, à défaut d'aller jusqu'au bout, nous dit un citoyen averti, le feuilleton risque finalement de se limiter à une fougue de l'enfant du wali qui s'est payé une Mercedes vieillissante datant, de plusieurs années, alors que le dernier enfant gâté de la ville roule en carrosse neuf». Cela ne doit tromper personne même si la cabale est aussi grosse. Une grande affaire qui risque de se terminer en queue de poisson. Beaucoup de bruit pour rien qui risque de faire oublier les vraies affaires de détournements dont celles du foncier. Par-dessus tout, un témoin gênant qui détient tous les dossiers en main, risque aussi d'être écarté et éloigné pour faire taire définitivement l'autre scandale du siècle concernant le partage souvent illégal, ouvert, sans égal et dans l'anarchie de la Mitidja, l'une des meilleures plaines du monde. De plus, il y a plus de 10.000 constructions illicites qui attendent leur régularisation. Chut ! Pas de sanction là-dessus. Au fait, à quand sa mise en valeur?