Le secrétaire d'Etat américain Rex Tillerson affronte sa première crise majeure avec la mise au ban du Qatar par ses voisins du Golfe, exploitant ses relations personnelles dans la région pour une discrète médiation compliquée par des dissonances avec la Maison-Blanche. «Si quelqu'un peut le faire, c'est lui», estime James Jeffrey, ancien diplomate et ex-conseiller de M. Tillerson quand ce dernier était à la tête du géant pétrolier américain Exxonmobil. «Il connaît très bien les Saoudiens et les Qataris», souligne celui qui fut également conseiller à la Maison-Blanche sous George W. Bush et travaille maintenant pour le centre d'analyses Washington Institute of Near East Policy. La crise ouverte dans le Golfe a surgi à un moment particulièrement inopportun pour les Etats-Unis, juste après une visite largement médiatisée du président Donald Trump fin mai en Arabie saoudite, où il s'était adressé aux dirigeants d'une cinquantaine de pays arabes et musulmans en leur demandant d'agir contre l'extrémisme religieux. Le 5 juin, l'Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, Bahreïn et l'Egypte rompaient leurs relations diplomatiques avec le Qatar, accusant le riche émirat gazier de soutenir le terrorisme et de se rapprocher de l'Iran chiite, rival régional du royaume saoudien et conspué par Donald Trump. Abritant une base militaire américaine stratégique dans la lutte contre le groupe Etat islamique (EI), le Qatar est depuis isolé, sous le coup de sévères restrictions aériennes et de la fermeture de frontières terrestres. Face à la crise qui oppose deux de ses alliés stratégiques, Washington a émis des signaux contradictoires. Si le président américain a semblé apporter son soutien tacite à l'isolement du Qatar, qu'il a accusé publiquement d'avoir «financé le terrorisme à un très haut niveau», son chef de la diplomatie a dès le départ adopté une autre stratégie, qui semble commencer à porter ses fruits. Chargé par la Maison-Blanche de désamorcer la crise, le discret Rex Tillerson est monté en première ligne, annulant un voyage à l'étranger pour multiplier pendant deux jours les appels vers Doha et Riyadh. Jusqu'à décider mardi de taper du poing sur la table avec une déclaration forte. Surprise, ce n'est pas le Qatar que le département d'Etat a alors visé mais bien Riyadh et ses alliés, la diplomatie américaine se déclarant «perplexe» devant ce qui justifie l'isolement du petit émirat. «A ce stade, nous faisons face à une question simple: est-ce que ces actions découlaient véritablement de leurs inquiétudes face au soutien présumé du Qatar au terrorisme?», a asséné la porte-parole du département d'Etat, Heather Nauert. Une déclaration sonnant comme un signal clair que, derrière les propos tonitruants de Donald Trump, Washington reproche en fait à Riyadh l'escalade des tensions. Déjà, une semaine plus tôt, en pleine crise, le ministre américain de la Défense Jim Mattis avait signé un contrat de 12 milliards de dollars pour la vente d'avions de combat F-15... au Qatar. Et lors d'une rare apparition devant les caméras, Rex Tillerson avait appelé dès le 9 juin les Saoudiens à «alléger» le blocus. Mercredi, c'est lui qui a encore annoncé que l'Arabie saoudite et ses alliés avaient préparé une liste de demandes à soumettre au Qatar, soulignant qu'il espérait qu'elles seraient «raisonnables et réalisables». En dépit des divergences avec la Maison-Blanche, M. Tillerson semble bel et bien détenir l'une des clés pour une sortie de crise, analyse James Jeffrey. «Il n'y a pas deux politiques séparées. Trump soutient Mattis et Tillerson». Tweets ou discours, Donald Trump «ne peut s'empêcher» de continuer à s'adresser directement à ses supporteurs, reconnaît l'analyste. Mais dans ses messages, «ce n'est pas Trump le commandant en chef ou le président qui s'exprime, c'est Trump le dirigeant d'un mouvement (politique), avec sa propre vision du monde», poursuit-il.