Doha n'a pas d'autre solution que de s'incliner bien bas devant la majesté saoudienne N'ayant ni une armée d'envergure ni une population conséquente ni une position géostratégique enviable, le Qatar possède une arme et une seule, mais elle est presque fatale: son incommensurable richesse! Tandis qu'on en est encore à supputer les diverses raisons qui ont conduit à une brutale et surprenante rupture des relations diplomatiques entre l'Arabie saoudite, l'Egypte, les Emirats arabes unis, Bahreïn et le Yémen, rejoints par les autorités libyennes non reconnues de Tobrouk, d'une part et le Qatar, d'autre part, le Financial Times a apporté dans son édition de lundi dernier une première explication. Selon le journal américain, Doha aurait versé 1 milliard de dollars à titre de rançon pour obtenir la libération de 26 membres de la famille royale pris lors d'une expédition de fauconnerie en Irak. 700 millions auraient bénéficié à des officiers des renseignements iraniens tandis que les 300 millions restants ont échu au groupe terroriste syrien Tahrir al Cham, proche d'Al Nosra et donc d'Al Qaïda. Des explications surprenantes pour ceux qui mesurent l'engagement saoudien en Syrie et l'appui apporté à bon nombre de groupes islamistes dont Al Nosra. Difficile de croire, en l'occurrence, qu'un tel paiement ait pu générer ce genre de mise au ban du Conseil de coopération du Golfe d'un Etat devenu, c'est le moins qu'on puisse dire, un rival aussi ambitieux que gênant, sous prétexte qu'il finance l'extrémisme et le terrorisme, y compris dans les milieux chiites.Sans doute, le Financial Times est-il parti d'une information vraie pour aboutir à une hypothèse discutable, le fait que le Qatar finance indirectement les efforts de guerre de l'Iran dans la région, notamment en Syrie et au Yémen. Pour bien comprendre les vrais enjeux et les raisons de la colère saoudienne, il faut se souvenir de certains évènements qui ont contribué graduellement à mettre le feu aux poudres. En 1995, l'émir Hamad al Thani monte sur le trône dans une région en pleine tourmente après la Tempête du désert qui a emporté le régime de Saddam Hussein. Très vite, il prend conscience de la nécessité de propulser son minuscule royaume à des hauteurs économiques telles qu'il pourra assurer sa pérennité face aux puissants voisins qui aiguisent le couteau avec le sourire. Et c'est ce que l'émir va utiliser à tire-larigot. Fort des rentrées colossales de son gaz, partagé avec l'Iran au niveau du gigantesque gisement commun, Doha va investir tous azimuts, dans l'hôtellerie, le commerce, le sport, l'éducation et les médias. Al Jazeera, une télévision révolutionnaire, devient une force de frappe sans précédent et oeuvrera à la consécration de la stratégie qatarie à l'origine du printemps arabe. Le Qatar est très vite présent aux Etats-Unis, en Grande- Bretagne, en Allemagne, en France et de triomphe en triomphe, il décroche la Coupe du monde de football 2022! Une consécration inouïe qui ne peut que faire beaucoup d'envieux. Le vilain petit Qatar, si décrié à l'époque par les médias européens, est devenu un «géant» qui apprend à marcher sur une corde raide! Ses liens avec Israël ne l'empêchent plus d'accueillir Khaled Mechaâl, le chef du Hamas palestinien ni d'apporter un soutien aussi prompt que franc aux Frères musulmans, supplantant en cela l'inconstante Turquie d'Erdogan. Quant à l'allié américain, point de nuages à l'horizon puisque l'immense base militaire d'Al Udeid continue et continuera toujours à régenter l'ensemble du Moyen-Orient. C'est d'ailleurs de là que partent les avions de la coalition qui s'en vont frapper les «terroristes» qui prolifèrent en Syrie et en Irak, nonobstant les quelque centaines de civils régulièrement annoncés comme victimes collatérales. Membre connu mais non reconnu du CCG, le Qatar a pourtant un caillou dans la chaussure quand il est question de la politique d'endiguement que l'Arabie saoudite entend appliquer sans cesse face aux ambitions hégémoniques de l'Iran. Volontiers partisan d'une position médiane dans ce conflit, il a bénéficié d'une certaine mansuétude tant que le statu quo a régné dans la région. Mais avec le renversement du leader des Frères musulmans en Egypte, Mohamed Morsi, en 2013, par le maréchal Al Sissi, le choix devint vite contraignant pour une monarchie qui se veut au moins égale en puissance et en influence face à ses pairs saoudien, émirati et égyptien. C'était compter sans le fils du roi d'Arabie saoudite, Mohamed Ben Salmane, par ailleurs ministre de la Défense et vice prince héritier. Riyadh n'a plus la patience des souverains d'antan et qui plus est, son ambition n'est pas moins grande quand il est question de dominer la planète arabe et musulmane. Sur ce plan, la visite spectaculaire du nouveau président américain Donald Trump a été une consécration mais aussi une reconnaissance. Mieux, elle a fixé le nouveau cahier de charges qui fait de l'Iran le mal absolu et du régime des ayatollahs l'ennemi à abattre. Riyadh ne pouvait rêver meilleur scénario, après tant d'années de vaches maigres imposées par Barack Obama. Pour affirmer son leadership et balayer toute velléité ultérieure de contestation ou de prétention rivale, l'Arabie saoudite se devait de remettre sans délai à sa juste place cet émirat devenu trop encombrant par rapport à ses dimensions réelles. Et la remise en ordre devait fatalement passer par des décisions aussi brutales que spectaculaires, chose que Doha a bien comprises. Que reste-t-il désormais à faire? Ou le Qatar va rentrer dans les rangs et s'aligner sagement à la place que lui indiqueront la dynastie saoudienne et ses alliés ou il devra recourir à des alliances improbables pour tenter le contrepoids. Sauf que le choix est forcément limité dans la région. La Turquie a d'autres chats à fouetter, obnubilée par le scénario du pire avec la montée en puissance des Kurdes Syriens et Irakiens dont les rapports avec le PKK ne sont sans doute pas une vue de l'esprit. La Russie a déjà fort à faire avec la sauvegarde de l'allié syrien et des bases maritime et aérienne indispensables en Méditerranée. Autant dire que Doha n'a pas d'autre solution que de s'incliner bien bas devant la majesté saoudienne dont on devine qu'elle embrasse déjà du regard toute la communauté musulmane à travers le vaste monde... Donald Trump L'isolement du Qatar «peut être le début de la fin de l'horreur du terrorisme» Le président américain Donald Trump a accusé hier le Qatar, pourtant allié des Etats-Unis, de financer les extrémistes, prenant fait et cause pour l'Arabie saoudite et des pays amis qui ont rompu avec ce riche émirat gazier du Golfe. Sur Twitter, M. Trump a écrit que l'isolement du Qatar marquera «peut-être le début de la fin de l'horreur du terrorisme», indiquant que «tous les éléments pointent vers le Qatar» dans le financement de l'extrémisme religieux. Allié de longue date des Etats-Unis, le Qatar abrite la plus grande base aérienne américaine dans la région, siège du commandement militaire chargé du Moyen-Orient. La base d'Al-Udeid est cruciale pour la lutte contre le groupe jihadiste Etat islamique (EI) en Syrie et Irak, menée par la coalition internationale dirigée par Washington et dont fait partie Doha.