Les affaires ont éclaboussé des personnalités jusque-là considérées comme intouchables, de par les postes qu'elles occupent dans la pyramide du pouvoir. La scène judiciaire nationale connaît, ces dernières semaines, une activité très remarquée au vu de la nature des affaires traitées par les tribunaux de la République, et surtout, la qualité des accusés. Ainsi, la lutte contre la corruption promise par le chef de l'Etat a atteint des niveaux de responsabilité dans la pyramide de l'Etat, jusque-là, insoupçonnés. Qu'on en juge, un wali en exercice, des conseillers qui, au ministère de la justice, qui à la présidence de la République, tous impliqués dans des affaires de corruption, n'ont pas échappé à la justice. Depuis le très médiatisé procès de l'ex-wali d'Oran où les noms de personnalités considérées comme intouchables ont été cités par Bachir Frik, comme ayant trempé dans des affaires de trafic d'influence, voire de corruption active, l'actualité judiciaire a pris les devants de la scène politico-médiatique, dévoilant, outre les ravages de la corruption au sein des structures de l'Etat, une certaine appréhension de nombreux observateurs quant aux visées de cette campagne mains propres, vraisemblablement engagée par les instances judiciaires, avec comme instruction de n'épargner personne quel que soit le degré de responsabilité des individus impliqués. En effet, les têtes qui sont tombées suite aux révélations de l'ex-wali d'Oran lors de son procès, donnent un début d'indice que cette opération n'est pas ponctuelle et ne vise pas seulement un personnel politique qu'on cherche à décrédibiliser au yeux de l'opinion. Cette hypothèse se voit, en effet, confirmée à travers la convocation par la justice de l'ancien président et l'ex-procureur général près la Cour d'Oran, censés répondre aux accusations portées par Bachir Frik. Le même scénario a été constaté dans l'affaire du désormais ex-wali de Blida qui, fait sans précédent en Algérie, a été «épinglé» alors qu'il était en exercice. L'instruction de ladite affaire a conduit le juge d'instruction à convoquer le fils du responsable local sur lequel pèsent des charges assez sérieuses. La presse a également fait état d'actions judiciaires intentées contre d'anciens responsables de l'hôpital Frantz-Fanon de Blida où il est question de détournement d'importantes sommes d'argent. Cela, sans parler de la mise sous mandat de dépôt de plusieurs maires pour corruption et malversation. Entrant dans le cadre de la réforme de la justice, engagée par les pouvoirs publics en 1999, cette offensive de l'institution judiciaire, ces dernières semaines, est, à en croire le chef du gouvernement, inscrite dans la durée. Ahmed Ouyahia, a en effet annoncé hier devant les députés que les mesures «draconiennes» prises par le gouvernement dans le domaine de la lutte contre la corruption, ne sont pas le fait d' «une campagne mais un processus continu qui ira crescendo», a-t-il averti. «Si hier, pour des raisons sécuritaires, il y a eu un petit relâchement dans la lutte contre ce fléau, aujourd'hui et à la faveur de l'amélioration de la sécurité, l'Etat va frapper fort», a insisté le chef du gouvernement. Pour le ministre de la Justice, c'est une étape nécessaire pour la consécration de «l'Etat de droit (qui est) la finalité de la réforme». Devant les magistrats de Batna, Belaïz a déclaré que «la réforme de la justice est arrivée à un point de non-retour et elle a largement entamé les archaïsmes et les anachronismes qu'on a pu lui attribuer». Et au ministre d'annoncer: «L'époque de l'impunité est révolue, nul ne peut être désormais au-dessus de la loi, il ne peut y avoir de développement, ni de démocratie, ni de crédibilité de l'Etat, sans application de la loi». Usant du terme de «révolution» pour qualifier la mue que subit l'institution dont il a la charge, le ministre a donné la nette impression d'une volonté des plus hautes autorités du pays d'aller dans le sens d'une moralisation de la vie publique, à travers l'application stricte de la loi. Laquelle sera renforcée par une batterie de textes visant la lutte permanente contre la corruption et les autres fléaux sociaux qui ont largement entamé la crédibilité de l'Etat durant les trois dernières décennie. Un Etat qui, faut-il le souligner, a largement exploité la justice pour régler des comptes avec un personnel politique tombé en disgrâce, comme cela s'est produit au début des années 80, où les affaires de corruption se sont révélées être de simples campagnes de dénigrement intentées par un clan puissant au sein du pouvoir. La même «opération de nettoyage» a été conduite dans le milieu des années 90, où des centaines de chefs d'entreprises se sont retrouvés sous les verrous sur la base de simples «dénonciations anonymes». Ces deux chasses aux sorcières ont permis à une faune de véritables corrompus de se construire de véritables fortunes sur le dos de la société. Pour toutes ces raisons, les observateurs de la scène nationale préfèrent attendre avant de parler de véritable mouvement d'indépendance de la justice, bien que ces affaires interviennent dans un contexte nouveau, où il semble que désormais, nul corrompu n'est à l'abri d'une poursuite judiciaire.