Fayez al Serraj a proposé une feuille de route rejetée par Tobrouk Comme le contentieux qui grève la relation entre Tripoli et Tobrouk est aussi lourd que celui qui mine le rapport actuel entre le Qatar et la coalition Arabie saoudite-Egypte-Emirats arabes unis, on voit mal comment ses conséquences peuvent être annihilées. La carte du Moyen-Orient est devenue, depuis 2011, si complexe et si embrouillée que le moindre choix politique peut s'avérer lourd de menaces, sinon de conséquences pour le pays qui s'y hasarde. Loin des alliances d'antan, si simples à situer et si limpides à choisir, les nouvelles stratégies ont de quoi mettre à mal bien des certitudes. C'est le cas, justement, de la crise actuelle entre l'Arabie saoudite et ses alliés émirati et égyptien et le Qatar, cloué au pilori aussi brutalement que subitement, sous prétexte qu'il finance le terrorisme. Bien sûr, c'est un secret de Polichinelle que le minuscule et richissime Emirat a beaucoup investi au grand bonheur des islamistes version Frères musulmans et ce bien avant le printemps arabe de 2011 à travers lequel il nourrissait des ambitions de leadership dans tout le grand Maghreb. Il se trouve que, depuis cette date, la Libye a sombré dans une crise profonde avec des impacts évidents sur l'ensemble de ses voisins, que ce soit l'Algérie, l'Egypte ou la Tunisie. Un processus de dialogue inclusif, intégré à la mission de paix onusienne, a vu le jour sous l'auspice de l'Union africaine dont on a espéré qu'il aboutisse rapidement à des négociations constructives et, in fine, à une réconciliation effective des clans de l'Est (Parlement et gouvernement de Tobrouk, Armée nationale libyenne du maréchal Khalifa Haftar) et de Tripoli (GNA de Fayez al Serraj issu de l'accord de décembre 2015 sous l'égide de l'Onu, milices de Misrata et autres). L'Algérie, principalement, a déployé des efforts intenses et soutenus pour réunir autour d'une même table l'ensemble des protagonistes. De réunions en visites, le processus de règlement de la crise ne semble pourtant pas avoir progressé d'un iota, parce que les interférences sont nombreuses et fortement préjudiciables. La crise du Golfe en fait partie et elle éclaire d'un jour nouveau les tenants et les aboutissants du jeu d'ombres libyen. Si Tripoli bénéficie de la bénédiction de l'Onu et du soutien conséquent du Qatar qui conserve son influence sonnante et trébuchante auprès des milices de Misrata et autres factions islamistes, les autorités de l'Est et le maréchal Haftar ont trouvé une aide précieuse en Egypte et dans les Emirats arabes unis avant de réussir une percée spectaculaire, depuis deux ans, d'abord à Moscou et ces jours derniers à Washington. Ce qui revient à dire que la donne est réellement bouleversée et que les efforts de médiation consentis par les uns et par les autres risquent fort de demeurer vains.Comme le contentieux qui grève la relation entre Tripoli et Tobrouk est aussi lourd que celui qui mine le rapport actuel entre le Qatar et la coalition Arabie saoudite-Egypte-Emirats arabes unis, on voit mal comment ses conséquences peuvent être minimisées, voire annihilées même si, officiellement, Le Caire «travaille» avec les autres voisins de la Libye que sont l'Algérie et la Tunisie pour parvenir à un vrai dialogue inclusif...Surtout que l'appréhension de la crise qatarie est différente selon que l'on se place du point de vue égyptien ou de celui d'Alger et Tunis, soucieux de conserver une attitude de neutralité bienveillante à l'égard de toutes les parties et prôner...le dialogue, à partir de cette ligne diplomatique du juste milieu.Certains des dangers qu'implique nécessairement une prise de position dans ce différend peu propice à une lecture objective, les deux pays sont bien sûr gênés par la stratégie de l'Egypte et doivent jouer le tout pour le tout afin d'empêcher que la Libye ne tombe entièrement dans le giron du maréchal Al Sissi. Comme Messahel qui a effectué deux visites dans les différentes villes libyennes, son homologue tunisien, Khemaïes Jinaoui, a mobilisé les ambassadeurs des Etats concernés par la crise qatarie pour tenter de leur expliquer les vertus du dialogue. Peine perdue. Fort opportunément, le fantasque maréchal Haftar a engrangé, la semaine dernière, une victoire «capitale» à Benghazi d'où il a «totalement» expulsé les islamistes et les derniers éléments de Daesh. Réponse du berger, dimanche dernier, Fayez al Serraj a proposé aux libyens «une feuille de route» assortie d'une élection présidentielle et des législatives en mars 2018 pour sortir de l'ornière. Un plan aussitôt rejeté par Tobrouk! Comme la Russie, l'Onu et, depuis peu, les Etats-Unis sont désormais favorables à l'idée d'un GNA dont l'architecture comprendrait les autorités de l'Est et surtout Haftar, on court tout droit à un statu quo ante, les milices islamistes de Misrata, de Zintan et autres groupes armés de l'Ouest refusant catégoriquement une mainmise de Haftar qui signifierait, à brève échéance, leur disparition. Comme quoi, en Libye, tous les chemins ne mènent pas à Tripoli.