«L´Europe se fera dans la crise et elle avancera par la somme des solutions apportées à ses crises». Chacun s´accorde à dire que le référendum s´est plus joué sur le contexte que sur le texte. Le contexte économique et politique français a davantage pesé dans les urnes que la construction européenne et le contenu du traité constitutionnel, et explique prioritairement la victoire du "non". Les partisans du "oui" avaient tenté de découpler le référendum des enjeux de politique intérieure. La stratégie a échoué. Pour expliquer leur vote, les "nonistes" avancent d´abord le contexte politique et social en France, leur ras-le-bol vis-à-vis de la situation. "C´est une condamnation de la politique économique du gouvernement. Ce vote démontre la colère face au chômage et l´anxiété face à la précarité économique et le manque d´emplois " Selon l´institut Ipsos, le mécontentement face à la situation économique et sociale actuelle arrive largement en tête des motivations des "nonistes" (52%). Le texte du traité n´est cité que par 40% des électeurs ayant décidé de le rejeter en le jugeant trop libéral sur le plan économique. Cette "victoire imparable" du non "obéit plus à une logique de contexte que de texte", analyse pour Le Monde Pascal Perrineau, le directeur du Centre d´étude de la vie politique française (Cevipof). "Les enjeux nationaux et sociaux ont davantage pesé que le texte de la Constitution ". "Parmi les motivations fortes du non, il y a également le texte, un texte qui a déstabilisé (l´électorat), un texte apparaissant confus", relève Stéphane Rozès, directeur de l´institut CSA-Opinion, qui estime que les Français ont joué d´un "principe de précaution": "Puisque ce texte doit nous engager sur de nombreuses années, nous demandons aux gouvernements européens un texte plus simple", explique-t-il sur France Info. Pascal Perrineau estime également que le rejet traduit aussi "un malaise post-élargissement" en France après l´entrée, le 1er mai 2004, de dix nouveaux pays dans l´Union et de trois futurs pays en 2007 sans que les peuples ne soient consultés. Le peuple ne sera consulté que dans le cas de la demande de la Turquie qui serait candidate dans 10 ou 15 ans. C´est dire si ce thème est porteur pour les quatre mouvements de l´extrême droite le Front National, le MNR, et les souverainistes comme le parti de Charles Pasqua le parti de Phillippe de Villers qui ne ratent pas une occasion de parler de la déchéance morale de l´Europe si la Turquie venait à y être intégrée. La question turque a également pesé dans une moindre mesure sur le choix des "nonistes" (35% pour Ipsos). Les conséquences Le rejet en France de la Constitution européenne entraîne le continent dans une véritable "crise", Les résultats du référendum de dimanche en France (près de 55% de non) ont déclenché un "tremblement de terre" à l´échelle de l´Europe, écrivent ainsi les quotidiens étrangers. Mais ce sont surtout les hommes politiques français, et au premier plan Jacques Chirac, qui sortent discrédités du non au référendum, souligne à l´unisson la presse européenne. "Ce refus exprimé dimanche, c´est celui d´une société (française) qui doute d´elle-même et qui a été profondément déçue par ses gouvernants", A l´image de leurs confrères français, les quotidiens espagnols ne se privent pas davantage de tirer à boulets rouges sur le chef de l´Etat français, "qui, s´il avait de la dignité, devrait démissionner", assène El Mundo. Le tabloïd de gauche Daily Mirror estime, lui aussi, que "Blair va enterrer son projet de référendum européen, après le non massif des Français", sous le titre-jeu de mot "référendump", contraction de référendum et du verbe dump (jeter). L´Europe doit "se donner le temps" d´analyser le "non" français, juge José Manuel Barroso Romano Prodi, leader de l´opposition italienne et prévoit "une crise politique majeure au sein de l´Union européenne" après la victoire du non en France. L´ancien président de la Commission européenne estime également que ce rejet du Traité "pourrait également avoir des répercussions importantes au niveau des relations entre l´UE, la Chine et les Etats-Unis", car "comment les Etats-Unis et la Chine pourront-ils envisager de discuter sérieusement avec un partenaire qui, en rejetant la Constitution, refuse la notion d´une Europe véritablement unie ?". Le non français est "un revers pour le processus de ratification de la Constitution mais pas sa fin", a déclaré le chancelier allemand Gerhard Schröder. "Ce n´est pas non plus la fin du