Les autorités veulent faire du scrutin du 17 juin le rendez-vous de la mobilisation autour de la Révolution islamique. L'élection présidentielle iranienne est ainsi placée sous le signe de la bataille pour la participation à un scrutin appelé à redonner aux conservateurs la présidence de l'Etat, détenue jusqu'au 17 juin par le président réformateur Mohammed Khatami. Si actuellement les Iraniens s'enflamment et montrent un enthousiasme débordant, c'est bien dans la perspective de la qualification de l'équipe nationale d'Iran de football au mondial allemand de 2006, qualification dans les cordes du Onze iranien qui affronte ce mercredi une modeste Corée du Nord, alors qu'un seul point suffit au bonheur des aficionados iraniens. Ainsi, le football a quelque peu supplanté et fait de l'ombre à une campagne poussive où s'affrontent huit candidats, dont les réformateurs Mostapha Moïn et Mohsen Mehralizadeh requalifiés, sur l'injonction du Guide de la Révolution islamique, après qu'ils aient été éliminés par le Conseil des gardiens, le premier étant susceptible, selon les analystes, de faire douter le super-favori Akbar Hachemi Rafsandjani et ayant des chances de brouiller les cartes des conservateurs. Mais avant le test du 17 juin, il faudrait encore convaincre l'électorat à faire son devoir électoral. Or, selon les derniers sondages, beaucoup d'Iraniens, singulièrement les jeunes, ont dit leur intention de ne pas voter le 17 juin prochain. Ce qui a fait monter au créneau le banc et l'arrière-banc des ayatollahs et mollahs iraniens, dont le premier d'entre eux, le Guide de la Révolution islamiste, Ali Khamenei, qui exhorta ses compatriotes à aller voter, car soutient-il, le «vote est un devoir divin», pour «contrer l'ennemi» indiquant que «déterminer son propre destin est un droit et un devoir divins», avant d'ajouter «je sais que la nation aura raison de l'ennemi dans cette épreuve», lors de la commémoration du 16e anniversaire de la mort du fondateur de la République islamique, l'ayatollah, Rouholah Khomeyni. En faisant d'une vaste participation populaire l'enjeu de la présidentielle, le régime islamiste iranien semble avoir, de lui-même, placé la barre très haut, soucieux qu'il est de montrer à la communauté internationale que le pouvoir islamiste tire sa légitimité du peuple. Aussi, en faisant de la participation électorale un enjeu politique, le régime islamiste joue en fait gros avec le risque de se voir désavouer en ces temps d'incertitude où le chômage des jeunes est devenue une préoccupation constante de la population frustrée dans ses besoins et attentes. Les religieux sont ainsi, dans le sillage de l'ayatollah Ali Khamenei, allés au devant de la population l'appelant à rejoindre «en masse» les bureaux de vote le 17 juin. Accusant, les médias étrangers de pousser la population au boycott, l'ayatollah Mohammed Emami Kachani, dans son prêche de vendredi a invité ses compatriotes à «aller voter pour leur clouer le bec et fouler aux pieds leur propagande». Plus teigneux, l'ayatollah, Ahmed Janati, a déclaré pour sa part que voter «c'est tirer une balle dans le coeur de Bush» paraphrasant le régime qui affirmait déjà, l'an dernier lors des législatives, que «voter est aussi important que prier». Il faut croire que les préoccupations de la population sont loin des joutes d'une campagne électorale qui ne retient que modérément son attention. Les huit candidats, sur un millier, retenus par le Conseil des Gardiens (de la révolution), outre les trois cités plus haut, et un réformateur inconnu, en plus des quatre ultra-conservateurs, tous issus de l'armée idéologique du régime islamique (les Pasdarans), auront fort à faire pour ranimer une flamme révolutionnaire quelque peu éteinte. L'électorat est d'autant plus désabusé que l'échec de l'expérience réformiste du président sortant, Mohammed Khatami, est en grande partie dû aux obstacles mis sur sa route par les conservateurs et les religieux opposés à toute ouverture. Toutefois, le président Khatami a réussi à briser l'isolement de l'Iran et à rétablir des liens avec de nombreux pays, notamment européens. Mais, Mohammed Khatami est resté insatisfait admettant «j'avoue que je n'ai pas atteint mes objectifs à 100% mais mes positions ont contraint ceux qui y étaient hostiles à s'adapter aux évolutions sociales». Un de ses proches ne veut retenir que le fait que «le plus grand succès de Khatami est d'avoir enraciné les réformes dans la société (...) Khatami a accompagné les Iraniens sur la voie de la réforme, au lieu d'essayer d'être leur héros». Un analyste iranien renchérit: «Il y a huit ans, le pouvoir intervenait dans tous les domaines de la vie privée. Aujourd'hui, même la justice et les forces de l'ordre ont changé d'attitude, les aspects totalitaires du système ont commencé à s'estomper». Ce mieux-être apporté à la société par le président sortant sera-t-il développé par son successeur, par l'accentuation des ouvertures sociales, ou fera-t-il long feu, enterré par d'autres priorités et d'autres orientations politiques du futur président? En tout état de cause l'Iran s'engage dans un challenge difficile et le président Khatami a cassé des tabous sur lesquels le prochain président aura du mal à revenir. Ce qu'il faut sans doute comprendre par la déclaration du principal favori du scrutin, M.Rafsandjani qui a affirmé dans l'une de ses déclarations que «la situation change rapidement et seuls ceux qui ont compris ces évolutions pourront les gérer. Pour répondre aux demandes légitimes de cette nouvelle génération, il faut de nouvelles solutions» réitérant toutefois son attachement aux objectifs et valeurs de la révolution islamique.