Cette irrationalité s'est encore exprimée dans toute sa laideur dans le contexte qataro-saoudien. La crise dans le Golfe couvait en fait depuis plusieurs semaines, le Qatar se plaignant d'accusations mensongères, selon lui, quant à son présumé «soutien» au terrorisme. La situation semble s'être envenimée après un entretien entre l'émir du Qatar Cheikh Tamim ben Hamad Al Thani et le président états-unien, Donald Trump... sur la lutte contre le terrorisme. Mais c'est le «piratage» le 24 mai (?) de l'agence de presse qatarie QNA qui a mis le feu aux poudres entre Doha et Riyadh, cette dernière condamnant fermement les propos critiques attribués à l'émir qatari sur l'Iran, le Hezbollah et le Hamas singulièrement. Les Al-Saoud n'ont en rien goûté le présumé discours du l'émir et encore moins croire au piratage de QNA, estimant que le discours attribué à Cheikh Tamim serait «authentique» et montrerait la vraie nature des dirigeants du Qatar, surtout lorsque l'émir qatari juge dans ce propos controversé que l'Iran jouait un «rôle stabilisateur» dans la région arabo-persique. Un crime de lèse-majesté saoudienne, alors que Riyadh cherche par tous les moyens à engager ses partenaires dans une confrontation avec son grand rival chiite. De fait, tout ça reste irrationnel et montre jusqu'où la susceptibilité peut mener des dirigeants qui président aux destinées de millions d'Arabes. On pouvait supputer que les «amis» et partenaires des deux pays au sein du CCG (Conseil de coopération du Golfe) allaient tout faire pour aplanir le contentieux et tenter de ramener la crise à de justes proportions d'incompréhension et/ou de manipulation inappropriées de propos que l'émir du Qatar dément avoir tenus. Il n'en fut rien puisque les Emirats arabes unis, le Bahreïn, le Yémen et même l'Egypte ont emboîté le pas à l'Arabie saoudite en rompant leurs relations diplomatiques avec Doha et en suspendant leurs liaisons aériennes avec le Qatar. Un état de guerre de fait avec Doha est dès lors déclaré. Ainsi, la crise qataro-saoudienne s'est élargie à ceux qui devaient, auraient dû, servir de médiateurs entre les deux pays pour contenir la crise. Il n'en a rien été, a contrario, ces pays ont pris fait et cause pour leur donateur saoudien. Voici donc un quiproquo devenu affaire d'Etat, en passe de détruire ce que les monarchies du Golfe ont mis des années à construire: l'union, la solidarité, la fraternité. En fait, cette union, cette solidarité et fraternité, ne sont que des vernis qui se fissurent au premier contretemps. Une autre histoire arabe, qui illustre combien les Arabes ne sont pas prêts à se prendre en charge, à devenir adultes et avoir leurs mots à dire dans les affaires de leur région et du monde. Nous en sommes loin. La question n'est pas de savoir qui a raison entre le Qatar et l'Arabie saoudite, mais bien pourquoi les mécanismes de conciliation - s'ils existent - n'ont pas fonctionné, donnant à voir, encore une fois, ledit Monde arabe dans une posture ridicule. Hélas!