partenariat franco-allemand dans et pour l´Europe", a-t-il ajouté. Le chef du gouvernement espagnol José Luis Rodriguez Zapatero est tombé d´accord avec le président français Jacques Chirac pour dire que l´Europe "surmontera cette période de crise, comme elle en a surmonté d´autres au cours de son histoire", selon son porte-parole. Président en exercice de l´UE, le Premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker, a affirmé sans surprise à Bruxelles que "la ratification de la Constitution européenne doit se poursuivre", mot d´ordre repris un peu partout parmi les 25. M. Barroso a souligné que "neuf Etats membres représentant la moitié" de la population de l´UE "ont déjà ratifié la Constitution européenne. Affaibli par cet échec, le président de la République doit compter sur la montée en ligne d´un Sarkozy - pourtant dans le camp des perdants - qui a exigé quelques heures après le scrutin une "rupture" dans la politique gouvernementale. Du point de vue de la légitimité politique, l´affaiblissement de Jacques Chirac ne doit pas être celui de la France s´est empressé de clamer Laurent Fabius qui a réussi le tour de force de casser à la fois le P.S. et de contribuer à semer la perturbation dans le camp adverse. La France prend la mesure de la gifle assénée à ses dirigeants. Avec un chef de l´Etat très affaibli, un Premier ministre sur le départ et une opposition socialiste en crise, la France prenait la mesure lundi du séisme provoqué par la large victoire du non au référendum de la veille sur la Constitution européenne. En rejetant par 54,87% des voix le traité constitutionnel, les Français ont provoqué une onde de choc dans toute l´Europe mais, comme le notait lundi la presse nationale et européenne, la gifle la plus forte a été lancée aux dirigeants politiques hexagonaux et surtout au premier d´entre eux, le président Jacques Chirac. Mais la gifle est aussi donnée aux partisans du Oui du Parti socialiste dont on ne sait plus à quel jeu "ils jouent". Ils présentent comme à l´accoutumée deux visages, celui des droits de l´Homme et de l´humanisme, version Mitterrand, de l´autre ils préparent en catimini 2007, en essayant de ratisser large, notamment concernant la politique de l´immigration. Ainsi, ayant recruté un " immigré " de service, en la personne de Malek Boutih, ils lui confient le dossier concernant les voies et moyens de réprimer l´immigration. Celui-ci comme tous les serviteurs sans épaisseur va au-delà des espérances des attentes du parti. Qu´il nous suffise de savoir que le Front National tout en félicitant Malek Boutih, l´accuse de plagiat du programme du Front National. " Mon Dieu, s´écriait Talleyrand, protégez-moi de mes amis, mes ennemis, je m´en charge". M.Chirac, qui avait décidé de ce référendum et était monté en première ligne pour défendre le oui, a été contraint de réagir au plus vite pour tenter de retrouver un peu de son autorité et "sauver" la fin de son mandat qui s´achève en 2007. Dès l´annonce des résultats, le président avait laissé entrevoir la démission de son Premier ministre, en annonçant aux Français qu´il prendrait une décision dans les "tout prochains jours" pour donner une "nouvelle impulsion" à la politique gouvernementale. Sur la défensive, M.Chirac a aussi tenu à affirmer que "la France continuera à tenir toute sa place" au sein de l´UE.. " Quand le taureau tombe, les couteaux apparaissent " dit un proverbe du terroir algérien. Les couteaux n´ont pas tardé à sortir. Ecoutons ce qu´écrit le journal de droite, L´Express " A défaut d´un président soucieux le dimanche soir, il s´est trouvé une Chiraquie lucide le lundi matin. L´ampleur du fiasco est sans commune mesure. Après avoir été le premier président de la Ve République à perdre des législatives qu´il avait lui-même provoquées par une dissolution, Chirac est le premier chef d´Etat français de l´Histoire à échouer dans un référendum, hormis de Gaulle, qui en quitta le pouvoir en avril 1969. A chaque mandat, selon une expression qu´il affectionne, Chirac se sera tiré une balle dans le pied Christophe Barbier Le crépuscule de Chirac, L´Express du 30/05/2005 Plus grave que ces fiascos tactiques, le 29 mai aura vu s´effondrer l´oeuvre européenne du président. De Gaulle sanctifia la réconciliation franco-allemande, Georges Pompidou fit accepter par les Français l´entrée dans l´Union du Royaume-Uni, Valéry Giscard d´Estaing dopa l´Europe économique et, en 1992, François Mitterrand fit avaliser le futur euro par le peuple. A chaque président son fait d´armes europhile. Chirac, lui, aura tout cassé, étouffant dans l´oeuf la Constitution. "C´est aussi son avenir que Jacques Chirac a vu voler en miettes. Les vingt-trois mois qu´il lui reste à accomplir dans son quinquennat risquent de ressembler à un long crépuscule. Jacques Chirac a perdu le peuple et va affronter le syndrome de la fin de règne. La fin de règne, pour les puissants, signifie parfois l´entrée dans l´Histoire. Mais, pour Chirac, les dégâts s´étendent au-delà de 2007...Le président sait désormais que sa trace dans la postérité relèvera du filigrane : pas de grands travaux à la Mitterrand pour s´inscrire dans le paysage, pas de redressement de la France à la de Gaulle, pas de fort symbole, comme la légalisation de l´avortement ou l´abolition de la peine de mort, juste le discours sur la responsabilité de la France sous l´Occupation et le passage à l´armée de métier, acquis dès 1995, plus le lustre provisoire de sa résistance aux Etats-Unis en 2003. Nous remarquons au passage comment cette action saluée à l´époque par les intellectuels et le monde arabe comme une position courage, est minimisée dans le discours actuel de la droite. Les dauphins s´impatientent et se font requins, l´opinion veut du sang et du sang neuf... A cet "effet décennie" Jacques Chirac voit s´ajouter, aggravant son cas, quelques maux spécifiques. Mais comment prêter foi à celui qui, aujourd´hui apôtre de l´Europe politique, en était hier l´imprécateur? Car le même homme adressa aux Français, jeudi dernier, un vibrant "Il nous faut une Europe politique capable de faire émerger une véritable puissance européenne" et publia le 6 décembre 1978 l´appel de Cochin : "Il est des heures graves dans l´histoire d´un peuple où sa sauvegarde tient toute dans sa capacité de discerner les menaces qu´on lui cache. [...] Derrière le masque des mots et le jargon des technocrates, on prépare l´inféodation de la France, on consent à l´idée de son abaissement. En ce qui nous concerne, nous devons dire non. La méthode Chirac Ces échecs et renoncements du président et des siens, sur fond de conviction européenne en caoutchouc, forment une suite de petites trahisons et illustrent la méthode Chirac, qui consiste à ne pas en avoir. .... C´est aussi cette "gouvernance" de l´improvisation habile, mais stérile, que les électeurs ont condamnée dimanche. Ne pas avoir répondu au message du 21 avril 2002 et ne pas avoir entendu celui des régionales de 2004 ont rempli la coupe qui a débordé ce 29 mai. Le 29 mai sonne-t-il pour Jacques Chirac la fin de l´aventure? "Président versatile", "inconstant", "plus capable de conquérir le pouvoir que de l´exercer" selon ses détracteurs, M. Chirac qui a occupé toutes les plus hautes fonctions de l´Etat (député, plusieurs fois ministre, deux fois Premier ministre, maire de Paris de 1977 à 1995 et président depuis) est au contraire estimé par ses partisans pour sa "formidable" capacité à rebondir en cas d´échec. A tout prendre, et si nous n´avons pas à nous immiscer en tant qu´Algériens dans les affaires intérieures de la France, nous faisons nôtre cette boutade de Jacques Duclos, premier secrétaire du parti communiste : "Nous ne choisirons pas entre la peste et le choléra". Nous n´avons pas de préférence particulière pour la nouvelle équipe à venir, sauf qu´il faut rappeler que nous devons plus de malheur à notre acoquinement à la Gauche de François Mitterrand qu´à celle de Chirac. Pourquoi se sent-on proches de Chirac et pas de la gauche- caviar ? A l´image de Hollande et ses amis du peuple de gauche le parti socialiste a toujours trompé l´Algérie. Au moins avec la droite il n´ y a pas d´état d´âme. Les Algériens aiment ceux qui leur disent la vérité en face. La France, en définitive, se relèvera comme le phoenix de cette difficile épreuve et ce n´est pas les nouveaux pays de l´Union ou même les " anciens " qui peuvent se permettre de donner des jugements de valeur. Qu´ils aient le courage de consulter leur peuple et non de passer par des députés, "naturellement acquis à la voie du magister". Il est fort à parier qu´il y aura des surprises, car même le vote espagnol a concerné 42 % de votants sur lesquels 55 % ont dit oui, ce qui veut dire à peine 25% des Espagnols ont dit oui. Les " autres " en s´abstenant expriment un rejet. S´agissant de cette campagne en France, nous n´avons jamais vu un débat aussi franc aussi ouvert aussi démocratique que celui qui a eu lieu. Puissions-nous arriver un jour à ce degré de sérénité. Incha´Allah.